Lutte anti-dopage : Qui était Werner Franke, "chasseur de dopage" le plus charismatique d’Allemagne décédé lundi ?
L’intrus de l’actu donne chaque soir un coup de projecteur sur une personnalité qui aurait pu passer sous les radars de l’actualité.
Ceux qui le connaissent le présentent souvent comme le chercheur qui a révélé le dopage d’État en ex-RDA. Et ils ont raison. Mais Werner Franke restera aussi, et c’était peut-être encore plus audacieux, comme celui qui a fait la même chose pour l’Allemagne de l’Ouest. C'est son fils, prénommé Ulrich ! comme le coureur allemand qui a annoncé sa mort à 82 ans d’une hémorragie cérébrale, lundi 14 novembre 2022.
Il est né à une époque où il n’y avait ni Ouest ni Est mais une seule Allemagne. En janvier 1940 en pleine guerre. Il grandit en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, à l'Ouest donc après la partition de l’Allemagne en 1945. Études de chimie, biologie, physique à l'Université de Heidelberg. Et un petit côté artiste aussi, on est dans les années 60, il est notamment auteur de cabaret à ses heures. Son doctorat en poche, il enseigne à Heidelberg, prend la tête d'un département au Centre de recherche sur le cancer et devient progressivement une référence en biologie moléculaire. EN 1982 – à 42 ans - il préside même l’Organisation européenne de la spécialité, et ce jusqu’en 1990.
Les Jeux de Mexico comme détonateur pour ses recherches
C’est par sa femme qu’il en vient à s’intéresser au dopage. Brigitte Berendonk est une ancienne championne de disque, athlète Est-allemande pour le coup. Brigitte lui raconte les JO de 68 qu’elle a disputé à Mexico et elle l’interroge : "Les voix masculines des athlètes femmes et la pilosité anormale, les cheveux qui poussent si vite : est-ce que la science s’est déjà penchée sur le sujet ? "
C’est le début d’une deuxième carrière qui va l’occuper pendant 30 ans, jusqu’à son dernier souffle ! La chute du Mur de Berlin en 1989 accélère leurs recherches. Ils mettent la main sur des documents secrets à l’Académie de médecine militaire de Bad Saarow. Et mettent au jour un véritable système de dopage d’Etat dans l’ex RDA.
Leur livre De la recherche à la fraude qui sort en 1991 fait l’effet d’une bombe. Le retentissement est mondial. Ils donnent des noms, d’athlètes, d’entraîneurs, d’officiels les instructions, les dosages. Franke se retrouve au cœur d’une centaine de procès, les gagne pratiquement tous. Et comprend petit à petit que l’Occident n’est pas plus vertueux.
A l'Ouest, c’est le cyclisme qu’il soupçonne dans un premier temps. Plus tard il y aura le foot, mais au départ c'est vraiment le vélo, et son icône en Allemagne dans les années 90 : Jan Ulrich ! Seul coureur allemand à avoir jamais gagné un Tour de France en 1997. Grand rival de Lance Armstrong dans les années de règne de l'américain. Ulrich finalement rattrapé en 2006 par son ADN qui atteste qu'il était un client du sulfureux docteur espagnol Fuentes. Et là, Werner Franke ne va plus le lâcher. Bagarre judiciaire avec une plainte pour parjure devant le tribunal de Hambourg : il accuse Ulrich d'avoir menti sous serment. Il sort les chiffres, révèle qu'il a payé 35.000€ de produits dopants au docteur Fuentes en 2004, 120.000€ en 2005 et 2006. À chaque fois, le coureur porte plainte en retour. Mais au bout de quatre ans, la justice donne raison... au chercheur !
Critique vis-à-vis des instances anti-dopage
Des années plus tard en 2013, quand le coureur reconnaît finalement s'être dopé et qu'il est déchu de sa victoire du Tour 97, Werner Franke ne boude pas son plaisir et ironise : "C'est un nouveau record d'Europe du mensonge", dit-il, pour quelqu'un "qui avait écrit en quatre langues qu'il ne connaissait pas ce docteur Fuentes".
Werner Franke ne s’est pourtant jamais engagé dans les instances officielles pour lutter contre le dopage. Il les a toujours jugées pas assez indépendantes, que ce soit l'Agence Mondiale anti-dopage ou l'agence allemande. Il critiquait même l'association de défense des victimes du dopage qu'il avait pourtant co-fondée : pas assez scientifique à ses yeux. Très critique aussi sur les tests eux-mêmes.
Ces dernières années, il était devenu la grande gueule anti-dopage, invité à commenter chaque scandale ."Je méprise le sport allemand" - ça c'est le jour de ses 80 ans. Orateur aussi désabusé que brillant et plein d'autodérision : "je vois plus loin, mais ce n'est pas nécessairement plus intelligent."
C'est peut-être ce journal sportif qui a trouvé la formule la plus subtile pour décrire le role historique qu'aura joué Werner Franke, il était "Le chasseur de dopage le plus connu d'Allemagne".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.