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L'interview éco. Jean Pisani-Ferry : les dirigeants français font des "erreurs économiques" parce que "le système est devenu très complexe"

Jean Pisani-Ferry, commissaire de France Stratégie, est l'invité éco d'Emmanuel Cugny, vendredi 2 décembre.

Article rédigé par franceinfo
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Jean Pisani-Ferry. (FRANCEINFO)

"Le système est devenu très complexe", selon Jean Pisani-Ferry, commissaire de France Stratégie, ce qui explique en partie les "erreurs" économiques des dirigeants français. Le co-auteur de l'ouvrage A qui la faute, comment éviter les erreurs économiques ? (Fayard) a expliqué sa théorie vendredi 2 décembre sur franceinfo.

Dans son ouvrage, Jean Pisani-Ferry fait une "autopsie des erreurs en politique économique" et estime que la plus grave erreur des dirigeants français est qu'ils ne prennent pas en compte la complexité de notre système économique.

"Chaque trimestre, on bricole"

"Le système est devenu très complexe et donc, prendre une petite mesure qui améliore en principe les choses marginalement, cela peut très bien avoir des effets contre-productifs, voire ne pas avoir d'effet du tout. Par exemple, la situation de l'emploi. On a empilé au fil des années toute une série de dispositifs qui, chacun, visent à traiter un problème particulier. Au fur et à mesure qu'on empile, on crée un système d'une énorme complexité et, quand on fait une réforme partielle, on a beaucoup de mal à en voir les effets. (…) Le problème de la méthode française, c'est que sur toute une série de sujets, chaque gouvernement essaie de faire un petit bout de chemin avant de passer le bâton au suivant. Vous savez combien on a fait de lois qui touchent au marché du travail depuis 15 ans ? Une par trimestre. Chaque trimestre, on bricole, on change un petit peu quelque chose. On a fait quatre réformes des retraites en 20 ans. Si j'entends bien on va faire la cinquième au cours du prochain quinquennat. C'est tout sauf ce que nous apprennent un certain nombre d'exemples étrangers, dans lesquels on met son capital politique sur une réforme qui transforme et on essaie de créer de la stabilité."

"On persiste dans un diagnostic erroné"

Les crises économiques ont-elles toujours les mêmes causes et les mêmes effets ? Est-ce toujours le fait d'une somme d'individualités et d'un manque de faire-ensemble ? "Non, ce ne sont pas toujours les mêmes causes et les mêmes effets. La chute de Lehman Brothers, ce sont des gens qui essaient d'empêcher la faillite de cette banque, mais qui n'anticipent pas qu'ils n'ont pas le capital politique qui leur permet d'obtenir des ressources publiques. A un moment, ils buttent sur le fait que les solutions sur lesquelles ils travaillent ne marchent pas et ils baissent les bras. Si vous prenez la crise dans la zone euro, ce n'est pas ça. C'est une persistance dans un diagnostic erroné, selon lequel le problème européen est un problème budgétaire, alors que c'est un problème de faiblesse de la reprise. L'ajustement budgétaire, il va falloir le faire, mais il vient trop tôt, il a des conséquences trop fortes, et on persiste pendant plusieurs années parce qu'on se fie un peu trop aux règles qu'on a fixées ensemble. (…) Les gouvernants portent la première responsabilité, il ne faut pas les en exonérer. Mais ils travaillent dans un système, ils travaillent avec un environnement, dans un débat. Une des manières d'améliorer les choses, c'est aussi d'avoir un débat de meilleure qualité, d'avoir plus de controverses, d'aller au fond des désaccords et pas simplement de se limiter aux invectives."

"Les Français ont une vision plus pessimiste que ce que disent les chiffres"

Dans un rapport de France Stratégie sur les lignes de faille, paru récemment, on voit que les divisions en France sont perçues comme menaçantes et indépassables. "Ce qui est caractéristique de la situation française, c'est que les Français ont une vision sur les divisions au sein de la société qui est beaucoup plus pessimiste que ce que disent les chiffres. Si vous demandez aux Français s'ils ont peur de la pauvreté, ils ont beaucoup plus peur que les Espagnols, pourtant il y a beaucoup moins de pauvreté en France qu'en Espagne. Il faut analyser les raisons de ce désajustement. Il ne s'agit pas de dire que les Français ont tort, mais qu'il y a les chiffres d'un côté et la manière dont les gens les vivent de l'autre. Cela désigne une défiance de la capacité de nos institutions, de notre système politique, de nos méthodes collectives à régler les problèmes. Vous pouvez être dans une situation très difficile, si vous avez confiance dans vos institutions, dans votre capacité de rebond, vous êtes moins pessimistes. Si vous n'avez pas confiance dans votre capacité de rebond, alors là, n'importe quelle difficulté est amplifiée. Ce n'est pas simplement la confiance envers les dirigeants, c'est la confiance collective d'une société dans ses propres capacités."

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