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CHRONIQUE. Réforme des retraites : peut-on faire confiance au Conseil constitutionnel ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 9 avril : le rôle du Conseil constitutionnel.
Article rédigé par franceinfo, Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Le siège du Conseil constitutionnel à Paris, juillet 2019 (JULIEN PASQUALINI / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Le Conseil constitutionnel, qu’est-ce que c’est ? C’est une institution composée de neuf membres, nommés pour neuf ans par trois personnes : le président de la République, la présidente de l’Assemblée nationale, et le président du Sénat. La principale mission de ces "Sages", comme on les appelle, est de contrôler la constitutionnalité des lois. C’est-à-dire de vérifier que les lois votées par le Parlement sont bien conformes à notre Constitution. Et là vous commencez peut-être à voir le problème : neuf personnes, nommées, ont le pouvoir de censurer les lois votées par les représentants du peuple, élus au suffrage universel.

Le sort de la réforme des retraites, une loi qui va avoir des conséquences pour des millions de Français, est actuellement entre les mains de ces neuf conseillers. Peut-on leur faire confiance ? Voilà une question qui ne devrait jamais cesser de nous tarauder ! Car toute décision juridique possède toujours une part d’interprétation. La réforme des retraites nous en offre, d’ailleurs, un bel exemple. Le gouvernement a choisi de la faire examiner dans le cadre de l’article 47-1 de notre Constitution, qui est réservé aux lois de finances pour l’année. Or, ce texte ne comporte pas uniquement des dispositions financières. Et il dépasse de très loin le cadre de l’année. Mais est-ce que cela suffit pour considérer que la Constitution a été détournée ? C’est une question difficile, elle est soumise à interprétation !

Par ailleurs, rappelons que cette réforme a été adoptée en utilisant les toutes les armes permettant de limiter les débats au Parlement : 47-1, donc, mais aussi 44-2, 44-3 et, bien sûr, 49-3. Toutes ces procédures sont légales. Mais peut-on considérer que, utilisées conjointement, elles enfreignent le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires ? Là encore, c’est une question d’interprétation ! Le Conseil prendra une décision, mais elle n’aura rien de mathématique ou d’automatique : elle sera par nature contestable.

Pourquoi accepter que l’interprétation donné par un Conseil nommé puisse censurer une assemblée élue ?

Vous voyez qu’elle n’est pas simple, cette question ! Alors, déjà, la réponse évidente : on a bien besoin, d’une manière ou d’une autre, de contrôler la constitutionnalité des lois votées par le Parlement. C’est la pierre d’angle de ce qu’on appelle un "État de droit" : c’est-à-dire un État soumis aux règles qu’il édicte. Ensuite, il faut ajouter que, justement, parce que les conseillers ont conscience que leur légitimité est contestable, ils essayent en théorie de faire abstraction de leurs préférences politiques. Comme le disait Robert Badinter, qui a été président du Conseil : les Sages ont un "devoir d’ingratitude" à l’égard de ceux qui les ont nommés. Mais, bien sûr, nous n’avons aucune garantie qu’ils le respectent réellement !

D’où une troisième raison, la plus importante : ce qui assure la légitimité du Conseil, c’est qu’il ne se contente pas d’examiner les lois sur la forme. Il peut, aussi, les contrôler sur le fond. Pour comprendre tout ça, il faut revenir au 16 juillet 1971. Ce jour-là, le Conseil constitutionnel a pris l’une des décisions les plus importantes de la Ve République. Il a censuré une loi au motif qu’elle mettait en cause… la liberté d’association. Ce jour-là, les Sages ont décidé que leur rôle n’était pas seulement de contrôler le respect des procédures démocratiques : ils se sont également érigés en garants des droits fondamentaux des individus, tels qu’ils sont visés par le préambule de la Constitution. Alors, bien sûr, c’est une boîte de Pandore. Parce que le problème des libertés fondamentales, c’est qu’elles empiètent les unes sur les autres. Prenez, par exemple, la vidéosurveillance : elle accroît notre droit à être protégés, mais elle rogne sur notre droit à la vie privée. Autrement dit : en acceptant de contrôler les lois sur le fond, le Conseil constitutionnel s’est exposé à encore plus de dilemmes d’interprétation.

Garant des libertés

Mais le fait est que, sur la longue période, les juristes et les citoyens semblent estimer qu’il a plutôt bien joué son rôle de protecteur des libertés. Il suffit, d’ailleurs, pour s’en convaincre, de regarder le bilan du premier quinquennat d’Emmanuel Macron ! La loi sur la haine en ligne : censurée pour atteinte à la liberté d’expression. La loi sécurité globale : censurée pour atteinte à la liberté d’informer. La loi anticasseurs : censurée pour atteinte à la liberté de manifester. Voilà, en réalité, ce qui rend le contrôle du Conseil constitutionnel acceptable : il nous protège, de facto, contre des lois liberticides. Peut-être pas parfaitement, peut-être pas suffisamment, mais il nous protège, malgré tout.

C’est la raison pour laquelle je crois que nous devons faire confiance au Conseil constitutionnel. Mais cette confiance ne peut qu’aller de pair avec la plus grande des vigilances citoyennes. Et, par ailleurs, elle ne règle pas tout. Il ne faut pas attendre du Conseil plus que ce pour quoi il est missionné. Vendredi 14 avril, nous saurons si la réforme des retraites peut être considérée comme juridiquement légale. Mais est-elle politiquement légitime ? Socialement acceptable ? Économiquement fondée ? Cela, il n’appartient pas aux Sages de le décréter.

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