: Enquête franceinfo Les "beaux voyages" de l'Assemblée parlementaire de la francophonie
En pleine crise énergétique et débat sur les retraites, l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) a choisi de se réunir dans le Pacifique à Tahiti, les 30 et 31 janvier dernier. À l’invitation de Gaston Tong Sang, président de l’Assemblée de Polynésie française, une soixantaine de parlementaires et fonctionnaires des pays membres de l’APF ont fait le déplacement dans le Pacifique pour participer à cette réunion censée préparer une assemblée générale en juillet prochain. Parmi les thèmes abordés par les parlementaires venus du monde entier par avion jusqu’à Papeete : la lutte contre les changements climatiques.
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Côté français, la délégation à Tahiti était composée de cinq personnes : Philippe Mouiller (sénateur LR des Deux-Sèvres), Christophe-André Frassa (sénateur LR représentant les Français établis hors de France), Bruno Fuchs (député Modem du Haut-Rhin et secrétaire général de l’APF) ainsi que deux attachés parlementaires dont l’un a, selon nos informations, décliné l’invitation pour des raisons déontologiques. Joint à Tahiti par franceinfo sur l’opportunité de cette réunion de seulement deux jours à près de 16 000 km (soit près de six tonnes d’émission de CO2 en avion), le député Bruno Fuchs répond : "Le bureau se réunit deux fois par an et cette réunion a été validée par nos instances en juillet dernier. La Polynésie a fait l’offre de nous accueillir dès son adhésion à l’APF en 2019. La délégation française est réduite au minimum alors que nous représentons la plus importante section en nombre (90 députés et 60 sénateurs). Par comparaison, le Québec a envoyé six parlementaires et quatre accompagnateurs.
"L’absence de la France aurait été tout simplement inconcevable. Cela aurait provoqué une défiance fatale à l'institution.”
Bruno Fuchs, député Modem et secrétaire général de l’APFà franceinfo
Du point de vue diplomatique et culturel, le secrétaire général justifie ce déplacement par la perspective des prochaines élections territoriales sous pression du mouvement indépendantiste, le rayonnement et l’influence culturelle de la France dans l’Indopacifique face à la prédominance des États-Unis. Bruno Fuchs évoque un “engouement régional” autour de la venue de l’APF à Tahiti dont le règlement du passif de cotisations du Vanuatu (67.000 euros) serait le signe évident. En dehors de nos confrères de Polynésie la Première, aucun média national n’a accordé d’articles à cette réunion statutaire.
Une diplomatie parallèle
Au sein de l’Assemblée nationale, rares sont les députés impliqués dans les affaires étrangères au courant de ce déplacement. Contacté par franceinfo, le député écologiste - NUPES Aurélien Taché, qui vient de proposer une mission d’information sur l'influence de la France dans le cadre de la francophonie, tombe un peu de l’armoire. “Vous me l’apprenez ! assure-t-il. Vu le contexte économique et environnemental, cette réunion est juste inappropriée. La francophonie, c’est très sérieux. Le sentiment antifrançais va croissant dans certaines parties du monde. On le voit avec la propagande russe.
"L’Assemblée parlementaire de la francophonie ne doit pas se présenter comme un truc de vieux notables qui voyagent.”
Aurélien Taché, député écologiste-NUPESà franceinfo
Une ancienne membre de l’APF, l’ex-sénatrice socialiste, Claudine Lepage, réagit également à ce déplacement parlementaire à Tahiti en business class. "C’est ahurissant ! J’étais totalement opposée à ce voyage coûteux et qui n’est pas éco-responsable. Je l’ai dit lors du bureau. Mais j’étais seule et je n’ai pas du tout été suivie. D’ailleurs, on ne vote jamais à l’APF", regrette l’ex-sénatrice.
Inconnue du grand public, l’Assemblée parlementaire de la francophonie est l’une des nombreuses organisations chargées de promouvoir la francophonie dans le monde, à l’instar de l’Organisation internationale de la francophonie ou d’ONG comme Francophonie sans frontières. Selon ses statuts, l’APF née en 1967 a "pour but de favoriser par la coopération les initiatives pour le rayonnement de la langue française" et "constitue un lien privilégié entre les exécutifs et les peuples de la francophonie", En plus de réunir régulièrement ses instances (bureaux, assemblées), l’APF organise de nombreuses missions, colloques, séminaires à travers le monde. Si l’Assemblée se prévaut de pratiquer un "soft power" auprès des gouvernements, ses missions de "bons offices", rapports, résolutions, recommandations ou alertes concernant des pays en crise ne sont jamais médiatisés et ne semblent avoir que très peu de portée.
Opacité budgétaire
Les rapports d’activité des différentes sections de l’APF, en particulier la France, ne précisent jamais les frais de déplacements des parlementaires. Malgré les demandes répétées de franceinfo, ni l’Assemblée nationale, ni l’APF n’ont pu nous préciser le coût du récent séjour en Polynésie des parlementaires et attachés français, ni d’ailleurs le détail comptable de l’ensemble des séjours à l’étranger des membres de la section française. Les frais (avion, hôtel, taxis) ont été réglés par la section française de l’APF, elle-même financée à 100 % par l’Assemblée nationale et le Sénat. "En tant que secrétaire général de l’APF, mon séjour à Tahiti a été pris en charge par l’Assemblée de Polynésie française", nous précise Bruno Fuchs. “Les billets ont été achetés en septembre pour réduire les coûts. L’APF fait l’objet d’audits et d’un contrôle budgétaire par le Parlement et la Cour des comptes." L’APF a reçu 120 000 euros de l’Assemblée nationale en 2021. Un budget en baisse ces dernières années à cause de la pandémie.
Nos confrères de la Libre Belgique ont récemment épinglé l’opacité des voyages de la section belge de l’APF. Pointant notamment le séjour à Monaco de trois députés belges accompagnés de quatre fonctionnaires pour un coût total de près de 20.000 euros. Selon nos informations, le Parti du Travail de Belgique (PTB) vient de déposer un texte de loi pour la publication automatique de ces voyages, de leur coût et l’interdiction de voyager en business class.
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