Discours de Gabriel Attal : "La smicardisation de la France, c'est le bilan dont il est porteur", réagit la CFE-CGC
"Désmicardiser la France", "inciter toujours plus à la reprise du travail", le Premier ministre Gabriel Attal, a prononcé son discours de politique générale, mardi 30 janvier à l'Assemblée nationale. Il s'est adressé en priorité aux classes moyennes avec un discours axé sur le travail. Il a confirmé, notamment, que les bénéficiaires du RSA seront soumis à 15 heures de travail hebdomadaire à partir de janvier 2025.
François Hommeril, président de la CFE-CGC, le syndicat des cadres a réagi à ces déclarations sur franceinfo.
franceinfo : Le chef du gouvernement a-t-il raison de vouloir "désmicardiser la France" ?
François Hommeril : Oui, il a raison. Après, pour la méthode, je suis un peu perplexe. La CFE-CGC, est le syndicat des techniciens, des agents de maîtrise, des cadres, et on se sent très concerné par les conséquences de ces politiques salariales qui nous ont amenées aujourd'hui à constater une perte de pouvoir d'achat de l'ordre de 15 à 30%, suivant la catégorie à laquelle on appartient, dans la classe moyenne.
17% des salariés sont aujourd'hui au Smic et ça ne fait qu'augmenter…
C'est normal ! Quand on a une politique de précarisation, d'ouverture de la trappe à bas salaires, il ne faut pas s'étonner après qu'il y ait de plus en plus de personnes dans cette trappe. Ce que nous dit Gabriel Attal, ça me fait penser à la campagne électorale de José Manuel Barroso, il y a dix ans, à la Commission européenne, et finalement, qu'on aurait pu qualifier par le slogan suivant : "Nous allons continuer à faire de plus en plus ce qui ne marche pas". On en est là aujourd'hui. C’est-à-dire que Gabriel Attal se revendique d'un bilan qu'il dit être positif mais qui est en fait négatif. Il le dit lui même, après, en constatant la "smicardisation" de la France. C'est son bilan d'une certaine façon, c'est le bilan dont il est porteur, dont il dit qu'il est très bon. Donc il y a une forme de paradoxe : pour régler ça, il propose de continuer à faire encore plus de ce qu'on a fait.
Gabriel Attal dit : "Nous devons faire évoluer un système qui a conduit à concentrer nos aides, nos exonérations au niveau du Smic". Avez-vous compris ce qu'il entend par "désmicardiser la France" ?
Non, je n'ai pas compris du tout. Moi je sais comment marche le phénomène de smicardisation. Pour le coup, c'est tout simple : c'est simplement de dire aux gens "nous n'allons pas vous augmenter au niveau de l'inflation et vous allez vous contenter de ça." Et petit à petit, on déclasse les salaires.
"On parle souvent du privé, mais il faut quand même rappeler que dans la fonction publique, la perte de pouvoir d'achat sur 30 ans est de l'ordre de 30%."
François Hommerilfranceinfo
Et c'est encore pire dans les organismes, comme la Sécu, etc, qui sont encore plus décrochés que la fonction publique. Donc on a de fait un problème. Je crois que tout le monde a vu ces enquêtes de classement dans l'OCDE, par exemple, sur les rémunérations des professeurs des écoles notamment. On voit que la France est quasiment bon dernier, avec la moitié de rémunération par élève et par heure par rapport à l'Allemagne. Donc là, on a vraiment un sujet. Moi, je ne sais pas si le Premier ministre veut vraiment s'attaquer à ce sujet-là. Alors, à l'évidence, il faut qu'on y travaille.
Pour vous, comment on s'y attaque ?
Ça ne peut pas être avec les mêmes méthodes, qui nous ont amené jusque-là et qui justement consistent à favoriser les emplois peu qualifiés. Je pense que c'est très important d'intervenir dans l'économie et c'est très important aussi de soutenir en terme d'emploi les personnes qui ont peu de qualifications. Mais soutenir les personnes qui sont plus fragiles vis-à-vis de l'emploi et promouvoir la création d'emplois non qualifiés, ce sont deux choses différentes. Et Bruno Coquet, qui est chercheur à l'OFCE, a rendu un rapport il y a quelques jours dans lequel il dit que la politique de la France en matière de soutien à l'emploi est géniale, parce qu'on a soutenu la création d'emplois peu qualifiés. On l'a tellement bien fait que maintenant, on n'arrive même plus à les pourvoir. Il n'y a plus assez de personnes pour les pour les occuper ces emplois.
Il faut aussi inciter à la reprise d'un travail, dit Gabriel Attal. Il confirme que les bénéficiaires du RSA seront soumis à 15 heures de travail hebdomadaire à partir de janvier prochain. Il annonce également la suppression de l'allocation de solidarité spécifique. Est-ce une bonne mesure ?
Non. Il y a deux choses qui sont vraiment insupportables dans ce discours. Première chose : considérer que quand les personnes ne retrouvent pas d'emploi, c'est de leur faute. Ça, c'est vraiment insupportable parce que c'est un mensonge absolu. C'est un mensonge qui dénie toutes les études en la matière, ce qu'on appelle l'aléa moral, c’est-à-dire la faculté qu'a une personne à ne pas rechercher activement de l'emploi, quand bien même il est indemnisé, c'est de l'ordre de moins de 10%. Toutes les études le montrent.
"Plus de 90% des personnes qui sont au chômage aujourd'hui recherchent activement de l'emploi."
François Hommerilsur franceinfo
Et Gabriel Attal vient de nous dire "Moi, je suis un génie. Je sais que si les gens ne retrouvent pas d'emploi - parce que, bien sûr, il y a des postes disponibles - c'est qu'ils ne font pas l'effort suffisant". Et ça, c'est insupportable parce que c'est un mensonge et c'est une dénégation de la vérité scientifique. Deuxième chose : sur la mesure qui consiste à faire basculer les gens de l'Allocation de solidarité spécifique (ASS) au RSA, il faut savoir - d'ailleurs lui-même ne s'en cache pas - que ça vient les priver des trimestres qu'ils accumulent dans le dispositif de l'ASS pour la retraite. Vous voyez encore le paradoxe dans le discours quand on nous disait, il y a presque un an maintenant, sur les fameux 1 200 euros de retraite minimum : "Oui, mais ce sont pour les gens qui ont une retraite complète". Effectivement, ils ont pu affronter des situations de grande précarité pendant l'emploi, mais à la retraite, on va quand même les aider un peu. Et là, par cette mesure, il vient dire les gens qui ont la carrière incomplète qu'en fait, ils vont se retrouver encore plus avec une carrière incomplète quand ils seront en retraite. C'est évidemment inadmissible.
Gabriel Attal demande aussi aux ministères d'expérimenter "la semaine en quatre jours". Y êtes-vous favorable en tant que syndicat ?
Je vais vous dire quelque chose. Quand, il y a presque 25 ans, on met en place le forfait jour, sans référence horaire. Nous, la CFE-CGC, on a alerté en disant "attention, la référence horaire, c'est important parce que la journée n'est pas extensible à l'infini et il va y avoir des conséquences en matière de santé publique". On a porté, nous, à la CFE-CGC, cinq contentieux, et y compris devant la Cour de justice européenne, pour dénoncer le sur-abus des forfaits jours sans référence horaire.
C'est ça qui se profile en faisant une semaine en quatre jours ?
On a constaté l'explosion des risques psychosociaux. Moi je dis que les risques psychosociaux, c'est l'amiante de demain, il faut arrêter de se mettre la tête dans le sable. Et que vient nous dire Gabriel Attal finalement ? "Vous n'en avez pas assez ?" Je parle de ma fenêtre, de l'encadrement des cadres, des agents de maîtrise et techniciens. On a déjà pas assez d'avoir des journées à rallonge sur cinq jours. Il vient dire finalement "vous allez faire la même chose mais en quatre jours et c'est super, tout le monde sera content". Non. En fait, tout le monde ne sera pas content. La question qu'il faut se poser aujourd'hui, c'est effectivement du sur-abus des tâches, de l'organisation, des indicateurs, etc. Mais je suis d'accord, c'est un autre sujet.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.