Alimentation : "Les prix d'achat des distributeurs auront des hausses limitées", déclare le médiateur des relations commerciales agricoles

Les négociations commerciales agricoles se sont tenues entre le 1er décembre dernier et le 31 janvier, pour les produits à marques nationales, dans un contexte d'inflation qui reflue désormais. Notre invité, Thierry Dahan, dresse un bilan des négociations passées.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8 min
Thierry Dahan, médiateur des relations commerciales agricoles. (RADIOFRANCE)

Le principe général des lois EGalim est de permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail, notamment en les protégeant de la guerre des prix entre d'un côté la grande distribution, et de l'autre les industriels de l'agroalimentaire. Thierry Dahan, médiateur des relations commerciales agricoles, qui a été nommé par le gouvernement fin 2021, remet en cause un manque de directivité de la loi concernant les prix décidés à l'année.

franceinfo : Si on résume votre rôle, peut-on dire qu'il s'agit de faciliter les dialogues entre les parties quand on n'arrive pas à trouver d'accord ?

Thierry Dahan : Oui, à chaque fois qu'un contrat concerne des produits agricoles comme le lait, le blé, l'huile - qu'ils soient transformés ou simples -, notamment au moment de les vendre à la grande distribution pour les vendre aux consommateurs, on peut faire appel à moi quand on n'est pas d'accord.

Sous votre égide, il y a l'Observatoire de la négociation commerciale qui dresse un bilan de ces négociations. Cette année, les industriels ont demandé en moyenne une hausse de tarifs à 4,5%, avec des écarts selon les types de produits.

Ce qui est normal puisque si vous avez des produits qui augmentent, c'est normal que vous demandiez des hausses. Par exemple, l'huile d'olive a augmenté et puis les céréales ont baissé, donc on n'a pas demandé de hausses pour les céréales.

Et quand ils ont obtenu, au final ?

En gros, il y a un accord pour dire que ça a été moins de 1% cette année pour ces prix de gros.

Finalement, y a-t-il des distributeurs sont plutôt satisfaits, des industriels moins satisfaits, des fournisseurs déçus ?

Ça dépend des produits et des industriels. Mais disons que par rapport aux deux années précédentes, où il y avait eu beaucoup de hausses, et beaucoup de craintes de faire passer ça aux consommateurs, cette année, normalement, les hausses vont être limitées. Mais on verra dans les rayons, parce qu'après tout, les grandes surfaces peuvent aussi augmenter leurs marges. Lorsque vous avez des hausses générales, par exemple de l'énergie, des salaires, alors les distributeurs aussi doivent couvrir leurs coûts. Donc, il se peut que la hausse soit plus importante.

Sont-elles toujours difficiles, ces négociations ?

En tout cas, avec la loi EGalim, c'est difficile puisqu'il y a un enjeu particulier, qui est de ne pas pouvoir négocier les hausses de matières premières agricoles. C'est le cœur de la loi EGalim. Donc évidemment, si on n'est pas d'accord sur la quantité qu'on ne doit pas négocier, ça devient vite difficile. Si par exemple, vous demandez 4% dont 2% de hausse agricole, les 2% sont acquis, vous n'avez pas le droit de les négocier. Alors évidemment, si vous n'êtes pas d'accord là-dessus, c'est mal parti.

C'est la troisième série de négociations sous la loi EGalim. Si c'est aussi difficile, est-ce parce que ça ne marche pas ?

La loi a voulu préserver le pouvoir de négociation des contractants et n'est pas assez directive. On a laissé plusieurs options, dont une très ouverte, la fameuse option 3, où on ne dit pas grand-chose sur les prix agricoles.

Il faudrait qu'elle soit plus directive ? À quel sujet et envers qui ?

Je pense que la loi et la manière dont les acteurs la pratiquent sont un peu influencées par une image qu'il faut écarter à mon avis, qui est l'image de l'indexation. Vous voyez le prix de l'essence à la pompe ? Le prix du pétrole augmente, le prix de l'essence à la pompe va augmenter. On n'est pas du tout dans ce schéma-là ici. Lorsque vous passez un contrat pour un an, vous vendez du beurre, des yaourts ou des madeleines, votre contrat est passé pour un an, vous n'allez pas indexer. Donc il faut avoir un prix indicateur qui permet de dire que le prix de 2024 ne va pas être celui de 2023, c'est tout. Et là-dessus, il faut être beaucoup plus exigeant en termes de méthode, ce que ne fait pas la loi et ce qui est, à mon avis, la critique principale.

Mais comment être sûr que les industriels jouent le jeu lors de ces négociations ?

Le problème aujourd'hui, c'est de vouloir absolument faire une sorte de méthode inquisitoriale, où on va regarder dans leurs factures exactement combien ils ont acheté. En réalité, ça ne sert strictement à rien, de mon point de vue, puisque de toute façon, on a un contrat qui va durer un an. Et ils vont acheter différemment au mois d'avril, au mois de juillet ou au mois de septembre. Donc on a besoin d'une méthode partagée sur lequel les grandes surfaces et l'industriel seront d'accord, en disant voilà, on a des indicateurs de marché, de contrats. Le beurre a pris 5%, l'huile végétale a baissé de 5%. Tout ça est public. On va vous donner une méthode qui permet de recaler nos produits en fonction de ces indicateurs publics. C'est ça que j'appelle les prix normatifs.

Et là, le premier maillon de la chaîne, les agriculteurs eux-mêmes, s'y retrouverait ?

Ils ne sont pour l'instant pas tellement concernés puisque la loi EGalim. Encore une fois, c'est une loi qui aujourd'hui pour son point de départ, c'est-à-dire la contractualisation, a une base très étroite, qui est à 90% le lait, pour des raisons techniques que je ne peux pas expliquer ici, mais parce que c'est un produit qui se prête bien à la contractualisation. Il y a une obligation pour la viande de bœuf, qui a commencé à être mise en place, mais elle est très limitée. Il y a des organisations où il y a des prises en charge des coûts de production dans la volaille par exemple, mais c'est quand même très limité. Et il y a des produits qui sont explicitement en dehors de EGalim : les fruits et légumes frais et le poisson, les céréales non transformées, etc. Donc il y a une image d'EGalim qui doit concerner tous les agriculteurs. En réalité, ça n'en concerne qu'une partie.

Le gouvernement en a parlé, les systèmes des centrales d'achat européennes sont-ils un contournement de EGalim pour vous ?

Oui dans la mesure où Leclerc le fait depuis cinq ou six ans, vous avez les trois principaux industriels français du lait, c’est-à-dire Lactalis, Président, Danone, qui négocient hors EGalim à Bruxelles. Donc il y a deux choses contradictoires. Le seul secteur où EGalim peut marcher, c'est le lait, et les grandes distributions sortent d'EGalim en allant négocier à l'étranger. Effectivement, le lait c'est le vaisseau amiral d'EGalim. Si on commence à partir à l'étranger à ne plus appliquer la loi, ça va être difficile.

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