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Cinéma, BD, romans... Pourquoi le FN est devenu un sujet pour les auteurs de fiction

Le FN, déjà très présent dans les livres politiques, l'est de plus en plus dans les œuvres de fiction, à l'image du film "Chez nous", qui sort mercredi au cinéma. Une tendance sur laquelle s'est penché franceinfo en interrogeant plusieurs auteurs.

Article rédigé par franceinfo - Hugo Cailloux
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Le film "Chez nous" de Lucas Belvaux sort en salles le 22 février. (PHOTOGRAPHER:JEAN-CLAUDE LOTHER)

Le cinéma monte au front. Le film Chez nous, de Lucas Belvaux, sort en salle le mercredi 22 février. Le cinéaste belge s'est inspiré du FN pour dénoncer la stratégie de "dédiabolisation" engagée par le parti dirigé par Marine Le Pen. De son côté, le parti frontiste s'est plaint de la sortie d'un film "clairement anti-Front national [...] en pleine campagne présidentielle". 

Le FN n'est pas encore habitué à se voir tancer dans des œuvres de fiction. Sa présence au cinéma, ou dans les rayons BD et littérature, est relativement rare et récente. Franceinfo s'est penché sur les raisons de cet intérêt des auteurs de fiction pour le parti de Marine Le Pen.

Parce que l'extrême droite porte des ingrédients propices à la fiction

"Le FN correspond aux ressorts de la pop culture, avec des traîtres, de la violence, et du complot, analyse Nicolas Lebourg, historien spécialiste de l'extrême droite, contacté par franceinfo. Ça pourrait être un mélange de Marvel avec Dallas.Selon lui, l'éclatement des composantes de l'extrême droite française depuis l'entre-deux-guerres engendre des affrontements permanents pour le pouvoir. "On a là une histoire dramatique, poursuit-il. Le sujet de la plupart des œuvres récentes est de montrer les liens qui unissent le parti lepéniste avec des groupuscules d'extrême droite infréquentables."

Le parti ne se résume pas à la violence, mais cela reste récurrent.

Nicolas Lebourg, spécialiste de l'extrême droite

à franceinfo

"C’est quand même le seul grand parti dont le numéro deux a été assassiné [une bombe a tué l'un des créateurs du Front national, François Duprat, dans sa voiture en 1978], ajoute l'historien. Les auteurs surfent sur ces guerres intestines."

L'histoire du parti frontiste a été émaillée de nombreux événements romanesques. Entre les héritages Lambert et Leonet, dont aurait bénéficié Jean-Marie Le Pen, l'attentat à la bombe contre l'appartement des Le Pen en 1976, les déchirements entre le père fondateur et la fille candidate, le Front national propose une histoire familiale propice à la création. 

Parce que le traitement du Front national a changé

Le parti cofondé par Jean-Marie Le Pen a été abondamment traité par les chercheurs et la presse depuis sa création, en 1972. Beaucoup moins par les auteurs de fiction. "Le travail typique des journalistes, dans les années 1990, a été de montrer l'arrière-boutique pour dénoncer les liens entre l'extrême droite radicale et le parti, retrace Nicolas Lebourg. On retrouve ça aussi dans la littérature populaire de ces années-là. Avec, par exemple, certains romans de la série Le Poulpe [paru à partir de 1995], où un détective antifasciste menait des enquêtes." Une approche qui perdure aujourd'hui, selon l'historien. "Il y a aussi ça dans le film de Belvaux, qui s'attaque essentiellement au lien entre le parti ultranationaliste et l'extrême droite radicale, pointe-t-il. Mais les choses changent."

Influencés par le travail des chercheurs, les journalistes et auteurs analysent désormais le parti lepéniste avec plus de distance. L'éventualité d'une victoire de Marine Le Pen à la présidentielle est envisagée dans leurs travaux. "En tant qu’historien, je veux me détacher de ce flux d’info", affirme, quant à lui, François Durpaire. L'universitaire a ainsi signé la BD La Présidente, dans laquelle Marine Le Pen accède au pouvoir lors du scrutin de 2017. "La limite, c'est de ne pas être dans la caricature", tempère-t-il auprès de franceinfo

On a nos idées, mais aussi un souci d'honnêteté.

François Durpaire, universitaire auteur de "La Présidente"

à franceinfo

"La Présidente : Totalitaire", de François Durpaire et Farid Boudjellal (2016), aux éditions des Arènes. (Éditions des Arènes)

"Cela correspond à un mouvement dans la durée, pointe Nicolas Lebourg. Depuis 1972, on a enterré plusieurs fois le parti. Par exemple en 2007 [Jean-Marie Le Pen n'arrive que quatrième à la présidentielle], certains pensaient que Nicolas Sarkozy avait tué le parti. Aujourd'hui, le regard s'est normalisé. Le monde de la culture ne peut donc plus passer à côté."

Les gens assument le fait que le FN est installé.

Nicolas Lebourg, spécialiste de l'extrême droite

à franceinfo

Manu Larcenet, auteur de la série de BD Le Combat ordinaire, s'était déjà attaqué à la situation des années 2000, avec distance. Sortie entre 2003 et 2008, la série dépeint subtilement la réalité du vote Front national, avec le personnage de Marco, un jeune urbain, photographe et cultivé. Lorsqu'il retourne dans la ville de son enfance, sa vision se heurte à celle des amis de son père, qui ont voté pour Jean-Marie Le Pen lors de la présidentielle de 2002.

Le roman policier "En pays conquis", de Thomas Bronnec, est paru le 19 janvier 2017 chez Gallimard. (Collection Série Noire, Thrillers, Gallimard)

Dans son roman policier En pays conquis, paru en janvier 2017, Thomas Bronnec imagine que le parti de droite traditionnelle choisit de s'allier avec le Rassemblement national. "C'est surtout, le signe de la radicalisation de la droite, plus que de la normalisation de l'extrême droite", confie-t-il à franceinfo.

"J'étais un des premiers à traiter de l'extrême droite dans un film en France, rappelle Diastème, réalisateur, contacté par franceinfo. Il était anormal de ne pas en parler dans nos œuvres." En 2015, il signe Un Français, un film qui retrace l'histoire d'un militant d'extrême droite très violent qui se repentit. "C’est une vraie question en ce moment, estime le cinéaste. On doit parler de tous les sujets."

Parce que la fiction est un levier politique

A l'époque de la sortie d'Un Français, Diastème avait essuyé des attaques très violentes de la part de la "fachosphère" sur internet, qui lui reprochait son parti pris antifasciste. 

Lucas Belvaux a également dû faire face à une réaction très vive du parti lepéniste. Dès la sortie de la bande-annonce du film Chez nous, le Front national avait tenté de discréditer le réalisateur en l'accusant d'être proche du président de la République François Hollande. Face à ces attaques, Lucas Belvaux assume pleinement son point de vue politique. Il souhaite dénoncer, dans son film, une "manipulation" de la part du FN. "Il y a un discours qui ne correspond pas à ce qui est proposé profondément", estime le cinéaste belge, qui a beaucoup travaillé sur le "vocabulaire" du parti.

Devant les bons résultats décrochés par le FN lors des élections, d'autres ont délaissé les essais politiques pour se tourner vers la fiction, à la recherche d'un nouveau public. François Durpaire "aurait plutôt écrit sur les minorités ou sur le Front national et les enseignants", ses spécialités. Il a choisi la BD.

Par le biais de la fiction, on peut avoir un recul d’analyse et créer du débat.

François Durpaire, universitaire auteur de "La Présidente"

à franceinfo

"L'œuvre culturelle permet d'aller au-delà de la question politique ou sociologique, pour évoquer la société telle qu'elle est", explique-t-il. La bande dessinée est aussi un moyen d'atteindre un "autre public, plus jeune". Pour lui aussi, la démarche n'est pas neutre : "On remet en cause la dédiabolisation. Et si un abstentionniste ne s’abstient pas en lisant la BD, on a gagné."

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