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Au Liban, une blague sur une figure religieuse du pays envoie en prison un représentant syndical

Le patron de la plus grande organisation syndicale vient de passer 10 jours en prison, pour des mauvaises blagues sur le patriarche Nasrallah Sfeir.

Article rédigé par franceinfo, Aurélien Colly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Une prison libanaise, à Beyrouth. (JOSEPH EID / AFP)

Le chef de la Confédération générale des travailleurs du Liban, la CGTL, Bechara Asmar, a eu le malheur d’ironiser sur le culte voué au patriarche Nasrallah Sfeir. L’ancien chef des maronites du Liban, la plus grosse communauté chrétienne, est décédé il y a 15 jours. Ses obsèques ont été célébrées en grande pompe, avec deux jours de deuil national, car l’homme était très respecté pour sa défense des chrétiens d’orient, son rôle dans la réconciliation post-guerre civile et sa lutte contre l’occupation syrienne.

"Ils en ont fait un saint, moi qui suis chauve, je prie toute les nuits pour lui, pour que mes cheveux repoussent". Voilà ce qu'a déclaré le chef du premier syndicat libanais pour passer 10 jours derrière les barreaux. Une phrase destinée à d’autres syndicalistes qui l’entouraient, mais un micro était resté ouvert et l’enregistrement a été rendu public, ce qui a déclenché un tollé absolu tant l’homme a fait pour le pays.

La liberté d'expression brandie en étendard

Plusieurs plaintes ont été déposées contre le chef du premier syndicat libanais, qui est pourtant lui-même chrétien maronite. Placé en garde à vue, il s’est excusé, il a démissionné mais ça n’a pas suffi. S'en sont suivies son arrestation, un mandat d’arrêt et 10 jours de détention provisoire pour, finalement, une libération lundi 27 mai, après le paiement d’une caution de près de 300 000 dollars.

Au Liban, des voix s’élèvent pour dénoncer un lynchage et les menaces à la liberté d’expression, tant le traitement judiciaire parait disproportionné. Dans ce pays traumatisé par la guerre civile, on ne plaisante pas avec les susceptibilités religieuses. Une loi punit toutes attaques contres de personnes ou des symboles religieux.

La religion, sujet sensible

La religion, c’est toujours le sujet "ultra-sensible, qui rend tout le monde très nerveux", explique le rédacteur en chef du quotidien maronite L’Orient le Jour qui a relayé le scandale mais publié aussi une longue tribune intitulée "Lynchage ordinaire". Signée d’un professeur de médecine, qui est aussi historien et philosophe, elle dénonce la violence inouïe qui s’y est exprimée sur internet contre le syndicaliste, et déplore "la colère d’un peuple vociférant dans l’espace virtuel qui a remplacé les débats contenus d’une cour de justice".

Et l’auteur va encore plus loin, en soulignant qu’une partie des chrétiens qui se sont offusqués des propos du syndicaliste, qui ont fait monter la pression sur l’appareil judiciaire, défendaient pourtant la liberté d’expression quand les caricatures du prophète Mahomet provoquaient l’indignation des musulmans. "Nombre de ceux qui déclaraient 'Je suis Charlie' ont déversé des torrents de violence haineuse", écrit-il, en s’inquiétant de voir le pays "glisser doucement vers le délit d’opinion".

En sortant de prison lundi, le syndicaliste, lui, y a surtout vu un règlement de compte politique pour "mettre un terme à son rôle à la tête de la centrale syndicale".

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