Le gouvernement qui croyait ne pas faire d’idéologie
Tous les jours, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.
Clément Viktorovitch s'intéresse mardi à la communication du gouvernement en cette période de pré-campagne présidentielle. Face à des oppositions qui déraisonnent, les membres de la majorité présidentielle seraient les seuls à n’avoir pas basculé… dans l’idéologie ?
C’est ce que l’on peut penser si l’on écoute Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement. Il était mardi matin l’invité d’Europe 1, pour parler notamment de la politique énergétique de la France et de la place de la voiture dans la mobilité des Français. Et sur ces deux sujet, un même mot est revenu pour qualifier les propos des autres candidats à la présidentielle : "On voit bien qu'il y a beaucoup de responsables politiques, dans un contexte de pré-présidentielle, qui font de l'idéologie (....) On a entendu beaucoup d'idéologies sur ce sujet (...) Un moyen idéologique de faire campagne (...) On n'est pas là à faire de l'idéologie (....) Il y a des idéologies..."
L’idéologie ! Un mot aux effluves péjoratives qui revient cinq fois en à peine 13 minutes d’interview. Ce n’est donc pas un hasard, mais bien un élément de langage. Nous tenons, ici, la stratégie du gouvernement pour tenter de disqualifier ses adversaires, avant l’entrée en campagne officielle du président.
La stratégie de l’homme de paille
Stratégie de disqualification, peut-être, mais le mot n’est-il pas justifié ? C’est toute la question. Examinons cela sereinement en écoutant, par exemple comment Gabriel Attal présente la vision de l’écologie portée par ses adversaires : "Vous avez, à droite, une ligne qui est encore climatosceptique. Il y a un député LR, encore récemment, qui s'est exprimé dans l'hémyclicle de l'Assemblée nationale aux questions au gouvernement et qui a parlé de 'prétendu réchauffement climatique', niant l'existance du réchauffement climatique. Vous avez ça à droite ! Puis vous avez, à gauche, notamment chez les Verts, certains qui vous expliquent que finalement l'écologie devrait se résumer à taxer, à punir et à sanctionner."
C’est intéressant ce que dit Gabriel Attal. La droite serait encore climatosceptique. La preuve : un de leurs députés a remis en cause le réchauffement climatique. Soit ! Mais est-ce la position générale chez Les Républicains ? Absolument pas ! On pourrait débattre pour savoir s’ils ont pleinement pris conscience de l’ampleur des enjeux auxquels nous sommes confrontés. Mais, dans l’ensemble, tous les candidats à la primaire de la droite souscrivent aujourd’hui aux conclusions du GIEC. Ramener la ligne de son adversaire aux déclarations marginales d’un de ses membres, cela porte un nom : ça s’appelle la stratégie de l’homme de paille, et c’est un sophisme, un procédé fallacieux. Il consiste à caricaturer une position jusqu’à ce qu’elle semble se réfuter d’elle-même.
C'est ce même procédé qui est employé pour parler de ceux pour qui l’écologie "se résumerait à taxer, punir et sanctionner". C’est évidemment une exagération grossière des positions tenues par les écologistes, qui, quoi qu’on en pense sur le fond, déploient une pensée autrement plus complexe et mesurée. Nous sommes, à nouveau, en plein sophisme de l’homme de paille. Alors oui, c’est sûr, une fois qu’on a bien caricaturé les arguments de ses opposants, il devient plus facile de les taxer d’idéologie.
En politique, personne ne peut revendiquer pour lui seul le monopole de la raison
Mais le gouvernement, lui, n’est-il pas aussi dans idéologue ? Eh non pardi ! Le gouvernement, lui, s’occupe de régler les problèmes des Français, comme le martèle Gabriel Attal : "Ça serait une faute de notre part de dire : on va arrêter d'agir, on va lever le crayon, pour se consacrer à l'élection présidentielle. Les Français, ils attendent de nous qu'on répondent à leurs problèmes et c'est ce qu'on fait. Nous, on n'est pas pour ou anti bagnoles, on est là pour aider les Français." Le gouvernement se contente donc d’aider les Français, de régler leurs problèmes, bref, il est pragmatique, réaliste et, surtout, il ne verse pas dans l’idéologie ! Cet argument vaut la peine qu’on s’y arrête, parce que les membres de l’exécutif nous le répètent en boucle depuis plus de quatre ans. Ça suffit.
La définition de la politique, c’est qu’elle est toujours affaire de choix. Des choix fondés sur des appréciations différentes de ce qui est présent; orientés par des estimations divergentes de ce que sera le futur; guidés par des valeurs opposées. Des choix qui avantagent certains au détriment d’autres. Et tout cela porte un nom : cela s’appelle idéologie.
Notre gouvernement, tout autant que ses adversaires, est guidé par une idéologie. On peut débattre du nom à lui donner. Certains diront le libéralisme, d’autre le mondialisme, voire la social-démocratie. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’agit ni de pragmatisme, ni de réalisme. Ces mots ne sont rien d’autre que le déguisement dont se pare l’idéologie dominante pour disqualifier ses concurrentes. Il est temps que le gouvernement assume ses choix pour ce qu’ils sont. En politique, il n’y a jamais qu’une seule option. Et personne ne peut revendiquer, pour lui seul, le monopole de la raison.
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