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Comment Compiègne a été financée par la réserve parlementaire de son sénateur-maire

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le sénateur-maire UMP de Compiègne (Oise), Philippe Marini, le 9 septembre 2014 à Paris. (MAXPPP)

Grâce à cette cagnotte, Philippe Marini a débloqué 19 millions d'euros de subventions du ministère de l'Intérieur pour la commune dont il est maire, entre 2004 et 2013.

Il ne voulait pas "susciter de jalousie". Prié en 2013 de détailler sa réserve parlementaire, cet outil qui permet à un parlementaire de débloquer des subventions du ministère de l'Intérieur pour les communes de son choix, le sénateur-maire UMP de Compiègne (Oise), Philippe Marini, avait refusé. A l'époque, les documents obtenus par l'association Pour une démocratie directe sur l'année 2011 montraient déjà que le rapporteur du budget au Sénat était l'un des élus qui distribuait le plus et Compiègne l'une des villes qui recevaient le plus (1,2 million d'euros).

On comprend encore mieux la réticence de Philippe Marini aujourd'hui. Selon un document élaboré par la direction des affaires financières de la ville et que francetv info a consulté, la ville de Compiègne a reçu, de 2004 à 2013, 19 millions d'euros de subventions au titre de la réserve parlementaire. L'association Pour une démocratie directe a démarché les six communes qui avaient le plus bénéficié de ce système en 2011 et 2012. Seules Compiègne (2e), Avrillé (4e) et Provins (5e) ont répondu. Le Perreux-sur-Marne (1re), Villeneuve-sur-Lot (3e) et Douzy (6e) n'ont pas donné suite.

Une manne cruciale pour investir

Nouveaux box pour le centre équestre, construction d'une cantine ou d'un stade d'athlétisme, travaux de voirie et d'éclairage, rénovation du cloître Saint-Corneille... Pendant des années, la réserve parlementaire de Philippe Marini, plus élevée que celle d'un sénateur lambda de par ses fonctions de rapporteur du budget (1998-2011) et de président de la Commission des finances (2011-2014), a subventionné les investissements de Compiègne.

En janvier 2011, la Chambre régionale des comptes de Picardie (CRC) observait que, de 2005 à 2007, cette manne "précaire" représentait en moyenne "14% des ressources de financement de la collectivité". En se plongeant dans les budgets de la ville disponibles sur son site internet (2006-2013), francetv info a constaté que la part de la réserve parlementaire grimpait jusqu'à 20,2% des recettes du budget investissement de Compiègne en 2008, avec 2,27 millions d'euros. En moyenne, sur cette période, cette cagnotte apportait 12,82% de l'argent utilisé pour investir.

"Je n'ai pas à en rougir"

Agacé d'évoquer une nouvelle fois le sujet après avoir été épinglé par France 2 sur une curieuse subvention corse et par Le Parisien sur le centre équestre, Philippe Marini assume. "Ce sont des subventions publiques, délibérées en conseil municipal (...). En tant que rapporteur général du budget et président de la Commission des finances, j'ai eu accès à une part importante de la réserve parlementaire. Tout le monde le sait, cela a été dit et imprimé, en long, en large et en travers, tonne l'élu de l'Oise. Compiègne en a été largement bénéficiaire pendant toutes ces années et je n’ai pas à en rougir." 

Ce n'est pas l'avis de l'opposition. "Cet argent est un peu le fait du prince", commente Solange Dumay, conseillère municipale PS depuis 1983. Pendant des années, elle a vu Compiègne et ses associations (non répertoriées dans le document de la mairie) recevoir d'importantes subventions pour "mettre du beurre dans les épinards". Son camarade Richard Valente, tête de liste socialiste aux dernières élections et conseiller municipal depuis mars 2014, reconnaît que ces subventions ont "aidé la commune". Mais, "si on prend un peu de recul, ces pratiques étaient injustes par rapport à d'autres territoires" qui ne touchent pas de réserve parlementaire, souligne l'élu.

La cagnotte, une arme électorale ?

Pour Solange Dumay, la réserve parlementaire n'a cependant pas faussé le jeu électoral dans cette commune ancrée à droite. Richard Valente pense le contraire. "Mon adversaire, c’était le sénateur-maire, le président de la Commission des finances, ayant dans sa boîte à outils la fameuse cagnotte, rappelle-t-il. Le combat n’était pas d’égal à égal." Un argument balayé par le maire. "Il n’a aucune notoriété, il a fait le résultat le plus faible du Parti socialiste à Compiègne, il ferait mieux de s’interroger sur les raisons de ce score", s'agace Philippe Marini.

La question ne se posera pas la prochaine fois. Après deux primaires perdues, pour la présidence du Sénat et le poste de rapporteur du budget, Philippe Marini est redevenu un sénateur comme les autres, doté en principe - aucune règle n'existe - d'une réserve parlementaire bien moins importante. "On va être face à la réalité", commente Richard Valente. Selon l'élu, ces subventions ont jusqu'ici "caché une situation financière inquiétante", décrite dans le rapport de la CRC en 2011 : celle d'une ville endettée.

Dans Le Parisien, le maire a déjà préparé le terrain, prévoyant des "choix difficiles" et le gel de projets comme le cinéma du centre-ville. A francetv info, Philippe Marini explique qu'il fera "moins" et qu'il sollicitera d'autres financements pour ses investissements. "On peut faire sans réserve parlementaire, on fait mieux avec. Quand il n'y en a pas, il n'y en a pas. Quand il n'y en a plus, il n'y en a plus, s'agace-t-il. Voilà, c'est tout !"

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