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Accès à l'IVG : en France en 2022, le parcours est encore semé d'embûches pour les femmes

Les députés se prononcent jeudi sur l'inscription de l'interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution. Votée en 1975, l'IVG a connu beaucoup d'évolutions, la plus récente étant l'allongement du délai maximum pour avorter, passé de 12 à 14 semaines de grossesse.

Article rédigé par Anne-Laure Dagnet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Docteur Sophie Gaudu, présidente du Revho Réseau d'accès à l'IVG en Ile-de-France montrant la vidéo qui lui sert à former des professionnels de santé à l'IVG instrumentale, le 23 novembre 2022.  (ANNE-LAURE DAGNET / RADIO FRANCE)

Une femme sur trois a recours à une interruption volontaire de grossesse (IVG) au cours de sa vie. Malgré tout il est encore parfois difficile d'avorter en France en 2022. Il faut trouver un médecin ou une sage-femme qui pratique les avortements à proximité du domicile. 

Ensuite, il faut décrocher un rendez-vous avec un professionnel qui accepte de faire l'IVG quel que soit le terme de la grossesse. Là, cela se complique. Sur le papier, depuis la loi adoptée en février 2022 on peut avorter jusqu'à 14 semaines de grossesse, 16 semaines d'aménorhée dans le langage médical. 

Certains hôpitaux refusent de respecter la loi

franceinfo a fait le test en appelant un hôpital dans le centre de la France pour une femme enceinte de 12 semaines qui veut avorter. "La loi c'est effectivement 16 semaines d'aménorhée, concède l'hôpital, Mais nous, dépassé un certain terme, ce ne sera pas par aspiration mais par voie médicamenteuse, comme si vous alliez accoucher." "Parce que par voie médicale, c'est compliqué pour les médecins", ajoute la femme au téléphone.

Ce qui est proposé est d'avorter en prenant des médicaments qui vont stopper la grossesse et provoquer un accouchement. Ce qui n'est pas du tout recommandé à 12 semaines de grossesse, et qui n'est pas remboursé. Ce qui aurait dû être proposé est une IVG instrumentale, avec aspiration et sous anesthésie. 

Cette problématique des hôpitaux qui ne respectent pas la nouvelle loi concerne surtout sur les grossesses tardives, qui nécessitent l'intervention d'un médecin. "On nous a signalé que dans certains établissements, il y a certaines réticences tant du gynécologue que du personnel qui doit participer", reconnaît la présidente du collège national des gynécologues et obstétriciens, Joelle Belaish Allart. "Par exemple cela peut être les équipes d'un bloc opératoire qui disent à l'opérateur : 'Non désolé, clause de conscience, c'est trop horrible, on ne veut pas voir ça, on ne le fera plus'." 

IVG tardives plus compliquées

Parfois les équipes estiment qu'elles ne sont pas assez formées pour pratiquer une IVG tardive. C'est le cas à l'hôpital de Cambrai ou de Valenciennes et encore récemment à Lille, qui refusait de pratiquer les IVG entre 12 et 14 semaines de grossesse et qui envoyait les femmes en région parisienne. 

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Le nombre d'avortements est stable depuis dix ans, on en recense autour de 225 000 par an. D'après la présidente du Revho (le réseau d'accès au soins à l'IVG en Ile-de-France) Sophie Gaudu, ce sont bien les IVG tardives  qui concernent moins d'un avortement sur cinq  qui posent problème.

"Avec un diagnostique tardif de grossesse, trouver un rendez-vous peut être compliqué. Et là il peut y avoir une partie des femmes qui iront à l'étranger parce qu'elles ne trouveront pas de rendez-vous dans les délais comme c'était le cas quand la loi était à 12 semaines de grossesse."

Sophie Gaudu

à franceinfo

Mais les avortements à l'étranger concernent une minorité de femmes. En 2018 elles étaient entre 1 500 et 2 000, selon un rapport du Comité d'éthique.

Celles qui avortent en France sont parfois confrontées à des attitudes du corps médical très difficiles à vivre, voire qui s'apparentent à de la maltraitance. "On se permet de faire des réflexions  à des femmes qu'on ne se permettrait pas de faire dans d'autres types de circonstances", dénonce Véronique Séhier qui travaille au Planning familial dans le département du Nord. "Par exemple, 'Vous l'avez bien cherché' ou alors pendant une échographie, on dit 'Regardez son petit cœur qui bat', 'Pas d'anesthésie, vous saurez pourquoi...'"

Pression des anti-IVG

L'IVG est un acte peu valorisé, peu rémunéré et cela n'incite pas les professionnels à le pratiquer. La pénurie de praticiens joue aussi dans ce domaine. Il est plus compliqué d'avorter dans un désert médical. Alors pour pallier ce problème, depuis 2016 les sages-femmes sont autorisées à pratiquer les IVG médicamenteuses mais elles doivent signer une convention avec un hôpital. Selon la présidente de l'organisation nationale syndicale des sages femmes, Camille Dumortier, ce n'est pas toujours évident. 

"Certaines sages-femmes qui aimeraient pouvoir proposer à leurs patientes des IVG médicamenteuses ne peuvent pas le faire, explique-t-elle, parce que l'établissement voisin refuse d'établir une convention." "Certains médecins qui vont jusqu'à dire : 'il est hors question que je rattrape les âneries des sages-femmes', ajoute-t-elle, et on a aussi des sages-femmes qui ont reçu du courrier anti-IVG dans leur boîte aux lettres."

Les anti-IVG font aussi pression sur les députés qui vont débattre jeudi 24 novembre de l'inscription de l'IVG dans la Constitution. Certains ont reçu un courrier d'une association pro-life avec un petit embryon en plastique scotché à la lettre.

 Lettre d'un mouvement anti-IVG envoyée à un député français. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

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