: Reportage "On essaie de rassembler les gens" : comment une partie de la gauche tente de s'adresser de nouveau aux classes populaires
La reconquête d'un électorat populaire et rural passe parfois des voies étonnantes. Nous voici dans une foire à tout, samedi 2 septembre. Il s'agit d'une braderie très populaire. On y trouve des vêtements à quelques euros, des jouets, des livres et des saucisses-frites bien sûr. Le député socialiste du secteur Philippe Brun organise cette brocante dans cette petite ville de Léry dans l'Eure : "Ça va bien, vous avez pu manger un petit bout ?", lance-t-il à une habitante.
Le député a planté des graines, dès 6 heures du matin, avec une tournée de cafés, pour tout le monde. "C'est gentil de sa part", accorde Nicole mais la politique, elle n'y croit plus : "Ça fait plusieurs années que je ne vote pas. Je suis trop déçue." Pour Philippe Brun, "cette dame fait partie des gens qui votaient originellement à gauche et qui finalement ont le sentiment que la gauche est à côté de ses pompes. C'est ce que les gens me disent souvent.C'est à nous aujourd'hui de redonner de l'espoir", comprend le député socialiste. "Que la gauche reprenne sa place", ponctue Nicole.
"Marine Le Pen écoute mieux les Français"
D'autant que dans l'Eure, quatre circonscriptions sur cinq sont aux mains du Rassemblement national et beaucoup, comme Laetitia, votent RN : "Je suis plus Marine Le Pen. Elle écoute mieux les Français", estime-t-elle. Un discours que le député socialiste entend "tous les jours".
"Je crois qu'on doit avant tout nous interroger nous-mêmes sur notre message. Ceux qui défendent les salaires, le pouvoir d'achat et les retraites, normalement, c'est la gauche."
Philippe Brun, député socialiste de la 4e circonscription de l'Eureà franceinfo
Cette gauche, qui d'après Philippe Brun, a abandonné les classes populaires juste avant la victoire de François Hollande et qui, à cause de la Nupes; aujourd'hui n'est plus audible. "Pour beaucoup de gens, la gauche ça signifie 'les métropoles', 'le vélo' ou 'contre les voitures'. Il y a une image que la gauche est contre tout. Et là, on a une image plutôt de gens qui agissent. On a un concert de musique et ce n'est pas un rappeur antisémite. C'est un musicien du coin qui joue du Cabrel et du Dire Straits. On n'est pas dans l'outrance pour l'outrance. On essaie de rassembler les gens". Rassembler aussi la gauche comme à Léry, avec chacun son stand : La France insoumise (LFI), Europe-Ecologie Les Verts (EELV), le Parti communiste (PCF), et bien sûr le Parti socialiste (PS).
"Un ras-le-bol" de la politique
Difficile de dire qu'une brocante pour séduire ces classes populaires va fonctionner. On a l'impression qu'il y a, d'un côté les militants de gauche de la région autour de la scène qui débattent entre eux sur le pouvoir d'achat, et de l'autre, les habitants qui se tiennent à distance. "Je fais mes affaires et je rentre parce que je ne suis pas venue pour ça", confirme Aline. Elle explique qu'elle "galère" avec ses deux emplois : aide à la personne et hôtesse d'accueil. Elle n'arrive pas à joindre les deux bouts. "La politique, on commence à en avoir un peu ras-le-bol, déclare Aline, que ce soit l'un ou l'autre. Je ne sais pas s'ils écoutent vraiment les gens. On a beau dire, on a beau voter, on a beau faire ce que vous voulez, ça ne change pas le problème. Donc moi, j'en reste là."
Pourtant, s'installer là où les gens sont, c'est la meilleure façon de tendre la main, pour Benjamin Lucas, député du groupe écologiste : "Ce n'est pas un colloque à l'Assemblée nationale. Il en faut mais là, on amène aussi où vivent les gens, des débats qui normalement sont réservés aux salons parisiens. Mais on ne dit pas des choses différentes que ce qu'on dit à Paris, c'est ça qui est important. Les gens ont besoin de respect et de sincérité". Lors des conférences, un micro passe d'ailleurs de main en main pour permettre à tous d'interpeller les députés invités par Philippe Brun.
"Un travail de longue haleine"
Sur le plus long terme, cette stratégie va-t-elle devenir gagnante pour la gauche ? Pour le politologue Gérard le Gall, une brocante c'est bien, mais la gauche doit se mettre au travail : "C'est déjà une première démarche, mais c'est un tout petit pas par rapport au haut de la montagne qui est à faire en un, deux ou trois ans. La gauche est venue au pouvoir en 1981 après un travail de longue haleine."
Ancien conseiller opinion du socialiste Lionel Jospin, c'est le seul de son équipe à avoir prédit le risque de son élimination au premier tour de la présidentielle de 2002 au profit de Jean-Marie Le Pen. Aujourd'hui, pour lui, le défi de la gauche est de surmonter ses divisions : "La proposition politique est de moins en moins claire. Les débats, par exemple, entre Sandrine Rousseau et Fabien Roussel, le représentant principal du Parti communiste, sur le wokisme, sur ceci ou sur cela... On perd les repères."
"Quand on va devant les gens pour essayer de les convaincre, ils vous disent tout de suite : 'Unissez-vous d'abord et après, on parlera peut-être de programme mais le spectacle que vous donnez n'est pas à la hauteur de nos attentes."
Gérard le Gall, politologueà franceinfo
D'après lui, l'outrance de LFI peut repousser. La France insoumise qui se targue pourtant d'être "le" parti de gauche le plus populaire.
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