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Le référendum d'initiative citoyenne, de Condorcet aux "gilets jaunes"

Les "gilets jaunes" ont fait du référendum d’initiative citoyenne l’une de leur principale revendication politique. Dans ce domaine, ils n’inventent rien. Faire du peuple le legislateur, aux côtés des parlementaires, voilà une idée très anciennement défendue.

Article rédigé par franceinfo, Thomas Snégaroff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Des "gilets jaunes" installés sur un rond-point près d'un centre commercial de Nantes, le 16 décembre 2018. (MAXPPP)

Tout cela nous renvoie au début de l’année 1793 lors des débats préparatoires à l’élaboration d’une nouvelle constitution pour la France. C'est un moment de très intense réflexion sur la question de la représentation politique du peuple. 

Lutter contre le "despotisme représentatif"

L’idée en revient à Condorcet qui est à l’origine de l’article 1er de la constitution girondine : "Lorsqu’un citoyen croira utile ou nécessaire de provoquer la réforme d’une loi existante ou la promulgation d’une loi nouvelle, il aura le droit de requérir le bureau de son assemblée primaire, de la convoquer au jour de dimanche le plus prochain pour délibérer sur sa proposition". Cette constitution ne verra jamais le jour, mais après la victoire des Montagnards, cette idée sera l’une des rares à survivre dans la Constitution montagnarde, la fameuse constitution de l’an I, qui en fait un moyen de lutter contre le "despotisme représentatif" dont parlait Robespierre. Cette Constitution de l’an I sera enterrée par la Terreur, et le référendum d’initiative populaire avec elle.

Une idée qui réapparaît dans les années 1980

L’idée d’un référendum d’initiative citoyenne ou populaire ne reviendra dans le débat politique que bien plus tard, sous la Vème République. Et au départ chez les écologistes, qui y voient un bon moyen de faire avancer leurs idées en s’appuyant directement sur l’opinion publique, plus perméable aux problématiques environnementales, selon eux, que les parlementaires. Brice Lalonde qui sera le candidat écologiste défend ici ce fameux référendum, en 1980 : "Est-ce que nous serions plus bêtes, nous les Français que les Suisses ? Nous allons demander le droit au référendum d'inititiative populaire en France."

Cette idée sera ensuite reprise et un peu confisquée, il faut le dire, par Jean-Marie Le Pen en 1988, qui en fait même le cœur de son programme,comme il l'explique à Paul Amar : "Élu, ma première décision sera d'établir le référendum d'initiative populaire pour rendre la parole au peuple, court-circuiter la classe politique". Un an plus tard, Charles Pasqua tente de prendre le contrôle du RPR après la défaite de Jacques Chirac à la présidentielle. Son discours est souverainiste et lorgne vers les électeurs de Jean-Marie Le Pen, ça s’entend : "Ceux qui refusent le référendum d'initiative populaire, c'est bien parce qu'ils se méfient du peuple français. Pour un certain nombre de sujets de société, il est bien évident que le peuple français n'acceptera pas le point de vue d'une caste ou d'un microcosme, fut-ce celui que constitue le parlement".

Vers un unanimisme de façade

Progressivement, rares seront les politiques à ne pas se convertir au référendum d’initiative populaire ou citoyenne. Selon des modalités différentes, Michel Rocard le défend en 1995, la commission Balladur en fait en 2007 un moyen de moderniser les institutions démocratiques, Jean-Luc Mélenchon le place dans son programme lors de la campagne de 2017. Même deux présidents en exercice, Nicolas Sarkozy et François Hollande, tous deux à l’Elysée, le promettront, le premier ne le fera pas, le second le fera mais pas dans l’esprit des "gilets jaunes", parce qu’il faut l’appui d’un certain nombre de parlementaires, c’est le cas aujourd’hui. Bref, tout le monde sent bien qu’il faut redonner plus régulièrement la parole au peuple. Que l’élection tous les cinq ans des parlementaires ne suffit pas pour entretenir le souffle démocratique.  

Et Édouard Philippe a déclaré dimanche dans les Échos vouloir ouvrir un débat sur le sujet avec ces mots : "Je ne vois pas comment on peut être contre son principe". Il y en a pourtant un qui est contre ce principe. C’est Robert Badinter qui s’exprimait ainsi en 2007 : "Faisons attention au référendum d'initiative populaire. Ça fait très bien quand on l'annonce. Dans la pratique, c'est confisqué ou altéré, toujours, par des partis extrémistes". C’est la crainte d’une démocratie de l’émotion qui a sans cesse repoussé le référendum d’initiative citoyenne. Les "gilets jaunes" parviendront-ils à imposer cette idée plus que bicentenaire ? Là, on pourra dire que ce mouvement a changé l’histoire.

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