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Assemblée nationale : on vous explique comment fonctionne la motion de censure contre le gouvernement d'Elisabeth Borne, soumise au vote par la Nupes lundi

Article rédigé par Luc Chagnon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'hémicycle de l'Assemblée nationale, à Paris, le 29 juin 2022. (STEPHANE MOUCHMOUCHE / HANS LUCAS / AFP)

Si les oppositions à l'Assemblée veulent renverser le gouvernement, elles doivent adopter à la majorité un texte qui demande sa démission. Mais cette arme prévue par la Constitution n'a atteint sa cible qu'une seule fois sous la Ve République.

Dans l'arsenal dont dispose l'Assemblée, c'est peut-être l'arme suprême. Face à la Première ministre qui a refusé de se soumettre à un vote de confiance des députés, l'intergroupe parlementaire de la Nupes a déposé une motion de censure contre le nouveau gouvernement. Cette procédure a été lancée mercredi 6 juillet, avant le discours de politique générale d'Elisabeth Borne, et sera soumise au vote lundi 11 juillet à 16 heures. Qu'est-ce qu'une motion de censure ? Comment fonctionne cette procédure ? Peut-elle vraiment aboutir ? Franceinfo vous explique comment elle fonctionne.

Comment se déroule une motion de censure ?

"La motion de censure prend la forme d'un texte qui explique que, pour un certain nombre de raisons (qui peuvent être présentées de manière plus ou moins détaillée), l'Assemblée nationale censure le gouvernement et réclame sa démission", explique à franceinfo le constitutionnaliste Didier Maus. Son fonctionnement est défini à l'article 49 de la Constitution. Dans le cas de la motion déposée par la Nupes, on parle de "motion spontanée", par opposition aux cas où le gouvernement met de lui-même son autorité en jeu (à travers le fameux "49.3").

Première étape d'une motion spontanée : le texte doit être signé par un dixième des députés avant d'être présenté à l'Assemblée. Vient ensuite un délai de réflexion de 48 heures, durant lequel le texte ne peut pas être présenté au vote. "Il a été pensé pour éviter que les députés adoptent une motion et le regrettent ensuite", explique Michel Verpeaux, professeur émérite à l'école de droit de la Sorbonne. Et "pour permettre au gouvernement de mobiliser ses alliés et de convaincre d'éventuels indécis", ajoute Didier Maus.

Combien faut-il de voix pour l'adopter ?

Arrive le moment fatidique, celui du vote. La motion de censure doit être approuvée par la majorité absolue des députés qui composent l'Assemblée nationale, soit 289 élus. Une barre élevée, d'autant plus que les abstentions sont comptées comme des refus de la motion, donc un soutien au gouvernement. Si elle est adoptée à la majorité absolue, c'est l'article 50 de la Constitution qui s'enclenche, et le Premier ministre est obligé de présenter la démission du gouvernement.

Est-ce que cela a déjà abouti ?

Les députés ont déjà déposé 58 motions de censure contre un gouvernement depuis le début de la Ve République. En revanche, elle atteint très rarement son but. Depuis 1958, une seule motion de censure a été adoptée : le gouvernement de Georges Pompidou a été contraint de démissionner en 1962. Une majorité de députés était opposée au référendum sur l'élection du président au suffrage universel que Charles de Gaulle voulait instaurer. "Les députés n'avaient aucun moyen d'atteindre le président directement, alors ils se sont attaqués à son gouvernement", raconte Michel Verpeaux.

D'autres gouvernements ont échappé de peu à la censure pendant des périodes de cohabitation, comme Jacques Chirac en 1986, Lionel Jospin en 1997, ou Pierre Bérégovoy qui disposait seulement d'une majorité relative en 1992. Elle atteint donc peu son but, mais c'est normal : elle a été conçue pour cela.

"Sous la IVe République, les gouvernements étaient facilement renversés car il n'y avait pas besoin de la majorité absolue des députés."

Michel Verpeaux, professeur émérite à l'école de droit de la Sorbonne

à franceinfo

"Certains démissionnaient même avant le vote car ils sentaient qu'ils n'avaient plus le soutien de l'hémicycle", ajoute Michel Verpeaux. En rédigeant la Constitution de la Ve République, les auteurs ont choisi de limiter cette instabilité gouvernementale.

Aujourd'hui, la motion de censure est surtout "un moyen efficace d'interpeller le gouvernement et de montrer son désaccord", résume-t-il. Une vision que partageait Christian Jacob lors des deux motions de censure contre Edouard Philippe après l'affaire Benalla : "Le gouvernement ne va pas tomber mais la motion de censure est le seul moyen d'avoir une explication du Premier ministre. Il ne pourra pas se défiler et les Français jugeront", affirmait à France Inter celui qui était alors président du groupe LR à l'Assemblée nationale.

Cette motion peut-elle renverser le gouvernement Borne ?

La motion de censure portée par la Nupes risque de peiner à arriver à son terme. "Il y aura assez de députés LFI pour obtenir les 58 signatures et la déposer, mais il n'y a aucun risque que le gouvernement soit renversé", tranche Didier Maus.

Même si tous les groupes parlementaires qui composent la Nupes (LFI, socialistes et apparentés, écologistes et gauche démocrate et républicaine) votaient à l'unanimité pour renverser le gouvernement, ils ne pourraient mobiliser que 151 députés. Pour atteindre les 289, il faudrait obligatoirement aller chercher un grand nombre de voix dans d'autres groupes d'opposition, notamment LR et le RN.

Or les deux ont déjà proclamé leur désaccord. "Nous ne joindrons pas nos voix à celles de LFI", a annoncé Annie Genevard, la présidente de LR par intérim, sur BFMTV mardi matin. Les 89 députés RN ne voteront pas non plus la motion de censure, a assuré Sébastien Chenu, lundi 4 juillet. "Nous, on n'est pas là pour tout bloquer, tout casser", a déclaré le vice-président de l'Assemblée nationale au micro de RTL.

Des membres de la Nupes ont eux-mêmes fait part de leur hésitation. La socialiste Valérie Rabault a déclaré mardi sur franceinfo n'y être "pas favorable". "Une motion de censure n'a d'intérêt que si elle est votée et si elle ne l'est pas, ça veut dire qu'on donne raison, en quelque sorte, au gouvernement qui sortirait grandi de cette séquence", redoute la députée du Tarn-et-Garonne. Elle assure néanmoins qu'elle "suivra la position de son groupe". Les quatre groupes de la Nupes ont depuis affirmé qu'ils déposeraient et voteraient cette motion de censure ensemble, a appris, mardi 5 juin, franceinfo auprès des formations politiques concernées.

Didier Maus considère qu'"il s'agit surtout d'un acte symbolique, une manière pour LFI de se définir comme la 'meilleure opposition' à la politique d'Emmanuel Macron, et d'identifier dans les rangs de la Nupes ceux qui sont prêts à aller jusqu'au bout". Le résultat du vote sera connu lundi 11 juillet.

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