Les critiques à l'égard du revenu universel sont-elles fondées ?
Depuis qu'il a proposé la création d'un revenu universel, Benoît Hamon est la cible de toutes les attaques. La mesure serait impossible à financer, elle encouragerait la paresse, serait une idée de droite... Qu'en est-il réellement ? Eléments de réponse.
C'est la proposition la plus discutée dans cette primaire de la gauche : la création d'un revenu universel. Portée par Benoît Hamon, elle a été combattue par tous les candidats de la primaire (sauf Jean-Luc Bennahmias), et aujourd'hui Manuel Valls. Les critiques portent sur plusieurs points. Mais sont-elles fondées ? Franceinfo apporte quelques éléments de réponse.
Le revenu universel coûte trop cher
C'est la principale critique à l'encontre du revenu universel : son coût, tellement élevé qu'on ne pourrait le financer. Manuel Valls n'a pas de mots assez forts pour alerter sur le danger que représenterait cette mesure pour le budget de l'Etat. Il estime son coût "exorbitant" : "350 ou 400 milliards d'euros, c'est plus d'impôts, plus de déficit, plus de dette". Bref, la mesure "ruinerait le pays". Qu'en est-il réellement ?
Tout dépend en fait de quel revenu universel on parle. Dans le projet de Benoît Hamon (qui a évolué au cours de la campagne), la première étape est une version a minima. Ce revenu universel serait en fait une version améliorée du RSA. D'une part, le RSA serait augmenté en 2018, mais en maintenant des conditions de ressources pour y avoir droit. Et d'autre part, tous les jeunes de 18 à 25 ans toucheraient un revenu universel, sans condition de ressources. Cette "première étape", Benoît Hamon la chiffre à 40 à 45 milliards d'euros, soit "l'équivalent du pacte de responsabilité et du CICE", c'est-à-dire des baisses de charges consenties aux entreprises pendant le quinquennat de Hollande.
Comment les financer ? En reprenant une partie du pacte de responsabilité (donc en augmentant les charges des entreprises), en engageant une réforme fiscale mais aussi grâce à la taxe sur les robots promise par le candidat. La part de chacun de ces leviers n'est pas précisée, mais l'argument général est le suivant : "On a trouvé 40 milliards pour le pacte de compétitivité, ce serait cocasse qu'on nous explique qu'on ne sait pas faire demain ce qu'on a su faire hier", dit Mathieu Hanotin, directeur de campagne de Benoît Hamon.
Et après cette première étape ? C'est là que les choses se compliquent. Si on s'achemine vers un véritable revenu universel, c'est-à-dire versé à tous sans condition de ressources, l'addition devient très lourde. L'OFCE, institut de conjonctures économiques, a évalué le coût de la mesure à 480 milliards d'euros, soit un quart du PIB français ! Dans ce périmètre, le revenu universel serait de 785 euros par mois et par adulte au minimum, "pour ne pas dégrader la situation des actuels bénéficiaires des minima sociaux". Concrètement, il remplacerait les prestations familiales, la prime d'activité et les allocations logement. Mais pas le système de retraite ou d'assurance chômage. Dans ce format, l'OFCE juge le revenu universel "irréaliste en pratique".
Benoît Hamon vise lui, à terme, un revenu universel de 750 euros, juste en dessous de la simulation de l'OFCE. Le candidat se montre extrêmement prudent quant au calendrier et au financement : il renvoie à l'organisation d'une "conférence citoyenne" qui fixera le "périmètre du revenu universel : montant, financement, articulation avec les autres allocations sociales, calendrier de mise en œuvre". Pas de chiffrage détaillé, seulement des pistes de financement (les mêmes que précédemment : réforme fiscale, taxe sur les robots). Bref, c'est très flou.
Daniel Cohen, professeur d'économie, est un partisan du revenu universel. Mais il estime aussi que pour que cette idée puisse "atterrir", il faut commencer par une formule plus modeste que celle à laquelle aspire, dans le long terme, Benoît Hamon. Par exemple, une fusion du RSA et de l'APL, sur laquelle ont planché des chercheurs de l'école d'économie de Paris, comme l'explique cet article de L'Obs. Une expérimentation basée sur ces travaux est d'ailleurs en cours en Gironde.
Pour résumer : on ne sait pas aujourd'hui comment financer le revenu universel, dans sa version la plus large. Ce qui explique sans doute que Benoît Hamon en propose aujourd'hui une version a minima, universelle pour les 18/25 ans mais pas au-delà, et reste très flou sur l'avènement réel de ce revenu universel.
Pour Valls, le revenu universel favorise la paresse
C'est le principe même du revenu universel : il est distribué à tous, sans contrepartie et sans condition de ressources. Et c'est cette philosophie qui nourrit certaines critiques. Pour Manuel Valls, ce revenu favoriserait la paresse et l'assistanat, à rebours de la valeur travail qu'il assure défendre. "Je suis pour une société du travail, de la solidarité, je ne suis pas pour une société de l'assistanat ou du farniente", a dit l'ancien Premier ministre le 10 janvier sur franceinfo. Benoît Hamon serait "le chantre de la fin du travail", assure l'ancien locataire de Matignon.
Aujourd'hui, en France, le RSA est distribué sous condition de ressources. L'universalité de ce revenu proposé par Benoît Hamon décourage-t-elle forcément de chercher ou d'occuper un travail ? Daniel Cohen est vent debout contre cette analyse. "C'est une manière de compenser une inégalité entre ceux qui ont un héritage et ceux qui n'ont rien. Personne ne pense que l'héritage dispense de travailler. C'est comme si je vous disais que si vous héritiez d'un petit studio en centre-ville (que vous pouvez mettre en location pour 700 euros par mois), vous allez arrêter de travailler !" L'expérimentation en cours dans certains pays comme la Finlande, que présente ici Le Monde, devrait permettre de dégager des données sur cette question.
Le revenu universel est une mesure de droite (ce qui fait mauvais genre dans une primaire de gauche)
Donner la même chose à chacun, quels que soient les besoins et les ressources : sur le papier, la mesure ne semble pas vraiment de gauche. C'est d'ailleurs l'un des arguments repris par l'équipe de Manuel Valls. "On ne donne pas 750 euros aux milliardaires, comme Mme Bettencourt, aux médecins, aux ingénieurs, aux patrons ! Ce n'est pas le rôle de l'Etat !" dit ainsi Didier Guillaume, son directeur de campagne. Autre critique entendue : "Le revenu universel, ce n'est pas une idée de gauche ! Il a été porté par les ultra-libéraux, en échange de la suppression de toutes les aides et les protections sociales", attaque le sénateur Luc Carvounas, proche de Manuel Valls. En réalité, les choses sont plus compliquées, et c'est tout le paradoxe de cette mesure. Elle est défendue et critiquée à droite comme à gauche, et ne fait l'unanimité dans aucun camp.
A droite, les défenseurs de cette mesure se réclament de l'économiste libéral Milton Friedman. Dans sa vision, le revenu universel est une façon de simplifier l'impôt et "de solder les comptes avec les plus pauvres", explique Daniel Cohen. Car dans sa version du revenu universel, le versement d'une allocation à tout un chacun a pour corollaire la suppression de tous les autres systèmes de protection sociale (chômage, santé...). A gauche, en revanche, on voit le revenu universel comme un nouveau pan de protection sociale. "Je le vois comme une mesure de gauche, qui donne des droits nouveaux pour être protégé des aléas de l'existence, explique Daniel Cohen. Il y a aujourd'hui une formidable inégalité entre ceux qui n'ont rien et ceux qui ont un héritage, quel qu'il soit. Le revenu universel est un petit rempart contre cette inégalité."
Ce qui est sûr, c'est que si, sur le papier, tout citoyen reçoit la même somme, in fine tout le monde ne sera pas bénéficiaire : il faut bien que la mesure soit financée, et donc que l'impôt de certains permette de le payer. "De toute façon, quelle que soit la mesure, il y a un point mort", explique Daniel Cohen, c'est-à-dire un niveau de revenu à partir duquel on rend – sous forme d'impôt – ce qu'on touche – sous forme de revenu universel. Ce qui invalide la critique sur les milliardaires, qui auraient droit à 750 euros : "Mme Bettencourt, c'est plutôt le contraire, elle va être matraquée !", dit en souriant ce partisan de la mesure. En fonction des paramètres retenus (montant, bénéficiaires, fusion d'autres allocations), toutes les hypothèses sont possibles.
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