Les journalistes de France 2 saluent la mémoire de Benoit Duquesne
Lundi 7 juillet 2014, l'ensemble des journalistes et collaborateurs de la rédaction de Complément d'enquête et de France 2 se sont réunis pour rendre un hommage à Benoît Duquesne. Voici leurs textes.
L'OURS DES CÉVENNES par la rédaction de Complément d'enquête
Croiser Benoît Duquesne la première fois dans les couloirs de France 2, c’est vous retrouver au beau milieu d’une forêt, nez-à-nez avec un ours des montagnes.
Mal léché, l’ours…
Et l’impression persistait quand vous aviez la chance de travailler avec lui.
Les jours où Benoît Duquesne se levait de mauvais poil, mieux valait ne pas être sur son chemin...
Ces matins-là, le cœur battant, les yeux courageusement rivés sur la page Google – et oui, on enquête à Complément d’enquête- , on l’entendait grommeler de sa grosse voix d’ours, tout au fond de la rédaction… On s’attendait alors à le voir brusquement surgir de sa tanière pour dévorer l’un d’entre nous, tant on connaissait son appétit légendaire..
Lorsque l’ours pénétrait dans votre salle de montage, vous vous sentiez d’un coup tout petit… Un écolier de 7 ans, en culottes courtes.
« Salut les branleurs ! »… « Faut arrêter d’être con !! » ….
« Qu’est ce qu’on raconte dans ce sujet !!!! »
On a tous le souvenir de ses coups de pattes, de ses coups de griffes.
Jusqu’à ce qu’un beau jour, à la fin d’un énième visionnage de sujet, l’ours vous gratifiait d’un… « C’est pas mal... » vous donnant l’impression d’être le nouvel Albert Londres.
C’était ça, Benoît Duquesne.
Une bête d’info, un animal au sang chaud qui vous reniflait pendant des semaines et finissait par vous accorder sa confiance.
Cette confiance, vous vous battiez alors pour la conserver comme un cadeau précieux.
Car elle vous donnait des ailes…
Elle vous poussait à bouffer de la séquence, à mettre les deux pieds dans la porte, comme Benoît aimait nous le marteler.
Cette confiance, elle vous révélait tel que vous étiez vraiment.
Année après année, la grosse voix était devenue presque ronronnante.
Le vieil ours prenait même parfois des airs d’ours en peluche.
Ce n’était plus seulement sa confiance qu’il offrait, mais, osons le mot, sa tendresse.
Benoît flairait les bons coups, il avait aussi appris à sentir les coups de moins bien, lorsque l’un d’entre nous était rattrapé par les soucis ou les malheurs.
Là, Benoît posait sa grosse patte sur votre épaule, un bon quintal qui vous faisait trembler jusqu’aux pieds. Les yeux dans les yeux, il vous disait.. « Prends soin de toi.. Occupe toi des tiens, c’est important… », avant de s’en retourner dans sa tanière ou sur son fauteuil rouge.
On n’a jamais eu l’occasion de te le dire, Benoît…
On t’aime…
Ta grosse voix va méchamment nous manquer.
LE MUR par Marie-Pierre Farkas et Jean-Louis Normandin
Moi, je voudrais vous parlede la douceur de Benoît. Je sais tout sur son exigence professionnelle, son intransigeance, son respect du public et de lamission des journalistes.
Mais je le vois raccrochant son téléphone après une mise au point ferme et virile avec un reporter en mission. Il se tournait vers nous et demandait : « Ca va ? J'ai raison, non ? Vous trouvez que j'ai été trop dur ? »
Quand la réponse à cette question était oui , il attendait la fin du 13 ou 20 Heures et passait un coup de fil pour sire à quel point le reportgae était bien. Et les félicitations de Benoît inquiétaient plus que ses engueulades. Le journaliste congratulé nous rappelait dans la seconde pour nous dire : « Mais qu'est-ce qu'il a Benoît ? Il a vraiment trouvé que c'était bien ? ».
C'est cette école-là qui a formé tous les grands journalistes que vous êtes et donné le label France 2 à l'info.
J'ai eu la chance de connaître un Benoît moins offciel.
Mais en vacances, il était pire !
La randonnée sans carte et hors des sentiers balisés était l'une de ses spécialités. Peu importe qu'on ait pris des vivres, emmenésles enfants en bas âge ou les chiens. Il fallait avance, aller voir, toujours plus loin, e,vore plus haut. Et personne n'osait lui dire stop. Au moindre signe de faiblesse, il nous regardait avec un sourire désarmant et demandait : « Ben quoi, vous êtes fatigué ? On y est presque ! ».
Un mur porte son nom dans la maison de Jean-Louis à l'Île aux Moines. C'est celui qu'il a construit chaque matin, quand, après le footing avec son chien, puis les 10 kilomètres à vélo pour aller chercher son pain frais à l'ouverture de la boulangerie. Il disait : « Bon et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ? ». Il adotait la bétonneuse, surtout aux premières heures de la matinée.
En bateau, c'était très vite tout droit, en ski, pareil. Benoît avait la fureur de vivre, de rire et d'aimer. Ses enfants sont les mieux élevès que je connaisse : infatigables, jamais ronchons, débrouillards, autonomes très jeunes et surtout très attentifs au bien-être des autres. L'éducation GIGN leur a permis d'être à l'aise sur tous les terrains, de faire leur paquetage en dix minutes chrono. le sens des valeurs Duquesne a fait le reste.
Car Benoît était un coeur, un amour d'ami, bien meilleur anamyste des problèmes existentiels que sa carapace de commisaire divisionnaire ne pouvait le laisser supposer. Deux fois, il a réussi à sauver mon couple. La troisième... Benoît n'était pas infaillible, ni éternel. Quelle connerie. Il faisait si bien semblant d'être fort qu'on avait fini par le croire indestructible...
PATRON par Yasmina Farber
Je me suis souvent dit qu’être journaliste, c’était rester à vie un grand enfant, un éternel étudiant.
Toujours à rendre sa copie, à attendre la mauvaise ou la bonne note de son professeur.
Benoît est l’un de ces grands profs. Vous savez ceux qui vous marquent à l’école, au lycée ou à la fac. Qui fédèrent une classe. Qui donnent une énergie à un groupe. Ces grands profs comme dans "Le cercle des poètes disparus". Ces mentors qui font de vous les bons étudiants qui ont envie d’apprendre et de progresser.
Aux infos génés, il a fait de moi une reporter tout terrain, m’a confié des dossiers judiciaires. Il avait la patience de nous écouter avec Valérie Hermitte expliquer pendant des heures des dossiers de pédophilie qui n’intéressaient personne. Si nous arrivions à le convaincre, il signait la mission.
Benoît s’amusait aussi de mes problèmes de gardes de chat quand il me faisait partir à l’arrache ! Depuis il me demandait toujours des nouvelles d’Arnold…
Et puis il y eut l’aventure Complément d’Enquête…
Là encore, Benoît, c’est le vrai chef. Celui qui tape sur l’épaule. Crée un esprit d’équipe. Vous appelle par votre sobriquet : Yas, Jojo, Chouchou, Kolo, JB, Claudio… De la familiarité, de la complicité et pourtant il conservait son autorité naturelle de colosse.
Veste en cuir, le pas lourd, il arrivait au bureau et nous fredonnions l’air de Dark Vador. il souriait, ronchonnait. Nous nous faisions petits quand le visage était fermé. Quelqu’un, c’est sûr, allait essuyer les foudres du Duke.
Un vrai prof, un vrai chef.
Benoît, le Monsieur Plus qui voulait toujours la séquence impossible, l’interview qui tue, la question que personne n’ose poser. Celui qui vous faisait déplacer des montagnes et les gravir pour lui.
C’était il y a déjà 10 ans….
Dernièrement, je lui avais envoyé un SMS.
« Bonjour Patron, on peut déjeuner ? »
Réponse: « Bien sûr et en plus si tu m’appelles Patron j’adore ! »
Evidemment il était venu, il avait visité mon petit bureau, ma petite salle de montage de ma petite boîte de prod. Il m’avait encouragée. En bon colosse, il avait mangé un steak frites au Café du Commerce.
Son dernier message je l’ai regardé. Il l’avait signé Benoît (Patron).
UNE MANIERE D'ETRE par Valérie Hermitte
La première fois que j'ai eu affaire a Benoit , j'étais correspondante à Nice.
Il venait tout juste d'arriver aux infos génés de la 2 et il chapeautait désormais les bureaux des régions.
Je montais un sujet, le téléphone a sonné.
« Salut c'est Duquesne. Comment tu construis ton sujet et c'est quoi ta phrase d'attaque ? ». Un peu surprise (ça ne m'était jamais arrivé), je lui réponds.
« Ok c'est quoi ton 1er plan ? »
« Euh..c'est un pano entre la mer et une maison »
« Ok le pano il va de la mer à la maison ou l'inverse ? »
Je lui réponds encore, un peu interloquée. Je me dis qu'il est bizarre comme mec. Je venais simplement d'entrevoir ce qu'était la précision et la rigueur.
Deux mois plus tard j'intégrais son service à Paris. Je me souviens comme si c'était hier d'une des premières phrases que je l'ai entendu prononcer.
L'un d'entre nous lui demandait si ça valait le coup qu'on parte sur un fait divers, s'il ne fallait pas qu'on réfléchisse un peu avant.
Un peu cinglant et goguenard il répondit : « On y va et on met tout en boite. Ce n'est que lorsqu'on aura tout en boite qu'on pourra réfléchir. Si on arrive en retard on n'aura plus jamais la possibilité de réfléchir puisqu'on n'aura rien ».
C'était d'une évidence confondante.
C'est devenu une manière d'être.
Benoit insufflait une énergie hors norme. Il avait toujours un coup d'avance.
Il nous a appris à nous surpasser. Pas pour lui faire plaisir , mais pour SE faire plaisir.
Être les meilleurs. Toujours.
Ça n'était pas toujours facile, mais il était là à chaque fois qu'on doutait. Il pouvait passer des heures au téléphone, en pleine nuit s'il le fallait.
Il nous accompagnait et il nous donnait des ailes.
Benoit ne laissait personne indifférent. Il était respecté, mais il était aussi profondément aimé et parfois détesté.
Comme beaucoup d'autres je fais définitivement partie de la première catégorie.
Tu vas tellement nous manquer Benoit.
LE "DUKE" par Agnès Gardet
Le "Duke"... Je te revois, veste et chemise blanche, la main crispee sur la poitrine. Comme si deja ce coeur te faisait mal, ou marchait pas assez vite, toi qui en voulait tant. Toujours plus. Jamais rassasié. Toujours partant. Jamais au repos. Cette exigence, folle ou salutaire, tu l'as mise au service de l'info. A la façon d'un juge d'instruction dont certains voudraient la peau, à charge et à décharge.
Tu m'as tellement appris. Quand je suis arrivée à Complément, pour devenir 'magazinière", je suis repartie de zéro ou presque. Et le métier est rentré, enfin il me semble.
Merci pour ça. Quelle chance d'avoir fait ce bout de chemin ensemble.
"Complement d'enquête", ce n'est pas seulement une excellente émission. C'est aussi une école, inventée par toi. Une écriture, un ton, des voix, une façon de filmer... Je rends hommage à cette école. Et à son maitre.
Adieu Benoit.
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