C'est dans ma tĂȘte. Ces statues qu'on dĂ©boulonne
Le dĂ©bat sur les statues de personnalitĂ©s controversĂ©es de l'histoire - personnalitĂ©s jugĂ©es par certains esclavagistes, et/ou racistes - est plus fort aux Ătats-Unis. En France, un homme a taguĂ© la statue de Colbert le 23 juin dernier, devant l'AssemblĂ©e nationale. Il sera jugĂ© au mois d'aoĂ»t.
Le prĂ©sident Emmanuel Macron a dĂ©clarĂ©, on le sait, quâaucune statue ne serait dĂ©boulonnĂ©e. Les statues resteront donc en place. Mais on sait que le dĂ©sir de les dĂ©boulonner reste vif chez beaucoup de gens. Nous revenons avec la psychanalyste Claude Halmos sur les motivations psychologiques qui sous-tendent des actions de ce type.
franceinfo : Quâest-ce qui pousse Ă vouloir dĂ©boulonner des statues ? Est-ce que cette action peut aider ceux qui lâaccomplissent ?   Â
Claude Halmos : Ces actions visent Ă faire - au propre comme au figurĂ© - tomber de leur piĂ©destal, des hommes qui ont promu lâidĂ©e de "race", et les pratiques, comme lâesclavage, qui en ont dĂ©coulĂ©Â ; et Ă obliger la sociĂ©tĂ© Ă en reconnaĂźtre le caractĂšre scandaleux. Et cette reconnaissance est importante pour la collectivitĂ©, mais aussi pour les individus.  Â
Pour quelles raisons ?  Â
On sait aujourdâhui que lâhistoire personnelle de chaque individu dĂ©pend de ceux qui lâont entourĂ© et, en premier lieu, de sa famille : on ne se construit pas tout seul. Mais on sait moins quâelle dĂ©pend aussi des conditions sociales, Ă©conomiques, et historiques, dans lesquelles vit, et a vĂ©cu cette famille.
Les horreurs, que subissent les populations, et les terreurs quâelles engendrent, marquent ceux qui les vivent, mais façonnent aussi leur descendance, parce quâelles se transmettent consciemment, et surtout inconsciemment, de gĂ©nĂ©ration, en gĂ©nĂ©ration. Avoir des ancĂȘtres qui ont Ă©tĂ© vendus comme des marchandises, dĂ©coupĂ©s Ă la machette, ou gazĂ©s dans des chambres Ă gaz laisse des marques indĂ©lĂ©biles. Et justifie, sur le plan individuel aussi, un "devoir de mĂ©moire". Â
En quoi ce "devoir de mĂ©moire" est-il utile ?    Â
La connaissance de lâhistoire est un repĂšre essentiel. Le travail avec des adolescents issus de minoritĂ©s maltraitĂ©es, par exemple, montre que leur rĂ©volte, et leur colĂšre, tiennent Ă leurs conditions de vie prĂ©sentes, souvent indignes. Mais plongent aussi leurs racines dans lâoppression accumulĂ©e au fil des siĂšcles, dont ils subissent les effets, sans en ĂȘtre conscients. Et leur en parler est indispensable pour quâils puissent sortir de la violence, rĂ©flĂ©chir Ă leur rĂ©volte, et lâagir autrement. Â
Voir les statues dĂ©boulonnĂ©es pourrait donc les aider ?   Â
Non. DĂ©boulonner des statues rĂ©duit les phĂ©nomĂšnes Ă des individus. Câest contraire Ă la vĂ©ritĂ©Â : les individus, quel que soit leur pouvoir, ne peuvent agir que si les conditions le leur permettent. Et de plus dangereux, parce que cela peut faire croire Ă certains quâabattre tel ou tel, rĂ©soudrait les problĂšmes. Et cela relĂšve, de plus, dâun dĂ©sir de faire disparaĂźtre lâhorreur. DĂ©sir lĂ©gitime mais, lui aussi, dangereux.
On le voit dans les familles, oĂč lâon a, Ă une gĂ©nĂ©ration, occultĂ© des Ă©vĂšnements, en croyant protĂ©ger les descendants. Alors que cela les condamne, Ă chercher toute leur vie, ce qui les accable. On ne se dĂ©barrasse pas de lâhorreur en lâeffaçant, mais en lâaffrontant, et en travaillant Ă la comprendre. Par rapport aux mĂ©faits de tous les racismes, Il faut donc comprendre ce qui les a permis. Et a permis ensuite que lâon en oublie lâhorreur.
Le problĂšme nâest pas de dĂ©boulonner les statues, mais dâenseigner ce dont elles sont le produit. Câest le seul moyen pour que lâhorreur ne se reproduise pas.    Â
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