: EnquĂȘte franceinfo Des soupçons dâemplois fantĂŽmes auprĂšs de Laurent Wauquiez au conseil rĂ©gional Auvergne-Rhone-Alpes
La gĂȘne est perceptible au standard de la rĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes lorsque l'on demande Ă parler Ă Nawel G. "Je vous aurais bien passĂ© quelqu'un, mais je ne sais mĂȘme pas avec qui elle travaille", nous rĂ©pond-on. A-t-elle un secrĂ©tariat ? "Non, elle n'en a pas. Il est Ă©crit qu'elle est responsable de coordination, mais ça ne me donne pas son service." Nous avons questionnĂ© plusieurs Ă©lus et membres du conseil rĂ©gional. Le nom de Nawel G. ne leur dit rien non plus. Elle occupe pourtant ce poste depuis 2019. Selon nos informations, son contrat court jusqu'en 2025 et son salaire mensuel net est de 5 080 euros.
"Nous sommes proches de l'emploi fictif"
Sur sa page LinkedIn, il est indiquĂ© que Nawel G. est "dĂ©lĂ©guĂ©e rĂ©gionale Ă Paris" de la rĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes. La rĂ©gion lui loue effectivement un bureau quai de Grenelle, au siĂšge de RĂ©gions de France (RDF, anciennement Association des rĂ©gions de France) pour un loyer annuel de 12 500 euros. Un salariĂ© de RĂ©gions de France nous confirme l'avoir croisĂ©e Ă plusieurs reprises mais "a du mal Ă cerner ses fonctions exactes". Alors que fait-elle lĂ -bas ? Sur cette mĂȘme page, elle dit s'occuper "de la coordination rĂ©gionale pour la rĂ©alisation des prioritĂ©s du mandat" et du "suivi actif de l'exĂ©cutif pour l'Ă©laboration de politiques rĂ©gionales cohĂ©rentes".
à la région Auvergne-RhÎne-Alpes, on en doute pourtant fortement. Selon les informations de la cellule investigation de Radio France, les services administratifs du conseil régional se sont étonnés en avril dernier, auprÚs du président Laurent Wauquiez, de l'existence de ce poste qui "ne figurait dans aucun organigramme". D'aprÚs un document écrit par les services, ce poste n'aurait "pas d'utilité, ni de contenu" et pourrait s'apparenter à "un emploi fictif".
AlertĂ©, Laurent Wauquiez a d'abord maintenu Nawel G. Ă son poste. Elle a mĂȘme fait son apparition au printemps 2023 dans l'organigramme de la rĂ©gion... avant d'en ĂȘtre retirĂ©e l'Ă©tĂ© dernier. Selon nos informations, la presque quadragĂ©naire a Ă©tĂ© convoquĂ©e Ă un entretien prĂ©alable en vue d'un licenciement le 6 septembre. Si elle fait encore partie des effectifs, son dĂ©part semble avoir Ă©tĂ© actĂ© car, selon une source interne Ă la rĂ©gion, la situation devenait "intenable".
Une simple recherche en ligne montre en effet que Nawel G. dirigeait jusque rĂ©cemment une agence de conseil en relations publiques et communication dans le 15e arrondissement de Paris, en tant qu'entrepreneure individuelle. Agence crĂ©Ă©e en octobre 2015 et fermĂ©e en avril 2023, au moment oĂč les services du conseil rĂ©gional s'interrogeaient sur le contenu de son poste dans l'institution.
En soi, un cumul d'activité n'est pas illégal. Mais une source syndicale nous précise qu'il faut en demander l'autorisation préalable à son employeur principal, en l'occurrence le conseil régional. En outre, le temps consacré à cette activité annexe ne doit pas dépasser 15% d'un temps plein, soit 22 heures par mois. Or selon nos informations, les services administratifs de la région n'ont pas eu connaissance d'une demande d'autorisation pour ce cumul d'activités. "Cela ne figure pas dans son dossier", nous dit-on. à la région, certains s'interrogent sur son rÎle exact. "Elle gérait une agence de relations publiques et elle a participé au Sarkothon il y a dix ans. Cela fait beaucoup d'indices", lùche un membre d'un groupe d'opposition.
Sur sa page LinkedIn, Nawel G. indique avoir Ă©tĂ© "responsable marketing et fundraising" de LR entre 2012 et 2017. Ă ce titre, elle a notamment participĂ© au "Sarkothon", la souscription nationale extraordinaire de l'Ă©tĂ© 2013 qui a permis Ă Nicolas Sarkozy de rembourser ses dettes, aprĂšs l'invalidation de ses comptes de campagne pour la prĂ©sidentielle de 2012. Onze millions d'euros avaient Ă©tĂ© collectĂ©s en un temps record grĂące aux militants de ce qui Ă©tait alors l'UMP. Nawel G. prĂ©cise par ailleurs, sur cette mĂȘme page, avoir ĆuvrĂ© Ă la campagne prĂ©sidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012.
A-t-elle Ă©tĂ© recrutĂ©e pour faire de mĂȘme avec Laurent Wauquiez dans la perspective de la prĂ©sidentielle 2027 ? L'intĂ©ressĂ©e dĂ©ment formellement. "Il n'y a pas de prĂ©-campagne prĂ©sidentielle en cours", nous rĂ©pond-elle. Nawel G. indique pouvoir "fournir tous les documents qui attestent de [s]on travail" Ă la rĂ©gion. "Je ne peux pas croire que je ne figure pas dans l'organigramme", Ă©crit-elle. Elle prĂ©cise Ă©galement que son entreprise de conseil n'Ă©tait "pas une agence Ă proprement parler" et qu'il s'agissait d'une "activitĂ© trĂšs accessoire".
Un rĂŽle "ambigu" ?
Le cas de trois autres salariés de la région pose aussi question. Eux figurent bien dans l'organigramme régional. Tous trois sont conseillers au sein du cabinet de Laurent Wauquiez, qui compte au total 16 collaborateurs. Il s'agit d'Arnaud B., Roch d. B et Charlotte V.
Arnaud B., 48 ans, est le plus connu de tous. DĂ©crit comme "l'Ă©minence grise", voire le "spin doctor" de Laurent Wauquiez par les journalistes politiques nationaux que nous avons interrogĂ©s, il l'a suivi dans toutes ses fonctions depuis 2007, qu'elles soient ministĂ©rielles, Ă la tĂȘte du parti LR et Ă la rĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes. Ă la rĂ©gion, il occupe depuis octobre 2019 le poste de conseiller spĂ©cial au sein du cabinet. Sa rĂ©munĂ©ration mensuelle se situerait aux alentours de 10 000 euros brut mensuels, selon une source interne. Arnaud B. dispose d'un bureau attitrĂ©, le 5-040, au 5e Ă©tage de l'hĂŽtel de rĂ©gion Ă Lyon. Mais d'aprĂšs un Ă©lu rhodanien proche de Laurent Wauquiez, il vit en fait "Ă Bordeaux avec sa famille" et "travaillerait Ă Paris". Une source administrative de la rĂ©gion nous prĂ©cise : "Arnaud B. travaille rue de SolfĂ©rino Ă Paris." Au numĂ©ro 4, prĂ©cisĂ©ment, pas loin de l'AssemblĂ©e nationale et des ministĂšres.
Ă cette adresse, la rĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes loue des bureaux de 295 mÂČ. Selon un rapport de la chambre rĂ©gionale des comptes de 2019, le loyer est de 320 000 euros par an. La rĂ©gion sous-loue ces locaux Ă l'agence Auvergne-RhĂŽne-Alpes Entreprises (Arae), une association chargĂ©e depuis 2017 du dĂ©veloppement Ă©conomique de la rĂ©gion. C'est donc Arae qui les occupe officiellement. Une plaque Ă l'entrĂ©e en atteste. Mais entre la rĂ©gion et l'agence, les liens sont trĂšs Ă©troits. Arae est entiĂšrement financĂ©e par le conseil rĂ©gional Ă hauteur de 14 millions d'euros chaque annĂ©e. Laurent Wauquiez et des Ă©lus de la majoritĂ© siĂšgent Ă son conseil de surveillance. Dans une enquĂȘte publiĂ©e en avril dernier, nos confrĂšres du journal Le Monde (article rĂ©servĂ© aux abonnĂ©s) indiquaient que la forme associative de l'agence la soustrayait au contrĂŽle des Ă©lus rĂ©gionaux, notamment ceux de l'opposition. Pas de comptes-rendus publics, pas de dĂ©libĂ©rations sur ses activitĂ©s. Ce qui se passe au 4, rue de SolfĂ©rino fait donc l'objet de multiples questionnements. La cellule investigation de Radio France a pu se procurer le plan de ces bureaux et connaĂźtre ainsi l'identitĂ© d'une partie de ses occupants.
Arnaud B. y occupe un bureau mitoyen Ă celui de Laurent Wauquiez : le bureau "Sancy" (du nom d'un sommet auvergnat). Qu'un collaborateur rĂ©munĂ©rĂ© par le conseil rĂ©gional d'Auvergne-RhĂŽne-Alpes travaille depuis Paris ne pose en soi pas de problĂšme, s'il traite de problĂ©matiques locales. Mais "il se dit de plus en plus parmi les Ă©lus qu'il y a une ambiguĂŻtĂ©", nous confie un parlementaire Les RĂ©publicains (LR) de la rĂ©gion. Un haut fonctionnaire affirme lui, qu'Arnaud B. "ne s'occupe que de politique nationale. Les dossiers locaux, ce n'est pas son affaire". Les journalistes parisiens qui couvrent la droite au niveau national expliquent qu'Arnaud B. est leur "interlocuteur naturel" et mĂȘme "incontournable" pour parler de, et Ă Laurent Wauquiez.
Interrogé pour savoir quel est son rÎle exact à la région, Arnaud B. confirme qu'il est "en tant que collaborateur du président de Région, réguliÚrement contacté par des médias nationaux" mais, ajoute-t-il, "pas uniquement". Son rÎle ? "Je m'efforce de répondre aux journalistes sur tout type d'interrogations ou de demandes concernant le Président de Région", explique-t-il.
La mystérieuse Charlotte V.
Toujours au 4, rue de Solférino à Paris, se trouve le bureau d'une autre collaboratrice de Laurent Wauquiez : Charlotte V., 27 ans. Elle occupe la piÚce "Puy-De-DÎme". D'aprÚs l'organigramme de la région Auvergne-RhÎne-Alpes, elle est devenue conseillÚre technique il y a un an, aprÚs un court passage au service d'action territoriale de la région en septembre 2022. à ce titre, elle perçoit aux alentours de 4 000 euros brut mensuels, selon une source interne.
Ătonnamment, la jeune femme ne fait pas Ă©tat de ce poste en Auvergne-RhĂŽne-Alpes sur sa page LinkedIn. On y apprend en revanche qu'elle est adjointe au maire de Nemours (Seine-et-Marne) et vice-prĂ©sidente des Jeunes RĂ©publicains au niveau national. Ă Nemours, Charlotte V. est bien connue de la population. Elle s'occupe du portefeuille de la dĂ©mocratie locale, du cadre de vie et de la communication. C'est aussi la fille de la maire de Nemours, ValĂ©rie Lacroute, ancienne dĂ©putĂ©e LR. Techniquement, d'aprĂšs des Ă©lus locaux seine-et-marnais, un poste d'adjoint Ă Nemours n'est pas incompatible avec un poste de collaboratrice de cabinet, mĂȘme Ă 400 kilomĂštres de lĂ . Tous les adjoints ont un travail en sus de leur fonction municipale, nous dit-on.
Sauf qu'Ă Lyon, personne "n'a entendu parler" de Charlotte V. Ni les Ă©lus que nous avons interrogĂ©s, ni le personnel administratif, mĂȘme parmi les plus anciens. Un haut fonctionnaire de la rĂ©gion croit savoir qu'elle "fait des fiches pour aprĂšs", Ă savoir 2027, annĂ©e de la prochaine Ă©lection prĂ©sidentielle pour laquelle Laurent Wauquiez est le candidat pressenti chez Les RĂ©publicains. InterrogĂ©e, la jeune femme se dĂ©fend. "Contractuellement, ma rĂ©sidence administrative est Ă Paris, nous Ă©crit-elle. J'assure l'organisation et le lien avec les institutions et les personnalitĂ©s dans le cadre du mandat de Laurent Wauquiez."
Un agenda de candidat
Le cas de Roch d. B., 34 ans, est plus mystĂ©rieux encore. D'aprĂšs l'organigramme de la rĂ©gion, il est directeur adjoint de cabinet depuis janvier 2023. Ă ce titre, selon une source interne, il perçoit environ 8 000 euros brut par mois. Ă Lyon, son bureau attitrĂ© est le 5-047. Sauf que lĂ encore, personne ne le connaĂźt ni le croise au conseil rĂ©gional, mĂȘme parmi des Ă©lus de la majoritĂ© LR. Un petit tour sur son profil LinkedIn nous apprend qu'il a Ă©tĂ© stagiaire au cabinet de Laurent Wauquiez lorsque ce dernier Ă©tait ministre de l'Enseignement supĂ©rieur en 2011. Roch d. B. a ensuite occupĂ© un poste de conseiller technique lors du premier mandat de son mentor Ă la rĂ©gion (2016-2018), puis de directeur adjoint chargĂ© des Ă©tudes au sein du parti Les RĂ©publicains (de 2018 Ă dĂ©but 2023). En janvier 2023, il fait son retour dans les effectifs du conseil rĂ©gional d'Auvergne-RhĂŽne-Alpes. Selon une source haut placĂ©e au conseil rĂ©gional, il est le "troisiĂšme de la bande" Ă occuper les bureaux de la rue de SolfĂ©rino avec "en ligne de mire 2027".
Contacté, Roch d. B. affirme au contraire occuper un emploi en lien avec la région. "J'ai en charge la supervision du travail des conseillers techniques [...] et la préparation de prises de parole de Laurent Wauquiez", nous explique-t-il.
Quoi qu'il en soit, avec trois collaborateurs et une dĂ©lĂ©guĂ©e (Nawel G.) basĂ©e Ă Paris, Laurent Wauquiez dispose d'une solide Ă©quipe parisienne. Lui-mĂȘme est d'ailleurs souvent prĂ©sent dans la capitale. Selon son agenda du printemps 2023 que nous avons pu consulter, le patron d'Auvergne-RhĂŽne-Alpes sĂ©journe dans sa rĂ©gion un Ă deux jours par semaine, au maximum trois. Le reste du temps, il est essentiellement Ă Paris ou en dĂ©placement, en dehors de sa rĂ©gion ou Ă l'Ă©tranger (en ArmĂ©nie du 28 au 31 mars 2023 par exemple).
Ă Paris, toujours d'aprĂšs son emploi du temps du printemps dernier, il dĂ©jeune avec des chefs d'entreprises : Arnaud LagardĂšre, Ăric Trappier (PDG de Dassault Aviation, avec lequel il a signĂ© une convention de partenariat sur la formation professionnelle, l'apprentissage et l'innovation). Il rencontre aussi de nombreux journalistes (Le Point, France Inter, BFM, le Front Populaire...), des Ă©lus LR, des politologues (Gilles Kepel, Pierre-AndrĂ© Taguieff) et des personnalitĂ©s situĂ©es trĂšs Ă droite (LoĂŻk Le Floch-Prigent, ancien PDG d'Elf aujourd'hui membre du comitĂ© stratĂ©gique du mĂ©dia Livre Noir ; l'abbĂ© Grimaud, le prĂȘtre traditionnaliste proche de Vincent BollorĂ©). Cela peut s'apparenter Ă l'emploi du temps d'un candidat en prĂ©-campagne et moins concentrĂ© sur sa rĂ©gion qu'il ne l'affirme publiquement. Dans la rĂ©ponse qu'il nous a adressĂ©e, le cabinet de Laurent Wauquiez explique que "le travail d'un prĂ©sident de rĂ©gion passe Ă©videmment par une prĂ©sence sur le terrain dans la rĂ©gion, qui est trĂšs vaste, et Ă©galement par des rendez-vous, notamment Ă Paris". Et il prĂ©cise : "La rĂ©sidence officielle du prĂ©sident de la RĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes est situĂ©e au Puy-en-Velay."
Selon un document interne au conseil régional que nous avons pu consulter, son adresse officielle se trouve pourtant rue Vaneau, dans le 7e arrondissement de Paris depuis le 1er juillet 2021. Quant aux quatre collaborateurs basés à Paris, le cabinet de Laurent Wauquiez nous précise qu'"à la Région comme dans toute organisation, le télétravail s'est considérablement développé ces derniÚres années". Selon nos informations au conseil régional Auvergne-RhÎne-Alpes, le recours au télétravail est plafonné à deux jours par semaine, comme l'indique l'annexe 4 du protocole du temps de travail.
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