A Notre-Dame-des-Landes, les paysans "squatteurs" cultivent l'espoir, malgré la menace d'expulsion
L'abandon du projet d'aéroport ne les a pas mis à l'abri. A partir du 1er avril, l'Etat peut demander à ces zadistes-cultivateurs, qui occupent illégalement des terrains, de quitter les lieux du jour au lendemain. Franceinfo s'est rendu sur place pour les rencontrer.
Xavier tend une main à l'extérieur de la caravane. "On peut y aller, il ne pleut plus." Le temps pour sa compagne Virginie d'enfiler une doudoune, et les voilà tous les deux sur le chemin qui mène au jardin, situé une centaine de mètres plus loin. L'eau qui est tombée ces dernières heures sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) rend le sol gadoueux. A chaque pas, le même bruit : "Splotch, splotch, splotch..." Les plantes aussi ont "pris cher", fait remarquer le couple de paysans, mardi 27 mars, en passant entre les rangs de romarin, de sauge, de thym et de lamier blanc. Le pire, c'est que Météo France annonce encore de la pluie pour les jours à venir.
Le ciel n'est pas la seule menace qui plane : il y a aussi celle de l'expulsion. L'abandon du projet d'aéroport annoncé à la mi-janvier par le Premier ministre ne les a pas mis à l'abri. Edouard Philippe, qui a bien l'intention de ne pas laisser "des zones s'enkyster sur des parties du territoire national", s'est engagé à évacuer l'emblématique zone à défendre une fois la trêve hivernale arrivée à échéance. C'est-à-dire le 31 mars. C'est-à-dire maintenant. Du jour au lendemain, l'Etat peut leur demander de quitter les lieux.
Nous mettrons fin à la zone de non-droit qui prospère depuis près de dix ans sur cette zone.
Edouard Philippeen conférence de presse
Le plan du chef du gouvernement est clair. "Les agriculteurs expropriés pourront retrouver leurs terres s’ils le souhaitent", alors que "les occupants illégaux de ces terres devront partir d’eux-mêmes d’ici le printemps prochain ou en seront expulsés."
"C'est vrai que nous squattons, mais..."
Xavier et Virginie, respectivement âgés de 51 et 45 ans, savent qu'ils sont "sur la liste." Car l'hectare de terre sur lequel le couple de paysans-herboristes fabrique ses plantes aromatiques et médicinales appartient à l'Etat. "C'est vrai que nous nous sommes installés ici sans leur autorisation, que nous squattons quelque chose qui n'est pas à nous. Mais avez-vous vu ce que l'on en a fait ?" lance Xavier, barbe de trois jours sur le visage. "Cette activité nous prend 365 jours par an, été comme hiver", souffle Virginie.
A leur arrivée l'an dernier, la parcelle qu'ils occupent au lieu-dit du Tertre était à l'abandon. Ils l'ont depuis transformée. "Tu vois ce hangar, il n’existait pas. On l'a construit de nos mains, avec l'aide de copains", sourit, fièrement, Xavier, entre deux gorgées de tisane maison. Le bâtiment de deux étages, d'une superficie de 120 m2, doit servir à terme à entreposer et à sécher des plantes. "Pour l'instant, y sont stockés tous les outils de l'exploitation agricole", précise Virginie, en poussant vers l'arrière sa tignasse bouclée.
Assis au chaud, à l'intérieur de la caravane, le couple explique avoir eu l'opportunité d'enregistrer son activité dans le logiciel de la MSA, la Sécurité sociale agricole. Ce qui lui permet de vendre tisanes et condiments pour la cuisine dans une Biocoop et sur un marché de Nantes le samedi matin. De quoi leur assurer un "petit salaire" de 1 000 euros à deux chaque mois. Suffisant, glissent-ils, pour le mode de vie qu'ils ont choisi il y a des années.
A ce jour, cinq paysans-occupants (illégaux) ont intégré les listings de la MSA, "et deux sont en passe de l'être", affirme Vincent Delabouglise, le porte-parole de Copain 44, un collectif d'agriculteurs opposés à l'ancien projet d'aéroport. Reste que cette affiliation n'est pas une garantie de tranquillité.
On entend dire que ceux qui ont un projet agricole pourraient être épargnés par l'expulsion. Il faut demander à la préfète. Car rien n’est acté à ce jour.
Vincent Delabouglise, porte-parole de Copain 44à franceinfo
La menace semble encore plus forte pour tous ceux qui ne sont pas affiliés à la MSA. Soit une centaine de personnes qui exercent elles aussi une activité agricole, depuis plusieurs années parfois.
Ancien graphiste, ancien croupier...
C'est le cas d'Antoine et Benjamin, 31 ans tous les deux. Le premier est arrivé à Notre-Dame-des-Landes il y a six ans, après une prépa littéraire et des petits jobs de serveur dans un bar et de croupier dans un casino. Venu à l'origine pour défendre "un projet bétonné XXL qui n'avait aucun sens", il s'est depuis lancé dans l'apiculture, a forgé le fer, travaillé le bois, élevé des chèvres, biné les jardins. Originaire du Nord, il a aussi appris à construire des hangars, des abris pour les animaux. "L'agriculture, c’est sept jours sur sept pour moi, répète-t-il, cigarette roulée au bec. Il nous arrive de donner des coups de main aux agriculteurs du coin, et eux aussi viennent nous dépanner quand on a besoin."
Moi, je suis un citadin à la base. Je ne connaissais rien à la campagne. J’ai tout appris ici, sur le tas. Et j'ai encore plein de choses à apprendre.
Benjaminà franceinfo
Antoine, lui, a posé son sac dans le bocage dès 2012, après un diplôme de graphiste qui ne menait "à rien". Sur la ZAD, il a pansé les vaches, trait les chèvres, fabriqué du fromage et cueilli les légumes. "Navets, pommes de terre, poireaux, poivrons, aubergines en fonction des saisons..." égraine ce gaillard aux larges épaules, en remettant son bonnet en place, de peur d'attraper froid. "On a investi beaucoup de temps, je bosse entre un et deux jours par semaine dans chaque atelier, s'agace-t-il. On ne peut pas nous traiter d’incapables."
"On s'habitue à la menace d'expulsion"
Ces zadistes-paysans n'ont pas envie de partir. "On n'a pas lutté contre l'aéroport pour se faire virer maintenant", s'agace Benjamin, emmitouflé dans un long blouson. Lui souhaite "une discussion claire avec l’Etat sur comment on maintient cette zone". Son message est simple.
C’est nous qui sommes légitimes, c’est nous qui avons défendu ces terres. Si l’Etat veut le faire intelligemment avec nous, nous sommes disposés à dialoguer. Et éviter la violence et la force.
Benjaminà franceinfo
Pour l'instant, le dialogue a du mal à se mettre en place entre les deux parties. Et les rumeurs d'expulsion traversent la ZAD à la vitesse d'un avion. "C’est quelque chose qui plane ici depuis dix ans, donc on s'y est habitués", sourit Xavier, le pull remonté jusqu'au menton. Virginie assure que "ça ne [lui] ruine pas le moral" et que "ça ne [l']empêche pas de dormir."
Je suis venue ici parce que je savais que j’étais capable d’encaisser ces menaces.
Virginieà franceinfo
Les bottes pleines de boue, Antoine est persuadé qu'il y aura "une résistance comme en 2012." Cette année-là, les forces de l'ordre avaient échoué dans leur tentative d'expulsion. Malgré les nombreuses destructions, les occupants avaient tout remis debout. Et il promet que "ce sera la même chose cette année encore".
Ils vont arriver, ils vont tout péter, et puis après, on reviendra. En fait, on est déjà en train de réfléchir à comment on va tout reconstruire après.
Antoineà franceinfo
Les mouvements des CRS sous surveillance
En attendant, chacun surveille d'un œil ce qui se passe autour des 1 650 hectares de la ZAD. Comme ils l'ont toujours fait. On guette les rondes des camions de CRS, on signale les mouvements de troupes, on s’envoie des SMS, on se prévient dès que l'on apprend que les hôtels aux alentours se remplissent.
Ils ont des taupes dans la ZAD, on a aussi des infos à l’extérieur.
un zadisteà franceinfo
Dans la ZAD, tout le monde continue de travailler, comme si le risque d'expulsion n'existait pas. La traite des vaches a lieu matin et soir, les tracteurs sillonnent les champs. Un signe supplémentaire : en interview, les zadistes emploient le futur, jamais le conditionnel. "Aujourd'hui, on produit 120 kilos de plantes par an. Avec notre hangar, on va forcément augmenter notre capacité", se réjouit Virginie, qui termine d'enfoncer des pointes sur quelques planches avec un marteau. "D'ailleurs, attention où vous marchez ! rigole Xavier. Vous êtes sur l'une des pistes de décollage de l'aéroport..."
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