Ilssont collègues, éducateurs à la PJJ (protection judiciaire de lajeunesse) où ils suivent des mineurs reconnus coupables d'actes dedélinquance et ils disent tous les deux qu'ils ne le sont pas devenuspar hasard. Sébastien a rejoint ce service social sous la tutelle duministère de la Justice en 2006 mais cela fait près de treize ans qu'iltravaille dans le social. Martin - un prénom d'emprunt choisi parl'intéressé qui n'est pas syndiqué - a intégré la PJJ en 2000 après unpetit passage par une librairie. Tous deux avaient été animateursauparavant, tous deux disent qu'ils appartiennent à "la famillepolitique de la gauche" . Lestravaux de sociologie ont longtemps classé le milieu des éducateurs àl'extrême-gauche. A tout le moins la "gauche de la gauche" . Or niSébastien ni Martin ne s'en réclame. Notamment parce que le jeu despartis, les rouages institutionnels des formations politiques ont plutôteu un effet repoussoir sur les deux hommes. Ces derniers ont 36 ans àquelques mois près. C'est-à-dire que leur première électionprésidentielle remonte à 1995, et l'arrivée de Jacques Chirac àl'Élysée.Martin se raconte comme quelqu'un de "peu politisé,intéressé mais pas militant" à l'époque. Sébastien comme d'un citoyentrès tôt désabusé. Pour lui, c'est à l'âge de 20 ans que l'éloignementde la sphère politique s'installe. Il est pourtant structuré par unefamille "progressiste, engagée" , et milite surtout lui-même dans unpetit mouvement de lutte contre le Front national, qui entame à l'époquesa crue dans les urnes. Repolitisé par le travailCepetit mouvement étant anti-FN très embryonnaire, certains décident d'entamerun rapprochement avec les partis. L'interlocuteur qui s'impose est leMJS, la formation socialiste pour les jeunes. C'est ce qui fera fuirSébastien, qui ne trouvera un regain d'intérêt que bien plus tard, avecl'action syndicale au sein de la PJJ. Des années après son entrée dansles métiers du social, en 1999. (Ecouter le témoignage de Sébastien etce qu'en dit Frédéric Sawicki, professeur en science politique à ParisI). Martin,lui, étrille au premier chef la confiscation de la politique par unpetit nombre. Le jeune homme fustige "la politique des professionnels" ,argue qu'il ne voit pas pourquoi la justice se serait ouverte à lasociété civile avec les juges ascenseurs et pas les partis. Et dénonce"une diversité de façade". A l'UMP, lui qui est né en métropole de deuxparents arrivés de Martinique, est convaincu qu'il ne s'agit pas d'autrechose.Une diversité ethnique, mais aussi socialeQuant au PS, malgré Julien Dray, les années SOS Racisme, et lefléchage de certains postes éligibles, Martin estime que "c'est peau dechagrin" . Or la diversité "ethnique et donc sociale" est un de sespremiers critères lorsqu'il détermine son vote. Frustré, il en conçoitun certain désenchantement de longue date. Interrogésur le décalage que les deux éducateurs pointent entre les partis etune France plus concrète, plus mélangée, Frédéric Sawicki souligne quecette critique est d'autant plus saillante en temps de doute politique.C'est-à-dire en ce moment par exemple. Pourtant,Martin comme Sébastien voteront en 2012. Martin parce que "ças'impose" , Sébastien parce qu'il s'est repolitisé peu à peu. Aujourd'huià la recherche de nouvelles formes d'engagement en politique, il s'estrapproché du MUP, le petit parti mis en selle par Robert Hue. Sébastienn'a pas envisagé d'adhérer au Front de gauche, il reste circonspect faceà Mélenchon. Et prône "le vote dit utile" , lui qui avait votéécologiste en 2002. Ce n'est pas tant pour éviter un 21 avril bis qu'ils'apprête donc à voter Hollande dès le premier tour. Plutôt pour faireéchec à la droite.Marine Le Pen, banalisée par les médias ?Martin,lui, reste marqué prioritairement par 2002 et l'arrivée du Frontnational au second tour. Un moment fondateur dans son parcours civique.Martin est de ces trentenaires qui racontent faire le choix en fonctionde ce souvenir "traumatisant" . Il parle de "lutte contre le fascisme" ,en veut aux médias de "banaliser Marine Le Pen" . Et estime ne pas avoirle luxe de décider entre différentes nuances de gauche sur un nuancierde plus en plus brun à ses yeux. Làencore, Frédéric Sawicki retrouve dans ce "vote utile" une tendancelourde qui s'exprime d'autant plus dans l'électorat que l'échéanceélectorale se rapproche.