Guerre entre Israël et le Hamas : Gaza au fond du gouffre
C'est devenu un endroit coupé du reste du monde. À Gaza, le nord de l'enclave est très difficilement accessible. L'aide humanitaire n'entre presque pas. L'ONU se plaint des restrictions imposées par l'armée israélienne. Alors, quand un convoi passe, c'est aussi une fenêtre qui s'ouvre dans un territoire abandonné aux combats.
Il y a quelques jours, un camion-citerne a pu atteindre l'hôpital Al-Shifa dans la ville de Gaza. Aurélie Godard, responsable des activités médicales de Médecins sans frontières (MSF), était dans l'une des deux voitures blindées qui l'encadraient. Elle raconte l'état de la ville transformée par endroits en terrains vagues. "Les rues autour sont détruites, décrit-elle. Il y a plein d'immeubles éventrés partout. Les routes sont praticables, en revanche, les trottoirs sont jonchés de débris, de pierres, de briques, etc. Il y a des gens dans les rues néanmoins, donc il y a effectivement de la vie à Gaza et les estimations sont difficiles d'être précises, mais 300 à 500 000 personnes, peut-être, dans le nord de la bande de Gaza."
"On peut croiser des enfants à vélo, ils survivent là-haut comme ils peuvent. Il y a encore pas mal de gens au nord de la bande de Gaza."
Aurélie Godard, responsable des activités médicales de MSF à Gaza
"La seule chose qu'ils nous ont demandé quand on a passé le checkpoint, c'est est ce que vous avez l'eau et de l'alimentation, poursuit Aurélie Godard. On leur a dit que non, qu'on n'avait que du fioul pour l'hôpital, pour qu'ils aient de l'électricité. J'ai fait pas mal de missions pour MSF, mais jamais en Palestine jusqu'ici. Mais j'avais vu Mossoul par exemple, et Gaza est plus détruit que Mossoul."
Asma est professeur de français, et comme beaucoup d'autres déplacés, elle a déménagé plusieurs fois depuis la ville de Gaza, chassée par les bombardements. Elle est maintenant à Rafah, ville surpeuplée dans laquelle la nourriture est hors de prix et le danger omniprésent. "La nuit dernière a été terrible, raconte-t-elle. Il y avait trop de bombardements. On a perdu une fenêtre. Le bombardement était presque à côté de nous. Pour notre appartement, malheureusement, les bâtiments sont un peu touchés. Il y avait aussi des voleurs. La situation est un peu difficile. On ne peut pas y aller à Khan Younès pour voir les maisons, les appartements. Moi, personnellement, je n'ai pas d'espoir. Je vois la situation en noir. Rien n'a changé. Ça fait cinq mois."
Gaza, une caisse de résonance
Derrière l'état de délabrement, la bande de Gaza est une caisse de résonance pour les autres Palestiniens. Ils sont majoritairement en Jordanie, au Liban et en Cisjordanie occupée, concentrés sur cette page de leur histoire qui est en train de s'écrire. Alice Froussard, qui couvre notamment la Cisjordanie occupée pour Radio France, se trouve à Ramallah, une ville située à 150 kilomètres de Gaza. "Ce qui est certain, c'est que cette distance, on ne la sent pas puisque la guerre, elle est partout, explique la journaliste. Elle est sur les murs, quand il y a des affiches qui demandent un cessez le feu permanent, quand il y a des photos de Gaza, elle est aussi là dès qu'on entre dans un café ou dans un restaurant, puisque la télévision et en permanence branchée sur la chaîne Al-Jazira qui diffuse des vidéos de Gaza. Et puis elle est dans toutes les conversations."
"Ce qui est marquant, c'est que malgré la situation en Cisjordanie, ce que les gens nous disent ici à chaque interview, c'est que ce n'est rien par rapport à ce qui se passe à Gaza."
Alice Froussard, journaliste en Cisjordanie occupée pour Radio France
Alice Froussard poursuit : "Et alors que la situation économique est compliquée, et alors qu'il y a un ras le bol politique puisque les habitants de Cisjordanie ont l'impression que l'Autorité palestinienne ne fait pas grand-chose, et alors qu'il y a aussi des raids quotidiens de l'armée israélienne dans les villes palestiniennes et notamment dans les camps de réfugiés. Mais voilà, en tout cas, les gens ont les yeux rivés sur Gaza et ont toujours cette phrase à chaque fin d'interview. C'est de dire que, en Cisjordanie, tout ce qu'il se passe malgré cette catastrophe, ce n'est rien par rapport à ce que doivent endurer les Gazaouis."
Noé Pinède, journaliste au Liban, se trouve au camp de réfugiés palestiniens de Sabra, situé au sud de Beyrouth, "et ce qui frappe quand tu arrives ici, c'est tous les drapeaux du Hamas qui sont pendus dans les ruelles."
"Au camp de réfugiés palestiniens de Sabra, au Liban, le Hamas est maintenant vraiment vu comme un mouvement de libération. Ici, ce n'était pas le cas avant le 7 octobre."
Noé Pinède, journaliste à Beyrouth, au Liban
Les Palestiniens du Liban "sont à peu près 500 000", explique Noé Pinède, majoritairement arrivés au moment de la Nakba en 1948. "Ils sont toujours exclus de la société libanaise aujourd'hui, estime le journaliste. Ils vivent dans la misère et le Hamas exploite ce désespoir pour recruter à tour de bras dans la jeunesse. Et il y a même des camps d'entraînement dans les camps palestiniens du Liban. Et les jeunes ici, ils te disent tous qu'ils espèrent qu'un nouveau front va s'ouvrir au sud du Liban pour qu'ils puissent eux aussi aller se battre pour leur pays, la Palestine. Et il y a quelque chose aussi qui est intéressant : je parlais à un jeune à qui je demandais : 'Que penses-tu d'Israël qui dit qu'il va éradiquer le Hamas ?' Et ça l'a fait beaucoup rigoler parce qu'en fait, ici, le Hamas est partout, et il n'a sûrement jamais été aussi fort."
Selon Mohamed Errami, journaliste à Amman, en Jordanie, "il y a une forte mobilisation en Jordanie dans ce conflit parce qu'il y a 60 % de la population qui est d'origine palestinienne. il y a une différence entre eux, certains sont beaucoup plus intégrés que d'autres, certains ont la nationalité jordanienne, d'autres non, mais en tout cas, il y a une forte mobilisation. Les conséquences que ça a pu avoir ici en Jordanie par rapport à la guerre à seulement deux heures d'ici, c'est d'abord l'arrêt de pas mal de festivités, de concerts, de festivals, de lieux où on faisait la fête habituellement. Enfin, les Jordaniens remettent en cause le traité de paix signé entre la Jordanie et Israël, le traité de 1996, et ils remettent en cause tous les accords sur le gaz, sur l'eau. Mais les autorités sont un peu dans l'embarras par rapport à tout ça, parce qu'elles doivent gérer la contestation de la rue au vu de la population, du pourcentage de la population ici de Palestiniens en Jordanie."
"J'ai honte de dire qu'on est devenu un peuple mendiant"
Le journaliste Rami Abou Jamous, vivait avant la guerre dans la ville de Gaza. Il a été déplacé dans le sud avec sa famille. "La population est très très, très fatiguée", témoigne-t-il. Il raconte son quotidien, à la recherche de vivres, d'eau et de nourriture pour sa famille. "On a perdu des amis, on a perdu de la famille, on a perdu nos maisons, on a perdu nos territoires (...) Malheureusement, dans toute la bande de Gaza, les riches qui étaient riches et la classe moyenne qui était classe moyenne, tout le monde est devenu pauvre. J'ai honte de dire qu'on est devenu un peuple mendiant."
"On sait de quoi les Israéliens sont capables, poursuit-il. Ils veulent le territoire. Ils veulent Gaza. Donnez-nous la liberté donnez-nous notre terrain, donnez-nous notre état, on peut faire beaucoup de choses. Mais ils veulent transformer la question palestinienne, une question politique, en une question juste humanitaire."
Dans cet épisode : Aurélie Godard, Alice Froussard, Noé Pinède, Mohamed Errami, Rami Abou Jamous
Réalisation : Etienne Monin, Pauline Pennanec'h, Nicolas Cazaux
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