Refus d'obtempérer à Paris : l’art de faire parler une situation
Les réactions politiques sont nombreuses après la mort de la passagère d'une voiture tuée par balle, samedi à paris, par des policiers dénonçant un refus d'obtempérer.
Parmi les commentaires politiques, Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, nous donnent deux lectures très différentes de la situation. Le leader de la Nouvelle union populaire était mardi 7 juin sur France Inter, et pour lui, pas de doute, la police tue. "Une jeune femme de 21 ans est morte, de quoi était-elle coupable ?, questionne Jean-Luc Mélenchon. On dit le chauffeur, il avait consommé de l'alcool, du machin, etc... Mais ça on l'a su après, pas sur le moment. Le policier a tiré, cette jeune femme est morte. De quoi était-elle coupable ? De quoi l'accusait-on au point de l'abattre ? Elle a 21 ans, elle est l'épouse de qui ? Elle a des enfants, elle n'en a pas ? On ne saura pas ?"
Jean-Luc Mélenchon place toute l’emphase sur la victime. Il rappelle son âge, s’interroge pour savoir si elle a des enfants, bref, il fait tout ce qu’il peut pour l’incarner, la matérialiser, qu’elle ne soit pas un concept dans notre esprit, mais bien une personne dans notre conscience. Il s’agit d'une intention rhétorique, à tout le moins. Jean-Luc Mélenchon utilise ici outil bien connu, il manie la description pour susciter en nous des émotions – en l’occurrence, de la compassion pour la victime, et de la colère à l’encontre des policiers. Résultat, il peut derrière monter en généralité. "Nous en sommes à quatre morts en quatre mois pour des refus d'obtempérer. Et je dis que ce n'est pas normal qu'on tue quelqu'un parce qu'il refuse d'obtempérer. Il y a la loi, il y a des punitions, il y a des amendes, mais pas la peine de mort." Pas la peine de mort, la lecture que donne Jean-Luc Mélenchon de l’événement, c’est celle d’une police dont la brutalité se traduit par des morts.
.@JLMelenchon assume "évidemment" ses propos sur la police qui "tue" et le syndicat Alliance, "groupe factieux" : "Je dis que ce n'est pas normal qu'on tue quelqu'un parce qu'il refuse d'obtempérer ; il y a la loi, des punitions, des amendes mais pas la peine de mort." #le79Inter pic.twitter.com/C5pYh3kpPR
— France Inter (@franceinter) June 7, 2022
Marine Le Pen s'oppose frontalement à Jean-Luc Mélenchon
Invitée de franceinfo mardi, Marine Le Pen donne une vision très différente. "Ce n'est pas parce qu'il y a quelqu'un qui est mort que les policiers ont commis quelque chose de critiquable, réagit Marine Le Pen. Peut-être sont-ils intervenus en respectant les règles de la légitime défense." Marine Le Pen est plus prudente, mais ça ne l’empêche pas de nous suggérer une toute autre interprétation de la situation. Peut-être les policiers ont-ils agi par légitime défense, tout simplement. Notons d’ailleurs que les deux lectures ne sont pas strictement incompatibles. Ils peuvent très bien avoir tué une femme innocente en agissant par légitime défense contre le chauffeur. Mais vous allez voir que cela conduit, malgré tout, Marine Le Pen à nous proposer une toute autre montée en généralité : " Il y a un sentiment d'impunité à l'égard des policiers auxquels les voyous font face en toutes circonstances attentant très souvent à leur intégrité physique. Cherchant à les assassiner. Les policiers finissent par vivre dans le sentiment d'être des gibiers."
Propos de Jean-Luc Mélenchon sur la police : le leader insoumis "s'éloigne des valeurs républicaines", lance Marine Le Penhttps://t.co/nh3apPkqcT pic.twitter.com/ptkclMaVF4
— franceinfo (@franceinfo) June 7, 2022
Les voyous cherchent à assassiner : utilisation d’un lexique crû, connoté de manière très vive. Les policiers sont des gibiers. C’est une métaphore particulièrement marquante. Marine Le Pen, elle aussi, utilise volontairement des procédés émotionnants, mais de manière à susciter des émotions inverses de celles recherchées par Jean-Luc Mélenchon. De la compassion à l’égard des policiers, et de la colère à l’encontre des délinquants.
L’avenir nous le dira sans doute qui a raison. Pour l’instant, les circonstances du drame semblent trop floues pour qu’on puisse se permettre un jugement définitif. Mais justement. Ce que cet exemple nous montre, c’est qu’en rhétorique, les faits ne sont pas univoques. Une même situation peut donner lieu à des interprétations brutalement contradictoires, soutenues par des affects opposés. Et cela devrait nous inciter à la prudence, dès lors qu’une situation paraît nous toucher un peu trop vivement. Manipuler nos émotions, c’est, parfois, la meilleure manière de guider notre prise de position.
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