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Pourquoi l’Etat remet son nez dans les télécoms après la panne d’Orange

Le gouvernement français va recevoir dans les prochains jours les quatre opérateurs télécoms pour faire le point sur leurs procédures en cas de crise. Et prépare un décret pour pouvoir réaliser des audits de sécurité.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, et Fleur Pellerin, ministre de l'Economie numérique, le 28 juin 2012 à Paris. (ERIC PIERMONT / AFP)

Au rapport. Le gouvernement a convoqué les quatre principaux opérateurs télécoms pour faire le point sur leurs procédures en cas de crise, après la panne géante d'Orange les 6 et 7 juillet. Le PDG du groupe, Stéphane Richard, ouvre le bal. Selon Europe 1, il est attendu à Bercy mercredi 11 juillet à 14 heures, pour venir présenter à la ministre de l'Economie numérique, Fleur Pellerin, "les conclusions de l'expertise" sur les causes de cet incident. 

Les trois autres opérateurs, SFR, Bouygues Telecom et Free Mobile, seront également entendus dans les prochains jours. Pourquoi un tel empressement de la part de l'exécutif ? FTVi liste les trois principales raisons.

• Parce que les Français sont de plus en plus dépendants au mobile

Ce n'est pas la première fois qu'un incident de ce type survient. En 2004, une panne similaire avait bloqué le réseau Bouygues Telecom. Mais entre-temps, les Français sont devenus de plus en plus dépendants au mobile, comme le soulignent Les Echos. En juin 2011, 85% de la population était équipée d’un téléphone mobile, soit environ 14 points de plus qu'en 2004, note un rapport du Crédoc sur la diffusion des technologies de l'information et de la communication dans la société française.

Vendredi et samedi, ce sont 26 millions de clients Orange qui se sont retrouvés dans l'impossibilité d'appeler depuis leur mobile, d'envoyer des SMS ou de surfer sur Internet. Ce type d'incident "ne doit plus se reproduire, car le potentiel de déstabilisation pour l'économie et pour les Français est considérable", a fait valoir Fleur Pellerin. La ministre a ainsi saisi l'occasion pour annoncer qu'elle travaillait "à l'adoption d'un décret qui permettra au gouvernement de réaliser des audits de sécurité sur les réseaux télécoms"
 
En réalité, comme le rappelle Le Figaro, la ministre avait saisi l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l'Arcep, dès la mi-juin sur ce projet de décret, qui a reçu un avis favorable du régulateur. Il découle d'un article du Code des postes et des communications électroniques, en date du 24 août 2011.
  
• Parce le marché des télécoms est stratégique pour l'économie et l'emploi
 
En pleine crise, mieux vaut garder un œil sur un secteur "passé d'environ 300 000 à près d'un million de [salariés] en France", comme l'a rappelé lundi le président de l’Arcep, Jean-Ludovic Silicani. Au total, l'économie numérique emploie 1,5 million de personnes en France et en recrute 40 000 chaque année, selon les chiffres cités par La Tribune en mars.
 
"Il s'agit d'une technologie générique qui irrigue l'ensemble des secteurs d'activité. La démarche du gouvernement paraît donc légitime", analyse Jean-Luc Gaffard, directeur du département de recherche sur l'Innovation et la Concurrence à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Stéphane Richard l'a lui-même reconnu lundi dans Le Figaro "Cela fait quinze ans que l'Etat s'est largement dessaisi de tout moyen d'action sur ce secteur pourtant stratégiquement et économiquement primordial, au profit d'un régulateur indépendant et technocratique [l'Arcep]. Je comprends ce sentiment de frustration politique."
 
Début 2011, Eric Besson, alors ministre de l'Economie numérique, avait déjà tenté d'imposer un commissaire du gouvernement au sein de l'Arcep. Bruxelles, inquiet de voir l'indépendance de l'autorité, créée en 2005 dans le cadre de la transposition en droit français du "paquet télécom" européen, a fait pression sur la France et ce projet a finalement été rejeté par les députés et sénateurs.
 
• Parce que le secteur est bouleversé par l'arrivée de Free
 
En janvier, Arnaud Montebourg se félicitait de l'arrivée de Free sur le marché du mobile : "Xavier Niel vient de faire avec son forfait illimité plus pour le pouvoir d'achat des Français que Nicolas Sarkozy en cinq ans", affirmait-il sur Twitter.Six mois plus tard, le ministre du Redressement productif reproche à l'Arcep d'avoir privilégié le consommateur au détriment de l'emploi en délivrant une quatrième licence 3G à Free. "L'Arcep fait des choix politiques en lieu et place du politique. La droite libérale a totalement abandonné ses prérogatives. L'Arcep s'intéresse exclusivement à la concurrence sans limite", a-t-il déclaré mi-juin dans une interview à Challenges.
 
Orange, SFR et Bouygues Telecom ont dû baisser leurs prix pour s'aligner sur les tarifs de Free. Et affirment devoir supprimer des emplois pour y parvenir. Une fourchette de 10 000 à 70 000 suppressions de postes est évoquée. Pour remédier en partie à cette hémorragie, le gouvernement veut inciter les opérateurs à relocaliser en France leurs centres d'appels. Selon Les Echos, cela passerait par l’introduction de "critères sociaux de qualité dans le cahier des charges des licences que l'Etat attribue aux opérateurs pour exploiter les fréquences".
 
Un scénario jugé peu crédible par les opérateurs eux-mêmes, qui estiment qu'il n'est pas possible de faire revenir des emplois déjà délocalisés. Quant au président de l'Arcep, il défend l’impact positif de la concurrence sur l’emploi : "Les régulateurs des télécoms ont facilité l'investissement dans les réseaux, notamment dans les nouveaux réseaux, qui sont pourvoyeurs d'un nombre considérable d'emplois, puisque 75% des dépenses sont constituées par de la main-d'œuvre et que celle-ci est localisée sur le territoire", a souligné Jean-Ludovic Silicani.
 
Consommateurs versus opérateurs, bas prix contre investissement et emploi, ce débat ne sera sûrement pas tranché avec des audits et quelques relocalisations. La téléphonie "est le premier exemple d'un maquis des prix qui rend difficile le maintien de la compétitivité des opérateurs historiques", constate Jean-Luc Gaffard. Un problème qui pourrait bien s'étendre à celui des transports aériens et ferroviaires, eux aussi ouverts à la concurrence.
 

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