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CHRONIQUE. Le "préférendum" évoqué par Emmanuel Macron, une boîte de Pandore ?

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 3 septembre : la notion de "préférendum", qui pourrait faire partie des "initiatives politiques d’ampleur" voulues par le président de la République.
Article rédigé par Clément Viktorovitch
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Le président Macron en déplacement à Orange (Vaucluse) le 1er septembre 2023 (CHRISTOPHE AGOSTINIS / MAXPPP)

"Préférendum" : c’est, en effet, le mot de la rentrée ! D’après le ministre chargé du Renouveau démocratique et porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, l’idée serait de soumettre, par référendum, plusieurs questions en une seule fois, afin que les Françaises et les Français puissent indiquer quelles sont la ou les réformes qu’ils "préféreraient" voir mises en œuvre. Une innovation grâce à laquelle les citoyens seraient en mesure de se prononcer sur le fond de différents sujets, plutôt que "pour ou contre le président de la République", comme on le reproche souvent aux référendums.

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Une telle procédure serait-elle possible ? Elle n’a, pour l’instant, jamais eu lieu : il est donc impossible d’apporter une réponse définitive. Juridiquement, au premier abord, rien ne semble interdire que plusieurs référendums soient soumis au peuple sur une même journée. Reste à savoir maintenant si, politiquement, une telle procédure serait pertinente. Parce que, tout de même, être sommé de donner d’un seul coup son avis sur une pléiade de sujets, cela rappelle furieusement… les sondages d’opinions. Or, tout le principe d’un référendum, c’est précisément de produire un résultat qui soit différent, par nature, de celui des sondages.

Un sondage d’opinion, dans le fond, qu’est-ce que c’est ? C’est un ensemble de questions sur lesquelles, la plupart du temps, nous n’avons pas pu nous documenter, auxquelles nous n’avons même, souvent, pas vraiment réfléchi, voire, dans le pire des cas, que nous ne nous sommes jamais posées, et auxquelles, pourtant, nous acceptons de répondre ! Le résultat, c’est, au mieux, un aperçu des opinions préconçues que se font les individus, au pire, un enregistrement de leurs préjugés. C’est ce que montrent de nombreux travaux de sociologie politique, ceux de Pierre Bourdieu bien sûr mais aussi Alain Garrigou ou Loïc Blondiaux.

Dans le cas d’un référendum, le vote est précédé d’un authentique débat national. Les Françaises et les Français discutent en famille et entre amis. Ils ont le temps nécessaire pour s’informer, se documenter, argumenter, si bien qu’au moment de glisser un bulletin dans l’urne, ce que l’on enregistre, ce ne sont plus des opinions, mais des jugements.

Un risque pour "la loyauté et la clarté de la consultation"

Aurons-nous, citoyennes et citoyens, le temps et l’énergie nécessaire pour mener à bien une telle opération concernant une myriade de réformes ? Souvenons-nous du foisonnement de débats qui avaient accompagné la campagne pour ou contre le Traité constitutionnel européen : pourrons-nous réellement retrouver ce degré d’investissement avec trois, cinq ou dix questions posées simultanément ? La réponse, soyons réalistes, est probablement non.

Auquel cas ce préférendum ne serait pas une innovation démocratique, mais bien une boîte de Pandore : il nous ferait entrer de plain-pied dans la sondocratie. Le gouvernement des opinions, plutôt que le pouvoir donné au jugement du peuple. C’est d’ailleurs la raison juridique pour laquelle le Conseil constitutionnel pourrait éventuellement s’opposer à une telle procédure : il pourrait estimer qu’elle n’est pas de nature à garantir "la loyauté et la clarté de la consultation".

On pourrait imaginer de consulter les Français, mais sans que le vote ne soit décisionnaire, simplement pour connaître leurs priorités. Olivier Véran l’a effectivement évoqué : il n’a pas appelé cela un "préférendum", mais un "pré-référendum" – je vous laisse apprécier la nuance. Le problème d’une telle procédure, c’est que les citoyennes et les citoyens n’ont aucune garantie que leurs souhaits seront respectés.

Si l’on fait le bilan des "innovation démocratiques" impulsées jusqu’ici par le président de la République, que constate-t-on : le Grand Débat National ? Emmanuel Macron a explicitement assumé de ne pas accéder à des demandes relayées pourtant massivement par la population. La Convention Citoyenne pour le Climat ? Les participants ont eux-mêmes estimé que leurs propositions avaient pour le moins édulcorées. Le Collectif Citoyen sur la Vaccination ? Il n’a pas eu le moindre impact sur la politique vaccinale du Gouvernement. Le Conseil National de la Refondation ? Rien de concret n’en est sorti. Pourquoi en irait-il différemment aujourd’hui, dans le cas d’une nouvelle consultation non contraignante ? C’est, me semble-t-il, une question que l’on est en droit de poser.

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