Moralisation : quatre mesures plus efficaces que la publication du patrimoine des élus
La mesure annoncée par François Hollande est loin de faire l'unanimité. Selon des spécialistes, d'autres dispositifs auraient été plus judicieux.
Le "strip-tease" qui s’annonce fait tousser dans les couloirs de l’Assemblée. "Tous à poil !", "laver plus blanc que blanc jusqu'à faire des trous", "l’impression de montrer son slip", les élus de tous bords et "très très très en colère" rencontrés par Rue89 ou francetv info ne manquent pas d’expressions pour fustiger la publication de leur patrimoine, exigée par François Hollande au nom de la moralisation de la vie politique. Aurait-on pu éviter ça ? Francetv info détaille quatre mesures qui, selon des spécialistes, seraient plus efficaces.
1Externaliser le contrôle du patrimoine
Plutôt que de rendre publics tous les détails de la vie des élus, plusieurs chercheurs interviewés par francetv info réclament l'exercice d'un réel contrôle sur les déclarations de patrimoine. Ce serait le rôle de la future Haute autorité de la transparence, que François Hollande a souhaitée "totalement indépendante".
Dans son rapport (lien PDF) rendu en novembre 2012, la Commission Jospin sur la rénovation et la déontologie de la vie publique préconisait la création d'une Haute autorité de la déontologie de la vie publique, indépendante des déontologues du Sénat et de l'Assemblée nationale et capable de débusquer conflits d'intérêts et anomalies dans les déclarations de patrimoine. Depuis 1988 et jusqu'à présent, une Commission pour la transparence financière de la vie politique était chargée de cette mission, mais ne disposait d'aucun pouvoir. "J’espère vivement que la nouvelle entité aura de nouveaux moyens pour de nouveaux pouvoirs", souligne Brice Bohuon, son secrétaire général, interviewé par francetv info. Et de rappeler que le système reposait essentiellement sur les déclarations, et que la possibilité de sanction pour "déclaration mensongère" n’existe que depuis 2011, tout comme la possibilité de communiquer avec l’administration fiscale.
Enfin, Bastien François, directeur du département de sciences politiques de la Sorbonne et conseiller régional Europe Ecologie-Les Verts, suggère "l’instauration d’un système comparable à celui de la lutte antidopage avec, chaque année, une certain nombre d’élus tirés au sort et qui subissent un contrôle fiscal approfondi".
2Faire la transparence sur la réserve parlementaire et l’indemnité de frais de mandat
Ce ne sont pas les 5 189,27 euros nets par mois que touchent les parlementaires qui posent question. Au-delà de ce "salaire", les députés touchent plus de 6 000 euros d’"indemnité représentative de frais de mandat", censée les aider à "faire face aux diverses dépenses liées à l’exercice de leur mandat qui ne sont pas directement prises en charge ou remboursées". Ils perçoivent aussi plus de 9 000 euros pour rémunérer leurs collaborateurs, ainsi que de nombreux avantages matériels. En juillet dernier, un amendement du député centriste Charles de Courson visant à rendre plus transparente l’utilisation de cette manne, et à fiscaliser ce qui n’a pas été dépensé, avait été largement rejeté.
Sous le feu des critiques également : la réserve parlementaire, inégalement répartie selon les circonscriptions et dont la gestion est totalement opaque. L’enveloppe de 90 millions pour les députés et de 60 millions pour les sénateurs en 2012 sert aux parlementaires à financer projets et associations locales. Quelques élus ont commencé à publier la liste des bénéficiaires, et des sommes qui ont été perçues, mais ces initiatives restent isolées.
"La sagesse voudrait que le gouvernement et le Parlement apportent plus de clarté sur ces sujets [la réserve parlementaire et l'indemnité de frais de mandat]. D’autant plus qu’elles échappent à l'impôt. Cela montrerait que le Parlement aussi fait des efforts de transparence", explique à francetv info Jean Gicquel, professeur émérite de droit constitutionnel à l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne et ancien déontologue de l’Assemblée nationale.
3Limiter le cumul des mandats et créer un statut de l’élu
Pour la limitation du cumul des mandats, la réforme a été lancée, après tergiversations, et devrait prendre effet en 2017, mais pas avant. Néanmoins, ce n’est pas le seul cumul qui compte. Pour Monique Pinçon-Charlot, auteure avec Michel Pinçon de L'Argent sans foi ni loi (Textuel), d’autres mesures sont importantes. "Non à la carrière politique", assène la sociologue interrogée par francetv info, qui prône une limitation du nombre de mandats successifs par élu. "L’objectif est de briser l’entre-soi de la classe politique et d'éviter les petites connivences", détaille-t-elle. Et de préciser : "Au lieu d’avoir 0,3% d’employés et d'ouvriers au Sénat aujourd’hui, on aurait beaucoup plus de représentativité."
Un corollaire cependant : la création d’un statut de l’élu à proprement parler, qui donne "la possibilité à tous les Français de pouvoir représenter la parole du peuple et de poursuivre leur carrière antérieure une fois le mandat terminé". "C'est très efficace pour luter contre le clientélisme", confirme William Genieys, directeur de recherche au CNRS joint par francetv info, qui anticipe déjà la critique de ce système par les députés. "Ils vont rétorquer qu'on aura un gouvernement de technocrates", explique ce spécialiste des élites politiques, "les députés sans cesse renouvelés feront face à des hauts fonctionnaires professionnels et rodés techniquement". "Il faudrait mieux payer les élus et interdire totalement le cumul avec une autre profession, de sorte qu'ils soient à leur poste à plein temps pour commencer", préconise le chercheur. Et prévoir un rééquilibrage par rapport aux carrières de fonctionnaires.
4Aller plus loin dans la prévention des conflits d’intérêts
C’était l’axe privilégié par la Commission Jospin, qui préconisait l’inscription de la définition du conflit d’intérêts dans la loi. C’est aussi une piste lancée par François Hollande dans son discours, mais qui pour l’instant passe inaperçue. "Ce qui est intéressant, ce n’est pas que les élus gagnent de l’argent, mais bien les intérêts qu’ils ont et où ils les ont", explique à francetv info Bastien François, directeur du département sciences politiques de la Sorbonne. Et d’énumérer "les groupes dont on fait partie, les missions qu’on a faites quand on est consultant, les clients qu’on a quand on est avocat, les associations dans lesquelles on milite, les sociétés dans lesquelles on a des parts".
"Aux Etats-Unis, avant de confirmer un ministre à son poste, une enquête détermine quels sont les actifs qu’il possède dans telle ou telle société", abonde William Genieys, "elle vise la personne mais aussi sa famille, des parents aux enfants, et des frères et sœurs aux cousins". "La déclaration devrait recenser, en prenant en compte une période de cinq ans avant l’entrée au gouvernement, les intérêts détenus par le ministre, directement ou indirectement (ce qui peut notamment inclure des intérêts détenus par des membres de son entourage proche)", estime de son côté la Commission Jospin. Cette dernière envisageait également d’établir des obligations comportementales générales, comme le déport [changer de sujet lorsque celui abordé les concerne] ou l’abstention. Des propositions d'ailleurs déjà formulées dans le rapport Sauvé, missionné par Sarkozy en juillet 2010.
Autre exigence : obliger les élus à confier la gestion de leur patrimoine mobilier (actions, obligations) à un intermédiaire agréé. Et attendre un mois après la fin d’un mandat pour passer tout ordre d’achat ou de vente d’instruments financiers. Objectif : éviter qu’ils ne soient soupçonnés d’user de leurs fonctions pour s’enrichir.
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