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Le docteur Grellety-Bosviel, toute une vie d'humanitaire

Quatrième épisode de notre feuilleton "Cinq jours à la une" consacré aux 150 ans du Comité International de la Croix Rouge, ce mouvement créé à Genève par Henri Dunant à la suite de la bataille de Solferino. Si le Mouvement Croix-Rouge a sérieusement diversifié ses missions au fil des années, le cœur de l'action reste l'aide aux victimes de conflits partout dans le monde. Portrait d'un médecin qui a sillonné la planète depuis les années 60. Un aventurier qui a mis sa carrière au service de la Croix Rouge et du CICR, le docteur Pascal Grellety-Bosviel.
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Moustache et tignasse blanches, l'homme
a 82 ans, une incroyable bonne humeur, et une énergie inépuisable. Partout où
ses missions l'ont mené, on l'a appelé "Docteur Pascal". Diplômé à
Paris en 1958, il a exercé seulement deux ans en cabinet à Paris. "C'était vraiment pour faire plaisir aux
parents
", s'amuse-t-il. Très vite donc même si sa famille estimait
"qu'il y avait déjà bien assez de
monde à soigner ici
", il a choisi de mettre les voiles, de partir
défricher le terrain de la médecine humanitaire d'urgence.

Une carrière entière dédiée aux
victimes de conflits et de catastrophe. Cela commence avec la guerre du Yémen
en 1964 quand il a fait dix jours de marche dans le désert pour aller soigner
des blessés, et cela s'est poursuivi jusqu'il y a quelques années au Darfour.
En 4X4, à pied, à dos de chameau, à chaque fois, il est au rendez-vous. Il y a
eu les épidémies : la tuberculose, le sida, etc. Il y a eu les guerres:
Cambodge, Bangladesh, Angola Chypre, et toutes les autres.

Parmi les missions
gravées dans sa mémoire : le Biafra à la fin des années 60. "On travaillait dans un hôpital rural où il
n'y avait que deux tables d'opérations. Les blessés arrivaient par dizaines,
parfois ficelés sur des vélos. On ne pouvait pas tous les sauver. Alors on
était obligés de faire un tri. Ceux dont on savait qu'ils avaient peu de chance
de survivre, on leur donnait de la morphine. Ils nous répondaient : 'I'm
sorry to disturb you' : Je suis désolée de vous déranger" C'était terrible.
On en pleurait presque
", se souvient le médecin.

La
musique pour redonner la force de se battre

C'est au Biafra qu'il a découvert
que les médicaments et la chirurgie ne suffisaient pas. "Pour redonner aux enfants mourant l'envie de
se battre pour la vie, je faisais venir des danseurs et des musiciens. Portés
par la musique, j'ai vu des petits se redresser, trainer leur perfusion jusque
dans la cour, alors qu'on les croyait mort quelques jours plus tôt. La musique,
c'est une thérapie que j'ai gardé dans ma boîte à outil et que j'ai souvent
ressortie, notamment dans les orphelinats de Saïgon
", raconte
l'octogénaire avec l'œil qui pétille.

Ce médecin-là est un humaniste qui
privilégie la psychologie, l'échange, la culture, l'art. Docteur Pascal ne
garde jamais loin de lui son stylo et
ses crayons de couleurs. Sur chacune de
ses missions, parfois au bout de l'enfer, il a couché sur le papier le récit de
ses journées. À chaque fois : un petit texte et un dessin façon BD avec des
bulles. "Le plus souvent, je faisais
ça le soir sous la moustiquaire
", se souvient-il.

Aujourd'hui tout cela constitue 70
carnets précieux, passionnants à feuilleter. Sur ces pages, il collait des
photos, des dessins d'enfants, des articles de presse, quelquefois un peu de
botanique. "Regardez cette photo que
j'ai prise là, ce sont des photos de femmes avec leurs enfants qui étaient
malades. C'était au Darfour. Les femmes du Darfour sont formidables
",
explique le docteur.  Avec ces carnets,
il a voulu témoigner, raconter quarante-cinq années de soins et de rencontres
fortes. Ces mémoires illustrées seront
publiées le 31 octobre. (Toute une vie d'humanitaire , éditions Elytis). 

Le
précieux drapeau de la Croix-Rouge

S'il a eu beaucoup de joies au cours
de sa carrière d'humanitaire, le médecin confie avoir eu peur aussi quelquefois.
"Au Liban, en 1976, quand il a fallu
entrer dans le camp palestinien de Tell Zaatar, j'avoue  que je ne faisais pas le malin. Notre voiture
a roulé sur des cadavres. Ensuite, une fois à pied, devant la porte d'entrée,
on se sentait très vulnérables
", raconte-t-il.

"Ce qui nous a sans doute  permis de ne pas tomber sous une balle
palestinienne ou chrétienne à ce moment-là, c'est le drapeau de la Croix-Rouge
que je tenais fermement. Quand les portes se sont ouvertes, j'ai vu un collègue
de l'autre côté avec le drapeau du Croissant Rouge, c'était le même mouvement,
la même famille, j'ai été rassuré, j'ai compris qu'on s'en sortirait !
",
relate-t-il avec tous les détails.

Le docteur Grellety-Bosviel a vu
évoluer la médecine humanitaire au fil des
guerres. Il regrette aujourd'hui qu'elle soit devenue "très technique, très administrative ".
"Les volontaires aujourd'hui
débarquent sur le terrain avec leurs ordinateurs et passent le plus clair de
leur temps à écrire des rapports à destination de leurs sièges et des
donateurs. Le soir, ils regardent "
Plus belle la vie " sur internet. Résultat : ils ne sont
plus assez en contact avec le terrain
", déplore-t-il.

Selon lui, il ne faut pas juste
maîtriser la logistique et la médecine pour faire du bon travail. "Il faut connaitre les cultures des pays où
on se rend pour s'adapter et aussi se faire accepter. Quand j'allais dans des
pays musulmans, il m'est arrivé de faire le ramadan. Cela inspirait le respect
et la confiance aux personnes sur place
", explique-t-il. L'infatigable
docteur continue de voyager  aujourd'hui
mais en touriste. Il a pour projet de retourner bientôt au Nigéria, dans
l'ancien état sécessionniste du Biafra, 
46 ans après la guerre. 

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