Nicolas Dupont-Aignan : l’art de se contredire !
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
La première chose qui caractérise la rhétorique de Nicolas Dupont-Aignan, c’est sa tendance à métadiscourir, c’est-à-dire, à produire un discours sur son discours. Invité de BFMTV jeudi 20 janvier, le candidat Debout la France à l'élection présidentielle a passé une bonne partie de cette interview à nous expliquer de quoi il veut parler dans cette interview. "Moi, je suis plutôt quelqu'un qui est sur du projet, sur du fond, affirme-t-il. Tout est fait pourqu'on ne parle pas des problèmes de fond. Je fais une campagne sur le fond des choses." Vous l'aurez compris, pour Nicolas Dupont-Aignan, une bonne interview, c’est une interview qui parle du fond !
Il le fait d'ailleurs en partie en présentant quelques-unes de ses propositions, notamment sur l’Europe ou la fiscalité. Mais il a aussi beaucoup parlé d’un autre sujet : lui-même ! "J'ai au moins ce mérite d'avoir toujours gardé ma cohérence, ma sincérité/ Faites confiance peut-être à quelqu'un de différent, ancré dans la réalité/ Je suis quelqu'un de sérieux/ J'ai écrit des livres/ J'ai ma personnalité/ J'ai été maire 22 ans/ Je sais compter." Il est donc : sérieux, sincère, cohérent, différent, ancré dans la réalité, il écrit des livres et il sait compter… Alors je sais ! Je sais ce que vous allez penser : je suis un peu malicieux, j’ai utilisé un effet de montage. Alors oui, mais non : figurez-vous que j’ai dû laisser de côté une partie des occurrences. Nicolas Dupont-Aignan a bien passé une partie conséquente des 20 minutes d’interview à émettre de l’image !
Est-ce condamnable ? Réponse : non ! Travailler son ethos, c’est-à-dire l’image que l’on renvoie à travers son discours, c’est un pan légitime de la rhétorique. En revanche, le temps que l’on passe à faire cela, on ne le passe pas à faire autre chose, par exemple, parler du fond !
"Ne pas rester dans la polémique"
Ce n'est pas la seule contradiction car le métadiscours de Nicolas Dupont-Aignan va plus loin. Il ne se contente pas de vouloir parler du fond, il nous expose aussi avec beaucoup de soin ce qu’il déplore dans le débat politique contemporain…"Une campagne qui est toujours sur des polémiques, sur des petites phrases, la loi médiatique, de la petite phrase à la polémique. / Moins de polémique / Il ne faut pas rester dans la polémique / Je pense que les Français en ont marre des bonimenteurs, en ont marre des polémiques." Nicolas Dupont-Aignan rejette donc l’utilisation de polémiques et de petites phrases ! Alors, c’est tout à son honneur, et cela me semble plutôt cohérent avec sa volonté de parler du fond. Mais est-ce cohérent… avec le reste de son discours ? "Quand le prix de l'essence augmente, l'État fait des bénéfices. Je demande solennellement à Bruno Le Maire de rendre cet argent aux Français. Ça c'est pas compliqué, il se fait de la gratte. Si vous allez voter, les 47 millions d'électeurs, vous balayez ce système pourri. Ils [les Français] ont été trompés pendant 20 ans par, justement, des Pères Noël avant chaque élection."
"Bruno Le Maire se fait de la gratte, nous pouvons balayer ce système pourri, il y a des Pères Noël avant chaque élection." Nous avons là trois unités de sens qui sont à la fois ramassées, décontextualisables, métaphoriques et hyperboliques… C’est la définition même de la petite phrase, c’est-à-dire la formule choc, volontairement exagérée afin de marquer les esprits.
Déplorer l'utilisation de petites phrases...après avoir utilisé une petite phrase
C'est assez classique à chaque campagne, à ceci près que Nicolas Dupont-Aignan nous a répété, dans la même interview, vouloir s’en détourner ! Et ce n’est pas fini ! Si d’aventure il vous restait quelques doutes, voici un autre extrait de cette interview: il est garanti sans aucun montage ! "Ras-le-bol des promesses, on n'est pas des Pères Noël. Les Français veulent du sérieux. Et j'ai l'impression qu'en ce début de campagne, c'est la prime à la petite phrase." Déplorer l’utilisation des petites phrases littéralement trois secondes après avoir utilisé une petite phrase, je me demande sincèrement si Nicolas Dupont-Aignan ne vient pas de battre le record de l’auto-contradiction la plus rapide de l’histoire !
Tout ceci nous montre, finalement, les dangers du métadiscours. Produire du commentaire sur sa propre parole, et donc, par contraste, sur la parole de ses adversaires, cela peut certes se révéler efficace… à condition de ne pas être pris à défaut. C’est ce qui arrive ici à Nicolas Dupont-Aignan. Lui qui disait vouloir ramener vers la politique des électeurs désabusés : je ne suis pas certain que ce soit la meilleure manière d’y arriver…
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