L'Angle éco. Face au chômage, elles ont créé leur propre emploi
Elles s’appellent Sonia, Naïma et Dominique. Toutes trois ont plus de 50 ans et vivent en banlieue. Toutes trois ont connu de deux à trois années de chômage. Face aux difficultés de retour à l’emploi, elles ont choisi de monter leur entreprise. "L'Angle éco" leur donne la parole sur Francetv info.
Certains chômeurs profitent de l'aide de Pôle emploi pour se lancer et monter leur entreprise. Un pari parfois risqué, long et semé d’obstacles. Mais aussi une envie de longue date pour ces femmes seniors, discriminées sur le marché du travail. Comme elles, un tiers des créateurs d’entreprise et auto-entrepreneurs étaient demandeurs d’emploi avant de lancer leur activité, selon l’Insee. Une solution face au chômage ? Ces trois femmes en sont convaincues.
Sonia : “Sans l’entrepreneuriat,
je serais encore en galère”
Son nom est connu de tous à l’entrée de l’hôtel Pullman, à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle. Nous sommes un samedi après-midi, mais Sonia Bajic est sur le pont. Roissy, c’est un peu son territoire. Elle y travaille sans relâche depuis 1991. D’abord en tant qu’assistante de direction pour plusieurs sociétés de l’aéroport. Puis en tant que responsable commerciale pour pas moins de 13 hôtels. Pendant neuf ans, Sonia Bajic a géré les “emergencies”, le logement de passagers dont les vols étaient annulés ou retardés. Et bien d’autres choses.
Aujourd’hui, grand sourire à l’appui, Sonia Bajic semble toujours aussi épanouie dans son travail. A un détail près : elle n’est plus salariée, mais entrepreneuse. Ou plutôt, auto-entrepreneuse. Une création d’activité qui était un projet de longue date et qui lui a permis de sortir d’une longue période de chômage.
En 2012, le groupe hôtelier pour lequel Sonia Bajic travaille annonce un projet d’économies sur la masse salariale : 40 postes sont menacés, dont le sien. La responsable commerciale peut intégrer un autre service pour maintenir son emploi, mais elle sait que 70% de son activité va disparaître. Depuis le début de l’année, des travaux de rénovation l’empêchent de prendre en charge des “emergencies” dans son hôtel. Sans autre perspective, Sonia Bajic accepte de faire partie du plan de départs volontaires.
“J’ai pris cela comme une chance, comme l’occasion de faire autre chose”, confie-t-elle. La responsable commerciale est convaincue que son passage à Pôle emploi ne durera pas. Mais les semaines, puis les mois défilent, et toujours rien. Sonia Bajic envoie plusieurs centaines de candidatures, sans réponse. Au bout de six mois, elle décroche deux mois d’intérim, puis un CDD d’un mois. Mais la perspective d’un nouveau CDI s’éloigne. Sonia Bajic vient d’avoir 50 ans et sait que son âge pose problème. Elle n’obtient des entretiens que si elle n’indique ni son âge ni sa date de naissance.
Deux ans passent ainsi. “Les fêtes de fin d’année arrivent, vous devez faire des cadeaux mais vous n’avez plus d’argent, se souvient-elle. Vos amis prennent des congés mais vous n’en avez pas, vous ne travaillez pas !” Sonia Bajic décide alors de se lancer. Elle bénéficie de l’ARCE, l’Aide à la reprise ou à la création d’entreprise de Pôle emploi, qui lui permet de toucher la moitié des indemnités qui lui restent pour monter son activité. L’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) lui propose un microcrédit de 2 000 euros. Les choses s’enchaînent vite. En mars 2015, son ancien directeur la rappelle pour lui proposer une mission de marketing et de prospection à l’hôtel Pullman de Roissy. Sonia Bajic commence le 17 juin, à peine un jour après l’obtention de son statut d’auto-entrepreneur.
Cette première mission dure six mois. Le mois de janvier 2016 est plus calme, mais l’entrepreneuse retrouve vite une activité. Depuis fin février, elle est chargée de mission pour les hôtels Millennium de Paris et Roissy. “Sans l’entrepreneuriat, je serais encore en galère, raconte-t-elle. C’est cela qui m’a redonné du travail et de l’espoir.” Ravie, Sonia Bajic compte bien aller plus loin. Elle rêve de devenir chef d’entreprise et d’ouvrir un hôtel en Croatie, son pays d’origine. Pour créer d’autres emplois après avoir créé le sien.
Naïma : “Pourquoi ne pas travailler pour soi ?”
“Chez Nana” pourrait être une laverie comme tant d’autres. Dans le quartier de l’Abreuvoir à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, cette laverie automatique ouvre tous les jours de 7 à 21 heures. Pourtant, on y retrouve de nombreuses touches personnelles : le dessin d’un enfant accroché au mur, des plantes pour décorer les lieux ou encore une peinture tunisienne achetée au marché de la ville. “Nana”, Naïma Bouabsa, voulait faire de sa laverie un espace des plus accueillants. Chaque jour, elle et son mari tiennent la boutique, soucieux d’être toujours présents.
Ce samedi après-midi, “Nana” accueille les clients avec un grand sourire. Des conversations s’engagent, des jeunes se retrouvent. Naïma Bouabsa se dit fière. Sa laverie, ouverte en juin 2015, tourne désormais à plein régime. Le fruit d’un long travail semé d’obstacles. C’est aussi ce qui a permis à sa fondatrice de retrouver une activité à 58 ans, après trois ans de chômage.
Il y a six ans, Naïma Bouabsa travaillait dans la boulangerie de son fils Anis, au nord de Paris. Quand son mari est atteint d’un cancer et doit suivre une chimiothérapie, elle n’a d’autre choix que d’arrêter de travailler. Deux ans passent. Après la guérison, Naïma Bouabsa tente de retrouver du travail, sans succès. Elle postule dans les boulangeries, dans les écoles et résidences pour personnes âgées. Aucune réponse. “Je me suis dit, ‘pourquoi ne pas créer mon emploi ?’”, se souvient-elle. Quand elle voit que la seule laverie du quartier vient de fermer, Naïma Bouabsa se décide. L’idée de “Chez Nana” est née.
Le projet est lancé au printemps 2013. Naïma Bouabsa parvient à trouver un local du quartier avec l’aide de sa fille et grâce à l’Office public de l’habitat (OPH). Elle signe son bail en 2014 et continue de chercher des financements. Mais pendant un an, les refus des banques s’accumulent. Un microcrédit de 10 000 euros lui est refusé car les banques ne suivent pas. Grâce à un contact à l’Adie, Naïma Bouabsa obtient finalement un prêt de 19 000 euros, remboursable en cinq ans. La laverie peut voir le jour.
Planet Adam, association qui promeut l’entrepreneuriat en banlieue, l’aide à monter son business plan et lui apprend les techniques de gestion financière et administrative d’une entreprise. “Nana”, qui sait peu lire et écrire, devient entrepreneuse le 6 juin 2015. “Je n’ai pas laissé tomber, dit-elle avec émotion. Je suis fière de moi ! J’avais envie de créer quelque chose. Cela m’a pris deux ans. Mais quand on veut réussir, on y arrive.”
Aujourd’hui, Naïma Bouabsa accueille une cinquantaine de clients par jour. Elle ne se verse pas encore de salaire, mais parvient à couvrir les factures et son crédit avec les revenus de la laverie. “Nana” — comme l’appellent ses petits-enfants — rit quand on lui demande si elle a d’autres projets. “J’ai envie d’ouvrir une autre laverie”, dit-elle avec un grand sourire. A bientôt 60 ans, l’entrepreneuse vient d’obtenir un nouveau local à Rosny-sous-Bois. Et cette fois-ci, sa banque la suit.
Dominique : “On vit pour ça !”
Vu de l’extérieur, personne ne pourrait penser qu’une entreprise se monte dans cette maison de la rue de la Libre pensée, à Romainville, en Seine-Saint-Denis. Seule une petite plaque “Effervescent Games” intrigue. C’est en entrant que l’on découvre l’envers du décor. Dominique Valsot, 55 ans, vit ici avec Matthias, son fils de 29 ans. Effervescent Games est le nom de la société fondée… dans leur salon. Sept personnes y travaillent du matin au soir. Et à midi, la pause déjeuner se prend dans la cuisine familiale.
Ce jour-là, les quatre fondateurs d’Effervescent Games sont présents. Ils travaillent à la création d’un nouveau jeu vidéo, capable de se redéfinir en fonction des préférences et habitudes des joueurs. Dominique, elle, développe des applications mobiles avec un objectif d’innovation sociale. Sa première en date : une application contre le gaspillage alimentaire. Vers 13 heures, le jeune graphiste de la start-up arrive. Antoine travaille au dessin des visages du nouveau jeu vidéo.
Matthias, Rémi et Nils se connaissent depuis leur passage à l’Ican, l’Institut de création et d’animation numériques de Paris. Quand Rémi et Nils terminent leurs études, Dominique Valsot est au chômage depuis deux ans. Elle développe des sites internet et rêve d’entreprendre. Matthias perd lui aussi son emploi après un dépôt de bilan. Depuis quelques mois, les quatre amis réfléchissent ensemble au lancement d’une activité. Et si c’était le bon moment ? Une visite au Salon des entrepreneurs sert de déclic. “Nous nous sommes dit, ‘on va commencer à se lancer’…”, se souvient Dominique Valsot.
L’entrepreneuse en herbe travaille dans l’informatique depuis ses 17 ans. Elle sort de huit ans de travail dans le marketing et commercial pour une filiale de PSA. Après la perte de son contrat, le chômage devient l’occasion de créer enfin son entreprise. “L’entrepreneuriat, c’est une liberté d’action et de création, soutient Dominique Valsot. Je voulais travailler pour moi, dans l’innovation.” Elle se forme en marketing en ligne avec Pôle emploi. Matthias, lui, obtient l’Aide à la reprise ou à la création d’entreprise (ARCE) dès son inscription au chômage. La moitié de ses indemnités serviront à financer le projet.
“Ça a été un travail de 7 heures du matin à minuit, mais c’est une très belle aventure !” sourit Dominique Valsot. Le chemin a été ardu, entre une longue recherche de financements et des incubateurs parisiens refusant le projet car il venait de banlieue. Mais avec l’aide de l’association Planet Adam, l’équipe monte un business plan et obtient plusieurs prêts, ainsi qu’une subvention de la Banque publique d’investissement (BPI).
Aujourd’hui, Effervescent Games a rejoint l’incubateur-pépinière de Rungis. La start-up comptera bientôt une sixième salariée en CDI. Mais Dominique et Matthias attendent encore quelques mois pour se verser un salaire. Une situation précaire ? L’entrepreneuse et son fils s’en sortent et ne regrettent rien. “C’est la création qui compte avant tout, soutient Dominique Valsot. On vit pour ça, on se lève pour ça !” A leurs côtés, Rémi, Nils et Antoine travaillent au développement du jeu vidéo. L’innovation se crée aussi dans ce salon de Seine-Saint-Denis.
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