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Podcast
Guerre entre le Hamas et Israël : la guerre sans fin
L'ambiance est feutrée, et la déflagration limitée. Lundi 25 mars, après pratiquement six mois de blocage, le conseil de sécurité de l'ONU adopte une résolution non contraignante qui demande un cessez-le-feu dans la bande de Gaza. L'Amérique a laissé passer la résolution en s'abstenant. Le multilatéralisme a retrouvé un filet de voix, mais les effets sur le terrain sont invisibles raconte Maha Husseini. Cette jeune Palestinienne documente tant bien que mal cette guerre. Elle est maintenant déplacée à Rafah après avoir été déplacée pour la deuxième fois du centre de la bande de Gaza, elle explique qu'Il y a eu des dizaines de bombardements aériens dans plusieurs endroits de Rafah. "On s'attend a ce que ces attaques s'intensifient dans les jours qui viennent, confie-t-elle. On vit dans l'instabilité pour la nourriture, la sécurité, les déplacements forcés, etc..."
"On s’attend à une nouvelle invasion terrestre à Rafah."
Maha, déplacée a Rafah
Presque six mois après le déclenchement de la guerre, la bande de Gaza est entrée pour l'opinion publique occidentale dans une forme de routine, faite d'angoisse et de souffrance. L'aide humanitaire reste un problème central. La cour internationale de justice, qui reste inaudible, ordonne à Israël d'empêcher la famine qui s'installe. Et la bataille de communication fait rage par vidéos interposées. James Elder, porte-parole pour l'UNICEF, a tourné une vidéo depuis la frontière égyptienne où on voit une file continue de camions. "C'est scandaleux, lâche-t-il, voir cette quantité d'aide humanitaire qui pourrait sauver des vies si proche de ceux qui en ont besoin. De la nourriture, de l'eau, des médicaments, de l'aide humanitaire. Parce qu'on sait que de l'autre côté de la frontière, des enfants sont morts de malnutrition. Des enfants sont morts de déshydratation. Voilà l'aide qui doit passer en urgence pour les habitants de Gaza."
Guerre de communication autour de l'aide humanitaire
Dans une série de tweets, le Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires (COGAT), qui administre les territoires occupés, souligne que 150 camions sont entrés pendant le mois de mars. Il n'y a pas de restriction jure le porte-parole Shimon Freedman. "Israël facilite l'entrée de l'aide humanitaire par la terre et la mer, explique-t-il. Il est important de savoir qu'Israël n'impose aucune limite à la quantité d'aide humanitaire qui entre dans la bande de Gaza. Au contraire, c'est à la fois malheureux et dangereux que certains dans la communauté internationale se fassent manipuler par le Hamas en adoptant son narratif mensonger." Pour accentuer la pression et pointer l'absurdité de la situation, mardi 26 mars, le Hamas a demandé à la communauté internationale d'arrêter de larguer l'aide humanitaire par avions : plus de 18 Palestiniens ont été tués par noyade ou dans des bousculades.
C'est un peu l'histoire secrète d'une désorganisation orchestrée dans le nord de la bande de Gaza, qui alimente le risque de famine. Depuis 15 jours, l'armée israélienne est accusée d'avoir entravé la sécurisation des convois de l'ONU. Cette organisation s'est mise sur pied il y a quelques semaines. Elle a été prise en main par les communautés et de puissantes familles, en coopération avec la police du Hamas qui ne souhaitait pas laisser d'autres groupes agir sur le terrain de la sécurité. C'était devenu nécessaire : les camions humanitaires étaient bloqués et pillés par des milliers de personnes, au sud de la ville de Gaza, près du rond-point du Koweit, à quelques centaines de mètres de l'armée Israélienne. "On a réussi à faire en sorte que les communautés, les quartiers s'organisent, ça n'a pas été facile, raconte Georgios Petropoulos, le chef du bureau Gaza pour la coordination humanitaire de L'ONU. Le secteur est extrêmement dangereux. Et c'est difficile pour des gens qui sont à ce niveau de désespoir et de famine de se montrer patients, et disciplinés, autour d'une organisation qui a été plus compliquée que prévu. On ne sait pas combien de temps ça va tenir parce qu'on espérait au départ faire passer 40 camions par jour au nord. On voulait inonder le nord de nourriture. Et en fait on a entre 7 et 8 camions tous les deux jours."
Des attaques sur la sécurisation des convois
La sécurisation des convois a permis d'ouvrir la route des camions vers les communautés installées plus au nord. Mais elle a été prise pour cible par l'armée israélienne. "L'armée israélienne n'a pas apprécié cette situation, elle a donc bombardé la plupart des entrepôts qui contenaient la nourriture, explique le journaliste Abdel Kader Sabbah, qui documente la guerre au nord de l'enclave. Il n'y avait plus aucun moyen sûr de distribuer l'aide, comme l'armée ne permettait à personne de la sécuriser parce que lorsque la sécurité tentait d'être présente aux carrefours proches de l'arrivée des camions, elle était bombardée."
"Le mois dernier par exemple, il y a eu des tentatives pour sécuriser l'arrivée de l'aide mais les gens ont été bombardés. Donc les services de sécurité ont commencé à s'éloigner des camions, et les gens ont recommencé à se bousculer vers les camions et à prendre ce qu'ils pouvaient prendre."
Abdel Kader Sabbah, journaliste
D'après plusieurs sources à Gaza, l'armée israélienne avait tenté de prendre la main sur la sécurisation. Mais les familles de Gaza ont refusé, sans doute sous la pression du Hamas. Lundi 25 mars, sept camions du programme alimentaire mondial ont pu atteindre les communautés du nord. Un autre convoi devait prendre la route jeudi 28 mars. Dans ce contexte, le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou devrait finalement envoyer une délégation aux États-Unis pour parler de la stratégie militaire à Rafah. Le front nord avec le Hezbollah est toujours incandescent, et trois Palestiniens ont été tués à Jenine en Cisjordanie occupée, mercredi 27 mars, par l'armée Israélienne.
"C'est une guerre sans fin"
L'historien Vincent Lemire, co-auteur de la bande dessiné Histoire de Jérusalem, est l'invité du podcast Guerre au Proche-Orient. Il estime qu'on est entrés dans une guerre sans fin. "C'est ce qu'on craignait dès le 8 octobre au matin, explique-t-il. Le Hamas a tendu un piège au gouvernement israélien et les Israéliens sont tombés dans ce piège stratégique et moral. Il s'agissait de provoquer, par cette attaque terroriste, une surréaction, il s'agissait d'aveugler l'adversaire. On est à plus de 5 mois de guerre, les pertes civiles sont absolument vertigineuses. Israël est plus isolé que jamais. Ce qui avec le recul est extrême surprenant.
"Ce qui s'est passé le samedi 7 octobre aurait dû créer une forme d'union sacrée autour des Israéliens. Et Benyamin Nétanyahou a réussi en quelques mois, non seulement à dilapider complément ce capital de sympathie spontanée, mais aujourd'hui Israël est isolé."
Vincent Lemire, historien
"Israël est en train de devenir un État paria qui est au ban des nations, au ban du conseil de sécurité de l'ONU de la cour internationale de justice, de la communauté internationale, de l'Europe, même de ses alliés les plus proches, poursuit Vincent Lemire. Mais c'est aussi l'échec des États-Unis. Joe Biden, en quelque sorte, a fait de la politique à l'ancienne avec Benyamin Nétanyahou qui est en permanence sur un rapport de force, en permanence dans un rapport de transgression. Et on sait que depuis quelques années, les Israéliens sont en train de regarder pour leurs alliances du côté de la Russie, du côté du golf, du côté de l'Arabie saoudite. On a lu même des papiers ces derniers jours dans la presse Israelienne qui disaient: il va falloir en fait réduire notre dépendance stratégique vis-à-vis du matériel militaire des États-Unis. Après presque six mois de guerre, d'une certaine manière, le pire est peut-être encore à venir."
"On est aujourd'hui dans une forme de fatigue informationnelle de la part du public, une fatigue intellectuelle psychique pour tous les observateurs parce qu'il est vrai qu'on a un niveau de violence absolument vertigineux."
Vincent Lemire, historien
"On a aussi d'une certaine manière une guerre sans fin et on est condamnés à compter les dizaines de milliers de morts dans la bande de Gaza, à faire des paris sur une trêve qui n'arrive pas, à compter le nombre de résolutions du conseil de sécurité, déplore Vincent Lemire. C'est une guerre sans fin et pourtant le pire est peut-être à venir : une guerre sur le front nord est probable et le gouvernement d'extrême droite israélien n'a pas renoncé à ce qui demeure son plan initial, j'en suis absolument persuadé. C'est la seule chose qui permette de voir une rationalité dans cette campagne : une expulsion massive des habitants de Gaza vers l'Egypte."
Réalisation : Etienne Monin, Jordan Fuentes, Pauline Pennanec'h
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