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Le brief éco. "Paradise Papers" : la longue traque contre l’évasion fiscale

L'enquête des "Paradise Papers" pose la question de la différence entre "fraude" et "évasions" fiscale.

Article rédigé par franceinfo, Emmanuel Cugny
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Une tablette où figure le dossier "Paradise Papers". (MAXPPP)

Près de sept millions de documents étudiés par les 380 journalistes qui ont travaillé sur les "Paradise Papers", proviennent du cabinet Appleby. Appleby est un cabinet d’avocats spécialiste de l’optimisation fiscale complexe, créé au XIXe siècle par un Britannique, Reginald Woodfield Appleby. Le cabinet est aujourd’hui installé dans une dizaine d'Etats dont les Bermudes, les îles Vierges britanniques ou les îles Caïmans. Appleby étudie minutieusement la législation et les potentialités de chaque endroit où ses sociétés clientes envisagent d’ouvrir une succursale. Chaque bureau du cabinet a son expertise, en fonction des avantages fiscaux de chaque territoire. Appleby a plutôt bonne réputation. Il n’est pas mêlé à des affaires de corruption comme l’était le cabinet Mossack Fonseka, basé au Panama, trou noir de la régulation financière, à l’origine des Panama Papers. En clair : l’argent dont il est question ici a été soustrait à l’impôt légal, le plus souvent, grâce à l’exploitation du système fiscal international.

Le préjudice de la fraude fiscale évalué à 70 millions pour l'UE

Fraude ou évasion fiscale ? C'est le juge qui estime en fonction des cas, il décide en dernier ressort. Faire de l’optimisation fiscale, c’est utiliser tous les systèmes légaux. La fraude fiscale est plus facile à déterminer. Mais quelles frontières déterminer entre fraude et évasion ?

Dans le cas des "Paradise Papers" les problématiques sont légales, donc facilement plus proches de l’abus de droit.

Par définition, chiffrer précisément la fraude fiscale est très difficile. Selon le FMI, 5 500 milliards d’euros transiteraient chaque année par les paradis fiscaux. Si on s'arrête sur le seul cas européen, le consortium de journalistes a demandé une évaluation au jeune économiste Gabriel Zucman, professeur assistant à l’université de Berkeley aux Etats-Unis. Selon ses travaux, le système coûte chaque année à l’Union européenne un manque à gagner de 70 milliards d’euros. Pour la France, le préjudice s’élèverait à 11 milliards d’euros.

Les paradis fiscaux au menu des G20 depuis des années

La lutte contre l’évasion fiscale est une vieille rengaine de nos dirigeants, notamment lors des réunions du G20 (les 19 pays les plus riches de la planète plus l’Union européenne). "Les paradis fiscaux, c’est terminé", déclarait Nicolas Sarkozy en 2009, à l’issue du sommet du G20 de Londres. En 2013, le sujet n’est toujours pas réglé puisqu’il était de nouveau sur la table d’un autre G20. Depuis, on renforce les législations, mais lorsqu’il s’agit d’appliquer, chaque pays se réfugie derrière son propre système.

Il y a la complexité des règles fiscales internationales. Le droit fiscal aujourd’hui en vigueur date de 1928. Sans parler des paradoxes criants. Exemple, dernièrement : le tribunal administratif a donné raison au géant informatique américain Google  qui contestait un redressement fiscal d'un milliard d'euros. Les juges ont estimé que la filiale irlandaise de Google, responsable de l'ensemble des opérations européennes du groupe, n'était pas imposable en France, pour une raison très simple : Google ne dispose pas d'établissement "stable" en France. "Stable", au sens où le plus gros de son activité sur le sol français (la mise en ligne des petites annonces des clients) est validée en Irlande.

Première avancée, l'échange automatique des données

La loi Sapin 2 promulguée en décembre 2016 et relative à la transparence et à la corruption dans la vie économique fait partie des avancées notables (nouveau cadre juridique, notamment pour les entreprises tenues à de nouvelles règles préventives contre la corruption et le trafic d’influence).

L’OCDE y travaille d’arrache-pied. Avec le dispositif "BEPS", qui vise à lutter contre l’érosion de la base fiscale des entreprises. Grâce, aussi, à un accord conclu sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économique en 2014 : depuis fin septembre 2017, 50 pays échangent automatiquement des informations bancaires sur leurs résidents. 95 pays ont signé, mais pas les Etats-Unis. D’autres l’appliqueront uniquement à partir de sept 2018 (Autriche, Suisse). Toutes ces initiatives commencent à porter leurs fruits : les banques suisses ne prennent plus de clients qui ne déclarent pas leurs actifs.

Deux mots clef : transparence et régulation

Sans transparence ni régulation, l’économie de marché risque d’exploser. Les dispositifs anti-fraude fiscale, c’est comme les crises financières : on dit à chaque fois qu’on a tiré les leçons des précédentes et on refait les mêmes erreurs, parfois plus pernicieuses. Le sujet est d’ordre moral et politique. C’est de la responsabilité publique d’Etats démocratiques de légiférer.

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