Le portrait rhétorique de Marine Le Pen
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
En se plongeant dans ses disccours, il semble que Marine Le Pen soit la plus littéraire de toutes les candidates et de tous les candidats à la présidentielle. Cela se remarque notamment à la manière que possède la députée Rassemblement national du Pas-de-Calais d'accorder la sonorité des mots employés. "Il n'y a pas de bonheur individuel possible si le pays s'efface ou pire, s'effondre", indique Marine Le Pen ... autres exemples : "Principe de la société multiculturelle qui est une société multi conflictuelle"... "Cette société du flicage et du fichage"... "L'identité n'est pas facteur de repli, mais de repères"... "Les délinquants français en prison, les étrangers dans l'avion."
Il s'agit de paronomases. Une figure qui consiste à accoler deux mots dont la sonorité est proche. L'effet produit, bien sûr, est esthétique, mais également et même surtout rhétorique. En effet, lorsque nous argumentons, la cohésion des sons tend à suggérer la cohérence du sens à partir du moment où les mots se ressemblent. Nous avons l'impression que les concepts s'assemblent. Voilà comment, simplement en travaillant dans son expression Marine Le Pen parvient à donner l'apparence de l'évidence à ses affirmations. Mais sa fibre littéraire, je crois, ne s'arrête pas là.
Des descriptions détaillées
Il y a en effet un autre procédé stylistique abondamment utilisé, à tel point qu'il est d'ailleurs devenu l'une de ses signatures. C'est tout simplement l'art de la description. Marine Le Pen excelle dans l'art de nous mettre une image ou une situation à l'esprit. C'est d'ailleurs le cas de nombreuses avocates et de nombreux avocats. "Chaque jour, ce sont des représentants de l'État, policiers, pompiers, professeurs qui sont attaqués et tant de fonctionnaires qui vont au travail dans la peur de l'agression, note le 4 juillet dernier la candidate RN à Perpignan lorsqu'elle évoque la sécurité. Chaque semaine, des jeunes sont privés de la vie pour rien. Pour rien, pour une cigarette, un regard, un jeu."
Alors c'est habile, ici Marine Le Pen, insiste sur "privés de la vie" pour ajouter "une cigarette, un regard, un jeu". En quelques détails savamment choisis Marine Le Pen parvient à nous faire visualiser toute une situation que nous reconstruisons de nous-mêmes tout autour. En rhétorique, une description ramassée, mais évocatrice, c'est ce que l'on appelle une diatypose. Mais je crois que sa préférence va plutôt à l'autre style de description : l'hypotypose, qui est une description longue et détaillée. Elle en donne un exemple le 13 septembre dernier à Fréjus en évoquant les difficultés rencontrées par les femmes dans "certains quartiers et certains cafés". "Voyager en transports les yeux baissés, explique Marine Le Pen, en évitant de croiser le regard de quiconque. S'enfoncer dans ses vêtements pour ne pas être vues s'isoler avec des écouteurs sur les oreilles pour disparaître de la liste des cibles. Rentrer chez soi en regardant derrière, en changeant de trottoir, en contournant certaines rues."
Mobiliser les peurs
Alors on entend bien ici la volonté de dépeindre la situation dans ses moindres détails, jusqu'à ce que nous ayons toutes et tous à l'esprit la scène la plus vive possible. Et cela me paraît intéressant parce que les descriptions sont tout sauf neutres. Au contraire même, elles font partie des outils rhétoriques les plus émotionnels. Les images qu'elles nous suggèrent sont si vives, si présentes qu'elles provoquent en retour des affects. Et dans ces deux exemples, comme d'ailleurs dans nombre de ses discours, l'émotion que l'on distingue en premier lieu, c'est la peur. Alors, entendons-nous bien. Je laisse de côté le fond des dossiers. Que les situations évoquées par la candiate RN soient réelles, exagérées ou fantasmées : c'est une question politique. En revanche, la manière d'en parler et qui, elle, est un choix, appartient à Marine Le Pen. Cette manière revient, me semble-t-il, à mobiliser les peurs des auditrices et des auditeurs. Et la question qui se pose est donc la suivante est-ce que pour Marine Le Pen, emporter la conviction implique de jouer sur les émotions?
Marine Le Pen se défend
À cette question Marine Le Pen répond. "Non, je ne joue pas sur les peurs parce que c'est le reproche qu'on nous fait régulièrement. J'exprime la réalité, la réalité que vivent les gens et que peut-être vous n'exprimez pas assez. Précisément, vous les journalistes, vous ne vous faites pas bien souvent les porte-paroles. Je pense que c'est ce qui fait peut-être ma différence avec d'autres responsables politiques. Je suis l'avocat du peuple français, je suis le porte-parole du peuple français. Je suis là non seulement pour dire ce qu'il vit, c'est à dire mettre en place aux yeux de tous, la réalité qu'il vit, mais de surcroît pour y apporter des solutions. C'est peut-être ce qui manque à votre analyse. Je ne me contente pas de décrire. Je ne suis pas une commentatrice, je suis une femme politique et j'apporte et je propose des solutions pour répondre à une réalité qui est prégnante et qui est difficile. C'est vrai, pas dans tous les domaines, mais dans le domaine de la sécurité. Oui, certainement.
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