Toulouse : le deuil et les questions
Au sommaire : les suites des drames de Toulouse et Montauban
L'invité de l'Hyper revue de presse : Jean-Claude Souléry, rédacteur en chef de la Dépêche du Midi.
La tuerie de Toulouse, c'est encore ce matin la Une de nos quotidiens...
Et c'était bien sûr avant l'opération policière de cette nuit, mais c'est toujours la même tonalité qui domine : "La nation en deuil" à la une Une de Nice-matin, "La France recueillie", c'est la Une de l'Ardennais... "Angoisse et recueillement" pour Ouest France, "receuillement" encore pour la Voix du Nord et la Provence, et la "Communion dans la douleur" pour le Télégramme...
"Jour de deuil" à la Une du Figaro, deuil en France comme en Israël... "Deuil partagé", c'est la manchette de la Croix, qui évoque ce "profond besoin de rassemblement", du côté des responsables juifs comme musulmans, qui appellent à une marche silencieuse commune dimanche à Paris, pour que la terreur ne gagne pas, la Croix qui parle de "dignité partagée", et de témoignage de fraternité bien plus fort que les mots... La "solidarité contre la haine", c'est aussi le titre de l'Humanité, tandis que le Parisien et Aujourd'hui en France racontent comment avait commencé la traque de l'ennemi public numéro 1, une chasse à l'homme sans précédent, qui a donc semble-t-il abouti cette nuit à cette opération policière...
Il y a la traque, il y a aussi plus largement l'impact de cette affaire évoqué dans la presse...
"L'impact", c'est le titre à la Une de Libération... S'en tenir au deuil, participer à l'élan républicain, pour Libération, il n'est pas d'autres impératifs après le drame de Toulouse. Libération qui rejoint le Figaro sur le même constat catégorique... Pour Vincent Giret dans Libération, comme pour Yves Thréard dans le Figaro, il y a des amalgames à bannir. Certains, écrit Libération, certains ont pu laisser entendre qu'un "climat" ou des "mots" auraient pu fabriquer l'infernale mécanique de ce fait divers.
Ceux-là pour Libération commettent l'erreur la plus grave, et même une faute. Car pour Libération, il n'est ni sérieux ni digne de lier les drames de Toulouse et de Montauban avec les poussées de fièvre de la société française. La vérité impose de dire aujourd'hui que ces problèmes se posaient avant et après Toulouse et Montauban, et exactement dans les mêmes termes.
La même idée avec d'autres mots pour Yves Thréard, cette fois dans le Figaro, pour qui la campagne présidentielle française n'attise pas davantage les haines que les précédentes. L'idée, selon laquelle cette campagne se déroulerait dans un climat délétère n'est diffusée, écrit le Figaro, que par ceux qui y ont peut-être intérêt...
Mais pour Yves Thréard, ce qu'il faut garder à l'esprit, c'est d'abord qu'au-delà de possibles dérapages, les crimes les plus odieux commis par un tueur solitaire ne disent rien de l'état d'une société. Libération et le Figaro reprennent d'ailleurs tous les deux dans leur éditorial des propos de Richard Prasquier, le président du Conseil représentatif des institutions juives de France... Dans Libération, cette phrase : "l'homme qui a tiré un gosse par les cheveux pour lui loger une balle dans la tête ne l'a pas fait parce qu'il a entendu telle ou telle remarque au sujet de l'abattement rituel".
Et dans le Figaro cette autre petite phrase de Richard Prasquier : "On ne sait pas quelles sont les motivations du tueur, mais on sait très bien que ce n'est pas l'ambiance générale qui l'a fait basculer dans la préparation de ces actes". Il a mille fois raison, conclut le Figaro.
Et pourtant tout le monde n'est pas d'accord avec cette position affichée dans le Figaro et dans Libération...
C'est entre autres l'Humanité qui brise cet apparent consensus. Pour l'Humanité, la mise en cause des discours racistes prend de l'ampleur... L'Humanité qui parle du racisme, cette fleur du mal cultivée en France, et qui se demande si le pouvoir n'a pas contribué à instaurer un climat de haine... L'Humanité qui rappelle les déclarations de Claude Guéant sur "les civilisations qui ne se valent pas", et sur "l'accroissement du nombre de musulmans en France", dont "un certain nombre de comportements posent problème". Pour Patrick Apel-Muller dans l'Humanité, "les larmes n'effacent pas l'encre des diatribes contre les immigrés".
L'Humanité cite d'ailleurs François Bayrou, quand il disait "qu'il faut réfléchir aux causes indirectes de cette folie meurtrière"... Une petite phrase qui a frappé les éditorialistes, comme Didier Louis du Courrier Picard, pour qui François Bayrou s'est aventuré sur un terrain dangereux en induisant un lien entre un drame et un langage de haine tenu par des responsables politiques.
Jacques Camus constate également dans la République du Centre que François Bayrou mais aussi François Hollande ont rompu la trêve politique de façon plutôt insidieuse, en se livrant à des attaques biaisées qui visaient évidemment, sans le dire, le chef de l'Etat.
Pour la République du Centre, évoquer comme François Hollande des "paroles qui libèrent", c'est céder à l'amalgame, et dire comme François Bayrou que la tuerie de Toulouse "trouve ses racines dans l'état d'une société", c'est un raccourci abusif.
Débat qui agite la presse car au contraire, pour Michel Urvoy dans Ouest France, le moment était peut-être mal choisi, mais François Bayrou a eu raison d'expliquer qu'à force d'entretenir sur les estrades et sur internet les tensions qui minent la société, ces tensions finissent par s'échapper en jets de violence. Pour Ouest France, la folie, pour ne pas dire l'innomable, ne saurait devenir une dispense commode de réfléchir aux causes du drame...
Ce qui pose aussi la question de la trêve politique après le drame : un blocus verbal évoqué par Yann Marec dans Midi Libre, blocus dont François Bayrou, Jean-Luc Mélenchon ou Nathalie Arthaud, qui parle de la comédie de l'union nationale, n'ont pas voulu tenir compte
Trêve pourtant salutaire pour Jean-Claude Souléry dans la Dépêche du Midi, il parle même de couvre-feu moral qui rend vaines les polémiques d'hier.
Mais faut-il d'ailleurs suspendre la campagne présidentielle, question posée par Bruno Dive dans Sud Ouest... Pour Francis Brochet dans le Progrès, les candidats avaient promis une trêve, elle n'a guère tenu, c'était inévitable. Comment exiger que la campagne ignore ce qui est devenu le sujet de toutes les conversations ? On aurait pu espérer un temps de silence, écrit le Progrès, ne serait-ce que le temps du deuil, mais notre monde va trop vite pour ça, nous en avons tous parlé, tout de suite, et les politiques aussi, ni pires, ni meilleurs que nous...
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