Les électeurs de gauche devraient-ils se méfier d'Alain Juppé ?
Invité de "L'Emission politique" ce jeudi, le candidat à la primaire à droite séduit une partie des électeurs de gauche. Franceinfo liste quelques-unes des propositions du maire de Bordeaux qui, pourtant, pourraient les mécontenter.
"Il faut lire le programme d'Alain Juppé. C'est le pire programme de régression qu'on ait connu à droite pour l'instant depuis quarante ans", déclare le chef de file des députés socialistes, Bruno Le Roux, jeudi 6 octobre sur RFI. Pourtant, 10% des électeurs de gauche seraient tentés de voter pour Alain Juppé lors de la primaire à droite, les 20 et 27 novembre, selon une étude Ipsos-Sopra/Le Monde.
Invité de "L'Emission politique" jeudi, le maire de Bordeaux est le candidat de droite préféré des sympathisants PS. Celui qui plaide pour un "Etat fort", "discret et modeste" et appelle à "dépasser les clivages gauche-droite", fait figure de modéré, notamment face à Nicolas Sarkozy. Mais qu'en est-il vraiment ? Franceinfo a choisi plusieurs thèmes, traditionnellement clivant entre la droite et la gauche, et fait le point.
Il veut redéfinir la protection sociale et repasser aux 39 heures
Les plus jeunes électeurs n'ont sans doute pas connu le gigantesque mouvement de grève de 1995 contre le "plan Juppé", mais pour beaucoup d'électeurs de gauche, l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac est le père de la réforme sociale la plus dure de ces vingt dernières années. Le "plan Juppé" prévoyait notamment la fiscalisation des allocations familiales et l’allongement de la durée de cotisation de retraites pour les fonctionnaires et les salariés des entreprises publiques (qui bénéficient des régimes spéciaux de retraite), rappelle Le Parisien.
Vingt ans plus tard, bien qu'il assure dans Sud-Ouest "avoir changé", le maire de Bordeaux conserve, pour 2017, les mêmes priorités en matière de réforme. Invité de l'émission "Des paroles et des actes" le 2 octobre 2014, il déclare que sa réforme prioritaire, s'il est élu président, est celle de la protection sociale : "Il faut agir sur tous les postes de dépenses, l'Etat (30 % de la dépense publique), les municipalités, la protection sociale (...). Il faut s'attaquer à la fonction publique."
"C'est une position classique de droite", analyse Alain Bergounioux, membre de la Fondation Jean Jaurès proche du PS, historien du socialisme français, à franceinfo.
Lorsqu'on se penche sur le programme économique d'Alain Juppé, on voit bien qu'il se différencie peu de ses concurrents, Bruno Le Maire ou Nicolas Sarkozy.
Alain Juppé propose ainsi de fixer à 39 heures la durée hebdomadaire légale du travail et de relever l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Concernant la suppression d’emplois publics, il propose de réduire de 250 000 à 300 000 le nombre de fonctionnaires en ne remplaçant pas une partie des départs en retraite.
Il fait passer la compétitivité des entreprises avant le pouvoir d'achat des salariés
Dans son livre Cinq ans pour l'emploi (Editions JC Lattès), le candidat se pose en "libéral-réformateur", souligne Le Monde. Il souhaite alléger les contraintes des entreprises pour leur permettre de créer des emplois, baisser le coût du travail, réduire les cotisations patronales ou encore abolir l’impôt sur la fortune (ISF) dès 2018. Sa ligne directrice est une politique de l’offre pour restaurer la compétitivité des entreprises, plutôt qu’une politique de relance par le pouvoir d’achat, l'une des différences traditionnelles entre la droite et la gauche.
Ce clivage a toutefois été dépassé à plusieurs reprises ces dernières années, à l'image du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) mis en place sous François Hollande, dont le but est de baisser les charges des entreprises pour relancer leur activité. "Cette mesure a été décriée au sein du PS, elle a été qualifiée 'de droite' par les frondeurs, mais elle s'inscrit dans un cadre qui n'est pas nouveau, explique Alain Bergounioux à franceinfo. Depuis les années 1980, sous Pierre Mauroy, il y a eu des politiques de l'offre pour relancer la compétitivité des entreprises et faire face à l'Union européenne et la mondialisation."
La gauche ne peut plus mener une 'politique de gauche classique'. Il y a une réalité économique, libérale, dans lequel un gouvernement doit s'inscrire.
Alain Juppé revendique volontiers s'inspirer, entre autres, de l'essayiste libéral Robin Rivaton, auteur de La France est prête : nous avons déjà changé (Edition des Belles Lettres, 2015). "Robin Rivaton, c’est l’anti-Zemmour", aurait confié le maire de Bordeaux, rapporte L'Opinion. La thèse de cet ouvrage est simple : la population française serait demandeuse d’une transformation radicale du pays, par davantage de libéralisme économique. Et dans cette nouvelle société, l'Etat-providence serait beaucoup moins présent. L'auteur invente même le néologisme "lib-réalisme", analyse Slate.
Il veut rétablir les peines planchers
Décidé à se démarquer de ses concurrents sur les thèmes sécuritaires, Alain Juppé répète que "l'Etat de droit est fondamental". Mais il reste très ferme sur ces questions. "En matière pénale, l’Etat est faible, constate-t-il, avant de résumer la politique de Christiane Taubira comme suit : "Puisqu’il n’y a plus de place dans les prisons, ne mettons plus les délinquants en prison." "Un Etat fort, c’est un Etat qui assume avec autorité ses missions régaliennes de sécurité et de justice", conclut-il dans une interview au JDD.
Dans ce domaine, il avance plusieurs propositions : la suppression des peines de substitution (bracelet électronique…) pour les peines supérieures à un an de prison (six mois pour un récidiviste) et la suppression automatique des réductions de peine. Il envisage la création d'une "police pénitentiaire" chargée d'assurer le renseignement contre les trafics et la radicalisation des détenus, grâce à la mise sur écoute des cellules et des parloirs, détaille le JDD. Plus polémique, le maire de Bordeaux veut rétablir les peines planchers mises en place par Nicolas Sarkozy, supprimées par l'ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira.
Un condamné à 5 ans de prison doit effectivement faire 5 ans de prison.
La suppression des peines planchers était l'une des promesses de François Hollande et l'une des mesures qui avait fait consensus à gauche. "Dans tous les cas, la politique pénale n'est pas vraiment connue de l'opinion, nuance Alain Bergounioux. Elle paraît moins déterminante pour les électeurs lors d'une élection."
Il veut durcir les conditions d'accès à la nationalité française
Alors que le projet avorté sur la déchéance de la nationalité a été l'un des plus gros points de crispation à gauche lors du mandat de François Hollande, Alain Juppé promet la fermeté sur les conditions d'accès à la nationalité. Il veut conditionner l'acquisition de la nationalité française, pour les enfants nés en France, au fait qu'au moins un des deux parents soit en situation régulière (avec des papiers, donc) au moment de la naissance.
"L'accès à la nationalité n'a pas changé sous François Hollande, précise Alain Bergounioux, François Hollande n'a jamais remis en cause le droit du sol, à l'inverse de la droite."
Alain Juppé souhaite aussi abroger la circulaire Valls sur l'accès à la nationalité, autoriser le placement des familles en rétention administrative et durcir les conditions du regroupement familial, qui serait conditionné à l'exercice d'un emploi. Concernant l'immigration, Alain Juppé veut faire voter chaque année par le Parlement un plafond d'immigration légale et mettre en place un système par points pour l'attribution des titres de séjour.
Une position assez éloignée de la gauche. Bien que cette dernière ait évolué sur le thème de l'immigration, elle s'est toujours montrée favorable à la régularisation des étrangers, rappelle Le Monde. "Aujourd'hui, la gauche de gouvernement s'oppose à une politique migratoire de quotas avancée par la droite, résume Alain Bergounioux, mais il faut rappeler que les enjeux ne sont plus les mêmes qu'avant." Sur ce sujet, François Hollande et Alain Juppé peuvent présenter des mesures similaires. Ainsi, selon Alain Bergounioux, "Alain Juppé s'est montré favorable" au projet du gouvernement de répartir des migrants de la "jungle" de Calais dans toute la France.
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