Violences sexistes et sexuelles : faut-il s’en remettre seulement à la justice ?
Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 2 octobre : la classe politique et les violences sexistes et sexuelles.
La question des violences sexistes et sexuelles bouscule en ce moment plusieurs mouvements politiques. C’est bien sûr le cas pour La France insoumise et Europe Ecologie-Les Verts, avec les affaires Quatennens et Bayou notamment, mais ce ne sont pas les seules : Renaissance également, avec les affaires Peyrat et Darmanin, Les Républicains, avec l’affaire Abad, et la liste ne s’arrête pas là. Nous sommes de toute évidence confrontés à un problème systémique.
Pour autant, cela ne doit pas non plus nous faire oublier que ces affaires sont toutes singulières, et ne peuvent pas être traitées de la même manière. C’est notamment le cas pour l’affaire Bayou, qui repose sur un témoignage unique, révélé en direct par l’une de ses concurrentes, Sandrine Rousseau, qui évoque des violences psychologiques mais concède, hors antenne, que les faits ne relèvent pas du pénal. Réaction du garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti, mercredi 28 septembre sur France 2 : "C'est le droit qui nous protège de l'arbitraire. Pas question pour moi de code de déontologie alors qu'il y a un code pénal et un code de procédure pénale. Mme Rousseau n'est pas procureure générale de la nation !"
Eric Dupond Moretti rappelle quelque chose d’important : c’est le droit qui nous protège de l’arbitraire. C’est vrai. Dans nos sociétés, c’est le droit qui règle nos rapports sociaux. C’est lui qui fixe la limite des interdits collectifs. Pas la morale, pas les religions, pas les sensibilités personnelles. Le droit, et ses principes. Le fait que Sandrine Rousseau rapporte directement, dans le débat public, des faits dont elle reconnaît elle-même – députée, législatrice – qu’ils ne tombent pas sous le coup de la loi, cela ne peut que nous interroger. D’autant qu’il n’y a même pas, ici, le filtre d’une enquête journalistique sérieuse, qui garantirait que les informations soient vérifiées, les témoignages recoupés, et le contradictoire entendu. Il y a là en effet, me semble-t-il un glissement clair et délétère.
Attention : cela ne veut pas dire, pour autant, que le droit soit nécessairement bien fait. Tout ce qui n’est pas interdit n’est pas forcément acceptable. En l’occurrence, le code pénal devrait-il mieux prendre en compte les violences psychologiques au sein du couple ? C’est un débat politique légitime – et peut-être même nécessaire. Mais il ne peut pas se dérouler sur un coin de table, au détour d’un plateau télé, et au prisme d’un cas particulier.
La politique n'est pas une activité comme les autres
Eric Dupond-Moretti ne se contente pas de rappeler la prééminence du droit. Il s’appuie dessus pour fustiger les cellules dédiées aux violences sexistes et sexuelles au sein des partis politiques : "Ces espèces de cellules, c'est une véritable dérive à laquelle nous sommes en train d'assister. Si chacun fait sa petite tambouille, sa petite justice privée dans son coin, nous allons arriver vers une société de la délation qui va devenir insupportable."
Ici, Eric Dupond-Moretti ne se contente pas de rappeler la centralité du droit. Il affirme l’exclusivité de la justice sur toute autre instance de régulation collective. Si des accusations ne peuvent traitées par voie judiciaire, elles devraient être abandonnées, purement et simplement.
Et cela me semble contestable. Parce que l’activité politique n’est pas similaire à toutes les autres. Elle impose un devoir d’exemplarité, que la justice peine, dans les faits, à faire respecter. Pour des raisons qui sont, d’ailleurs, bien connues : la temporalité des procédures, d’une part, la question de la prescription, d’autre part, qui, toutes deux, nous confrontent à des situations difficiles. Peut-on admettre qu’un responsable, qui serait accusé de faits graves, par une pluralité de témoignages concordants, reste en poste et continue de représenter ses concitoyens ? Cela me paraît, d’un point de vue éthique, relativement difficile.
Par ailleurs, au-delà de l’éthique, il y a les réalités pratiques, qui ont été maintes fois rappelées. En France, moins de 1% des viols déclarés par des personnes majeures font l’objet d’une condamnation par la justice – ce sont les chiffres donnés par le ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes. Cela veut bien dire qu’il y a, de fait, un problème de prise en charge par la justice. Et c’est, probablement, encore plus vrai dans les sphères de pouvoir, et notamment la sphère politique.
Distinguer le droit de la justice
On voit bien, d’un point de vue éthique comme pratique, qu’il n’est pas judicieux de s’en remettre exclusivement à la justice pour traiter ces questions. Et, en même temps, il faut aussi pouvoir garantir que les violences sexistes et sexuelles n’en viennent pas à être instrumentalisées à des fins politiques.
Je crois que, sur cette question, il faut tenter de tenir une ligne de crête, en distinguant bien le droit de la justice. D’une part, rappeler la primauté du droit, qui doit rester notre boussole collective pour déterminer quels sont les faits qui peuvent être reprochés. Mais en même temps, constater l’insuffisance de la justice sur ces questions, et reconnaître que cette insuffisance est intolérable quand elle concerne des représentants du peuple.
De mon point de vue, cela plaide en faveur d’une solution qui existe déjà, pour d’autres professions : la rédaction d’un véritable code de déontologie, dont l’application serait confiée à une instance indépendante, autonome des mouvements et des partis.
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