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Un président en "capitaine de crise", des ministres en ordre de bataille : le conseil de défense sanitaire vu de l'intérieur

Le chef de l'État en a fait l'instance de décision durant la crise du Covid-19. Un conseil de défense se tient mardi matin à l'Élysée, avant l'allocution d'Emmanuel Macron le soir sur la situation sanitaire et le confinement.

Article rédigé par Julie Marie-Leconte
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un conseil de défense sanitaire à l'Elysée, le 12 novembre 2020. (THIBAULT CAMUS / AFP)

Dans les sous-sols de l'Élysée, un bunker, et le poste de commandement Jupiter, porte blindée et communications sécurisées : normalement, c’est là que se tiennent les conseils de défense et de sécurité. Mais on oublie : distanciation sociale oblige, les conseils de défense sanitaires se tiennent depuis le début de la crise du Covid-19 sous les ors du salon Murat, là où se réunit traditionnellement le conseil des ministres.

C'est là que se tient le conseil de défense, mardi 24 novembre au matin, avant la prise de parole du président de la République le soir. Emmanuel Macron en a fait l’instance de décision dans la gestion de la crise du Covid-19. Opacité, exercice solitaire du pouvoir, tout cela lui est beaucoup reproché. Autour du président, à chaque réunion du conseil : le Premier ministre, des ministres en fonction de leurs dossiers, des directeurs d’administration, des experts... La plupart sont en visioconférence. Le déroulé est assez classique : point de situation, discussion, décision.

C’est un lieu dans lequel je rentre souvent avec des questions et dont je sors avec des réponses. Ce n’est pas un lieu de castagne, c’est un lieu d’échange et de dialogue.

Olivier Véran, ministre de la Santé

à franceinfo

Comme ministre de la Santé, Olivier Véran est l’un des piliers de la réunion. "En amont il y la cellule de crise à la Santé, il y a la cellule interministérielle de crise, il y a tout le travail interministériel.Nous présentons des dossiers avec tous les éléments chiffrés et factuels. Les propositions sont écrites. Chacun a accès à l’ensemble des données du dossier, et chacun est amené à réagir autant qu’il le souhaite sur l’ensemble des sujets des thématiques qui sont abordées."

Autre invité permanent, Gabriel Attal, puisqu’il est porte-parole du gouvernement. Les oppositions dénoncent un lieu de concentration du pouvoir. Lui insiste sur la pluralité des avis exprimés. "Moi, ce que je vois, c’est que le président est très attentif à ce que disent les scientifiques et à ce que disent les membres du gouvernement, au regard des concertations qu’ils mènent, explique le porte-parole du gouvernement. Bruno Le Maire parle de ses concertations avec les commerçants et avec les partenaires sociaux, Roselyne Bachelot avec les acteurs de la culture, etc. Il est très attentif à tout ça, c’est ce qui permet à sa décision de cheminer." Impossible de donner d’exemples précis d’échanges. Les participants sont tenus au secret, et tous les documents classifiés.

Le spectre du sang contaminé

Quand et pourquoi Emmanuel Macron a décidé que le conseil de défense et de sécurité nationale était l’outil adéquat pour piloter une crise qui n’est pas militaire mais sanitaire ? "Cela s'est fait instinctivement", raconte un observateur de premier plan, au tout début de la crise. Cette source avance deux raisons, une juridique, et une politique. Le spectre, se souvient ce témoin, c'était l'affaire du sang contaminé. Emmanuel Macron, en tant que président de la République, bénéficie d’une immunité totale dans l’exercice de ses fonctions. Mais il y a eu le besoin de protéger Édouard Philippe, le Premier ministre à l’époque, et le gouvernement, pour ne pas paralyser leur action. Juridiquement, cela se conteste : un magistrat peut demander la levée du secret défense. Et par ailleurs, Édouard Philippe ainsi que plusieurs ministres sont poursuivis devant la Cour de justice de la République (CJR).

L’autre raison est politique. Héberger la gestion de crise au conseil de défense, explique ce proche d'Emmanuel Macron, c'est mettre en scène la puissance de la réaction de l'exécutif. Et c'est installer le président de la République dans le rôle de "capitaine de crise". Là, c'est clairement Emmanuel Macron qui barre et qui décide. Lui qui choisit les invités, biffe des noms, en rajoute, préside, en bout de table, et tranche.... Cela, c’était complètement assumé dès le début.

Un écho au "Nous sommes en guerre"

Marlène Schiappa ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur a eu l’occasion d’assister aux deux types de conseil de défense : celui contre l’épidémie, et celui plus classique contre le terrorisme. Pour elle, les dynamiques sont similaires : "On pose de grands enjeux fondamentaux pour la Nation. Chacun éclaire le président de la République dans sa prise de décision et puis ensuite, c’est une manière de se mettre en ordre de bataille autour du président de la République et autour du Premier ministre, pour dérouler les décisions qui seront prises."

Un écho au "Nous sommes en guerre" du discours présidentiel du printemps. Sauf que pour Jean-Philippe Derosier, qui est professeur de droit et constitutionnaliste, c’est là tordre les institutions. Et c’est risqué. "Ce n’est pas contraire au droit parce que le conseil de défense traite ce que le président veut bien lui faire traiter, explique-t-il. Mais c’est surprenant : on s’attend à quelque chose en matière d’opération militaire."

Une crise sanitaire, ce sont les défenses immunitaires à la rigueur, mais ce n’est pas une opération militaire. Quoi qu’en dise le président de la République, nous ne sommes pas en guerre.

Jean-Philippe Derosier, professeur de droit

à franceinfo

"Lorsque l’on fait prendre une décision au sein d’une instance qui n’est pas appropriée, estime Jean-Philippe Derosier, il y a un doute qui peut s’installer, un manque de confiance, et donc potentiellement une contestation, une remise en cause, un manque d’adhésion. Dans un contexte de crise ce n’est jamais sain que d’ajouter de la crise à la crise." Jean-Philippe Derosier pense que puisque la crise dure depuis des mois, il fallait créer une structure spécifique. L’exécutif dénonce une fausse polémique, entretenue par des oppositions qui attaquent sur la forme faute de pouvoir vraiment attaquer sur le fond.

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