Cet article date de plus de quatorze ans.

Le projet de loi des retraites est la réforme clé de la fin du mandat de Nicolas Sarkozy

Après les députés en septembre, les sénateurs ont adopté le 8 octobre le report de l'âge légal de la retraite de 60 à 62 ans, rendant ce vote définitif.Le Sénat, où la procédure "du temps législatif programmé"qui permet d'abréger les débats n'existe pas, devrait achever l'examen du texte vers le 22 octobre.
Article rédigé par Catherine Rougerie
France Télévisions
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Temps de lecture : 67min
Un couple de retraités dans le jardin des Tuileries à Paris, le 31 mai 2010. (AFP - David Fritz)

Après les députés en septembre, les sénateurs ont adopté le 8 octobre le report de l'âge légal de la retraite de 60 à 62 ans, rendant ce vote définitif.

Le Sénat, où la procédure "du temps législatif programmé"qui permet d'abréger les débats n'existe pas, devrait achever l'examen du texte vers le 22 octobre.

Décryptage de cette réforme clé du quinquennat dans notre dossier.

Pourquoi une réforme ?
L'objectif est d'enrayer le déficit des 35 régimes obligatoires de retraite estimé à (2.000 euros par retraité) en 2010 et qui, si rien n''est fait, pourrait atteindre 50 milliards d"euros en 2020 et plus de 100 milliards en 2050, selon le Conseil d"Orientation des Retraites (COR).

Par ailleurs, le système actuel est pénalisant pour un certains nombres de salariés, notamment ceux qui ont exercé des "métiers pénibles", ont une espérance de vie inférieure à la moyenne mais ne bénéficient pas pour autant de bonifications de trimestres de cotisations.

Autre cas, les "polypensionnés". Etant donné les règles de calcul, ces personnes au parcours professionnels non linéaire, qui cotisent dans plusieurs régimes au cours de leur vie professionnelle, sont aussi désavantagées. Même constat pour les carrières discontinues dont les retraites dégradées qui en résultent concernent principalement les femmes.

Autres situations souvent dénoncées, les carrières "plates". Le calcul des pensions se base dans le privé sur les 25 meilleures années, les salariés sans progression professionnelle (ouvriers au SMIC tout au long de sa vie) sont désavantagés par rapport à ceux qui ont des carrières ascendantes (cadres).

Les principes du projet de loi

Durée d"activité

- Report de l"âge légal de la retraite de 60 à 62 ans en 2018 à raison de quatre mois par an à partir de juillet 2011 (19 milliards d'euros d'économie selon le gouvernement)
- Report de l"âge de la retraite à taux plein de 65 à 67 ans à raison de quatre mois par an à partir de juillet 2016 pour atteindre 66 ans en 2019 et 67 ans en 2023

- Augmentation de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein, qui atteindra 41 ans en 2012 puis 41,5 ans en 2020 contre 40,5 aujourd"hui

- Relèvement de l"âge d"ouverture des droits dans les régimes spéciaux (EDF, SNCF, etc.) à partir de 2017

Convergence public-privé

- Alignement du taux de cotisation du secteur public sur celui du privé étalé sur 10 ans (passage de 7,85% à 10,55%)

- Suppression du dispositif de départ anticipé sans condition d"âge des parents de trois enfants ayant 15 ans de service dans la fonction publique à partir de 2012

- Application aux fonctionnaires de la règle du "minimum garanti" (ils devront avoir tous leurs trimestres ou attendre l"âge d"annulation de la décote pour en bénéficier)

Nouvelles recettes

Elles devraient rapporter 4 milliards d'euros selon le gouvernement

- Création d"un prélèvement de 1% sur la tranche la plus élevée de l"impôt sur le revenu qui passe de 40 à 41%

- Hausse d"un point des prélèvements sur les plus-values de cessions mobilières et taxation au premier euro et non plus à partir de 27.000 euros

- Hausse d'un point sur les plus-values immobilières et du prélèvement forfaitaire libératoire sur les dividendes et intérêts

- Hausse des prélèvements sur les stock-options: la contribution employeur passe de 10 à 14% et celle du salarié de 2,5 à 8%

- Hausse des prélèvements sur les retraites chapeaux dès le premier euro versé et non plus à partir de 1.000 euros pour les entreprises et instauration d"une contribution sociale de 14% pour le bénéficiaire

- Suppression de deux niches fiscales: le crédit d"impôt sur les dividendes des particuliers et le plafonnement des quote-part pour frais et charges sur les dividendes des entreprises

Carrières longues, pénibilité, polypensionnés

Ce sont les trois volets sur lesquels le gouvernement accepte d'amender sa réforme lors du débat parlementaire. Voici les mesures prévues en l'état dans le projet de loi
- Maintien de la retraite à 60 ans pour les salariés ayant commencé à travailler avant 18 ans et qui ont suffisamment cotisé (90.000 personnes concernées selon le ministère du Travail)

- Maintien de la retraite à 60 ans pour les salariés ayant une incapacité physique supérieur ou égal à 20% (10.000 personnes concernées selon le ministère du Travail)

Mécanismes de solidarité

- Le nombre de trimestres validés d"un chômeur non indemnisé sera augmenté de 50% (passage de 4 à 6 trimestres)

- L"indemnité journalière de congé maternité sera intégrée sans le salaire de référence pour le calcul de la pension de retraite des femmes

Fonds de réserve des retraites (FFR)

Le FFR, actuellement doté de 35 milliards, sera utilisé dès l'adoption du texte alors qu'il avait été créé sous le gouvernement de Lionel Jospin, pour financer le régime général à partir de 2018

Les contre-propositions des syndicats

Bien qu"il y ait unité d"action, les huit organisations syndicales ont des approches différentes.

FO demande le retrait pur et simple du projet de loi.

La CGT, qui a lancé sur son site une pétition totalisant près de 646.000 signature et rédigé un contre projet, propose:

- de garantir la possibilité de prendre sa retraite dès 60 ans et des pensions d"au moins 75% du revenu net d"activité pour une carrière complète

- de faire contribuer tous les revenus financiers des entreprises (intéressement, participations, stock-options…) évalués à près de 10 milliards d"euros en 2009 par la Cour des comptes

- de réformer les cotisations patronales qui pourraient être modulées en fonction notamment des politiques d"emploi des entreprises

- d"augmenter les cotisations patronales, une augmentation de celle des salariés étant "envisageable"

- de remettre à plat l"ensemble des exonérations (30 milliards d"euros en 2009)

La CFDT mise sur une autre stratégie. Considérant que le gouvernement ne cèdera pas sur le report à 62 ans, et tout en réaffirmant "son désaccord global sur le projet de loi", son secrétaire général François Chérèque a fait quatre propositions au gouvernement le 3 septembre dernier:

- maintenir à 65 ans la borne d'âge pour l'attribution de la retraite à taux plein jusqu'en 2018 (date à laquelle il est prévu de ré-aborder le sujet) et non de la relever jusqu'à 67 ans à compter du 1er juillet 2016, au rythme de 4 mois par an
- revoir le texte sur les carrières longues, la pénibilité et les polypensionnés, trois sujets sur lesquels le chef de l'Etat s'est dit prêt au dialogue

Le Conseil d'orientation des retraites (COR) évalue le déficit à 40 milliards d'euros à l'horizon 2015

Il a distingué plusieurs scénarios pour établir ces prévisions, notamment la double hypothèse d"un taux de chômage de 4,5% et d"une productivité de travail de 1,8%.

De nombreux économistes soulignent cependant la fragilité des projections à cinq ans alors que nul n"est en mesure de dire avec certitude ce que sera la croissance en 2012.

Moins incertain en revanche, le déséquilibre du rapport actifs/inactifs, clef de voute du système par répartition. Actuellement, le ratio est de 1,8 mais il devrait s'aggraver et passer à 1,5 en 2020 et 1,2 en 2050 du fait de l'augmentation du nombre de retraités (16 millions aujourd'hui, 18 millions en 2020 selon le ministère du Travail).

Le renouvellement des générations étant assuré en France selon les démographes, le facteur déterminant pour résoudre le déficit des caisses retraites est à rechercher du côté du niveau de l'emploi. Sans un retour de la croissance dopant le taux d'activité (reprise des embauches), le "trou" financier ne pourra pas être comblé assurent la plupart des économistes.

Le COR partage cette analyse. Dans son huitième rapport, il écrit qu"à moyen terme (2015-2020), quel que soit le scénario retenu, "les perspectives financières du système de retraite apparaissent avant tout marquées par les effets de la crise économique sur l"emploi, qui s"ajoutent aux effets du vieillissement de la population".

Il énumère trois leviers pour réduire le déficit:

- le rapport entre la pension et le revenu d"activité

- le niveau des ressources

- l"âge effectif moyen de départ à la retraite.

Et pour agir efficacement, bon nombre d'acteurs concernés assurent qu'il faut jouer sur les trois paramètres.

Huitième rapport du COR (14 avril 2010)

Le Conseil d"orientation des retraites a réalisé une série de projections à partir de trois scénarios en jouant sur le niveau du taux de chômage et le rythme de croissance de la productivité.

- Scénario A: taux de chômage à long terme de 4,5 % et productivité du travail de 1,8 %

- Scénario B: taux de chômage à long terme de 4,5 % et productivité du travail serait de 1,5 %

- Scénario C, le taux de chômage à long terme de 7 % et productivité du travail de 1,5 %.

Ses calculs ont été effectués en intégrant uniquement les régimes représentant les masses financières les plus importantes: le régime de base des salariés du secteur privé (CNAV), les régimes complémentaires des salariés du secteur privé (AGIRC et ARRCO), le régime de la fonction publique de l"État (FPE) et la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL).

Quel que soit le scénario retenu (A, B ou C), la pension moyenne augmenterait moins vite que le revenu moyen d"activité.

Estimation du ratio démographique

Selon les données démographiques, le nombre des retraités devrait progresser rapidement jusqu"en 2050, passant de 15 millions en 2008 à 22,9 millions en 2050, avec une hausse particulièrement rapide jusque vers 2035 du fait de l"arrivée à l"âge de la retraite des générations nombreuses du baby boom.

Parallèlement, le COR calcule que le nombre de cotisants progressera de 25,3 millions en 2010 à 26,7 millions en 2024 dans les scénarios A et B, et à 26 millions en 2022 dans le scénario C.

Au final, le ratio démographique (rapport des effectifs de cotisants aux effectifs de retraités) se dégraderait plus rapidement que par le passé du fait de la baisse du nombre de cotisants liée à la crise, pour atteindre à long terme un peu moins de 1,2 cotisant pour un retraité. Il serait un peu plus dégradé à terme dans le scénario C, du fait d"un taux de chômage plus élevé.

Estimation des besoins de financement

A l"horizon 2015

Scénario A : 40 milliards d"euros (1,8 point de PIB)

Scénario B : 1,9 point de PIB

Scénario C : 2,1 points de PIB

A l"horizon 2050
Scénario A : 72 milliards d"euros (1,7 point de PIB)

Scénario B : 103 milliards d"euros (2,6 points de PIB)

Scénario C : 115 milliards d"euros (3 points de PIB)

Conditions de l"équilibre du système de retraite

A l"horizon 2020 pour couvrir les besoins de financement annuel, il faudrait une hausse du taux de prélèvement de :

- 3,8 points dans le scénario A

- 4,2 points dans le scénario B

- 4,7 points dans le scénario C

Dans le même temps, le rapport entre la pension moyenne nette de l"ensemble des retraités et le revenu moyen net d"activité de l"ensemble des actifs diminuerait par rapport à son niveau de 2008 respectivement de -6,2 %, -3,5 % et -3,2 %.

Le COR évalue par ailleurs le niveau des efforts à réaliser pour atteindre l"équilibre annuel si tout l"ajustement portait sur un seul des trois leviers.

Scénario A:

À l"horizon 2020

- soit une hausse du taux de prélèvement de 5,2 points

- soit une baisse des pensions relativement aux revenus nets d"activité de 22%

- soit un recul de l"âge effectif moyen de départ à la retraite de plus de 3 ans

À l"horizon 2030

- soit une hausse du taux de prélèvement de 7,6 points

- soit une baisse des pensions relativement aux revenus nets d"activité de 30%

- soit un recul de l"âge effectif moyen de départ à la retraite d"environ 6 ans

À l"horizon 2050

- soit une hausse du taux de prélèvement de 9,8 points

- soit une baisse des pensions relativement aux revenus nets d"activité de 36 %

- soit un recul de l"âge effectif moyen de départ à la retraite de près de 8 ans

La France compte 16 millions de retraités en 2010 qui touchent une pension moyenne de 1.400 euros par mois

16 millions: nombre de retraités

1400 euros par mois: montant de la pension moyenne d"un retraité

1700 euros par mois: montant de pension moyenne pour une carrière complète (60% de retraités)

708 euros par mois: montant de l"allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA anciennement "minimum vieillesse") pour une personne seule

1157 euros par mois: montant de l"allocation de solidarité aux personnes âgées pour un couple

450.000 : nombre de personnes touchant l"ASPA ou" minimum vieillesse"

279 milliards d"euros: montant des pensions retraites versées en 2010 (14,4% du PIB) dont 34 milliards pour celles des fonctionnaires

32 milliards d"euros : montant du déficit des régimes des retraites public et privés en 2010 (1,6% du PIB)

70 milliards d"euros : montant du déficit prévu en 2030 par le Conseil d"orientation des retraites ; 102 milliards d"euros en 2050

1,8 cotisant pour un retraité en 2010

1,2 cotisant pour un retraité en 2050

35: nombre de régimes obligatoires différents

7,85 % : taux de cotisation des agents publics (fonctionnaire)

10,65%: taux de cotisation des salariés

2,73 : nombre de pensions qu"un retraité perçoit en moyenne

60 ans: âge minimum légal en 2010 pour faire liquider la pension de vieillesse versée par le régime général (sauf cas particulier/ carrière longue, travailleurs handicapés)

65 ans: âge auquel un salarié a droit à une retraite à taux plein quelle que soit la durée de sa carrière

65 à 69 ans: tranche d"âge pendant laquelle, la mise à la retraite d"un salarié ne peut se faire sans son accord

70 ans: âge à parti duquel l"employeur peut décider d"office de mettre un salarié à la retraite

10%: taux de majoration si l"assuré a eu (ou élevé) 3 enfants ou plus

7 ans: écart d"espérance de vie entre un cadre et un ouvrier

La question du financement des retraites est à nouveau sur la table huit ans après la réforme de 2003

Si rien n"est fait, nos retraites sont menacées dit le gouvernement. Démagogie répond le PS qui dénonce une stratégie basée sur la peur dans un but de casse social. Rien de moins.

Qu"en est-il vraiment entre la menace de la fin du système par répartition brandie par la droite et l"accusation de la gauche d"une réforme menée sous la contrainte ?

Henri Sterdyniak, économiste à l"Observatoire Français des Conjonctures Economiques et professeur associé à l"Université de Paris Dauphine, livre son analyse.

Quel est le contexte économique de cette réforme ?

H.S. Il y a deux problèmes à résoudre, un à court terme, un à long terme.

Le problème à court terme, c"est le déficit actuel de 30 milliards du système des retraites qui fait partie de l"ensemble des déficits publics chiffrés à 160 milliards d"euros. Sur ces 30 milliards, 25 milliards sont dus à la crise et les 5 autres, aux premiers effets des « baby-boomers », ces générations nées après la guerre qui partent progressivement à la retraite.

Cela pose une question macroéconomique générale : réduit-on les dépenses ou compte-t-on sur la croissance pour réduire les déficits ?

Le problème à long terme tient à l"allongement de la durée de vie et au phénomène des « baby-boomers » qui va s"amplifier. Le déficit va se creuser. Il sera de l"ordre de 100 milliards d"euros à l"horizon 2035.

Il y a trois leviers pour agir: baisser le niveau des pensions, trouver des nouvelles recettes et travailler plus. Peut-on combler le déficit en n"agissant que sur l"un d"entre eux ?

H.S. Jouer sur un seul paramètre est insuffisant. Il faut utiliser les trois sachant qu"ils sont d"importances différentes.

Commençons par le niveau des retraites.

H.S. Actuellement, les retraités ont à peu près le même niveau de vie que les actifs. Il y a un consensus pour maintenir cet état de chose. Les Français refusent une forte baisse des pensions faisant des retraités, de nouveau, des pauvres.

Il n"empêche qu"en raison des négociations dans les régimes des retraites complémentaires et de la réforme de 1993, le niveau relatif des pensions a tendance à baisser.

La réforme Balladur a instauré l"indexation des pensions uniquement sur les prix et non plus sur les salaires, ce qui diminue leur montant. Au fur et à mesure que vous vieillissez, comme votre retraite est fixe alors que les salaires augmentent, votre niveau de vie relatif diminue.

On peut toujours prendre des mesures pour donner des coups de pouce. Nicolas Sarkozy a par exemple décidé d"augmenter de 25 % le minimum vieillesse.

De quelle marge de manœuvre dispose-t-on concernant le second paramètre, les ressources supplémentaires ?

H.S. Il y a deux points de vue.

Le premier consiste à dire, les actifs payent pour les retraités. Il faut donc augmenter les cotisations des salariés, une hausse estimée à 4 points d"ici 2035.

Sauf que le gouvernement ne veut pas. Il estime que le taux de prélèvement obligatoire en France est déjà trop fort. Le patronat ne le veut pas non plus.

Le deuxième point de vue consiste à dire, il faut faire payer les plus hauts revenus et les revenus du capital.

Dans le système contributif, l"ouverture des droits à la retraite et l"attribution des pensions reposent sur le versement antérieur des cotisations. Elles en sont la contrepartie.

Proposer de prélever des cotisations sur les revenus du capital qui n"ouvriront pas un droit à la retraite est plus difficile à comprendre.

Le gouvernement a pourtant dit qu"il allait faire un geste et qu"on allait augmenter la fiscalité sur les hauts revenus. Cela sera purement symbolique. Lors de la création du RSA, l"augmentation d"un point de fiscalité sur les revenus du patrimoine a rapporté environ 1 milliard d"euros. On est loin des besoins.

Il reste le dernier paramètre, travailler plus longtemps

H.S. C"est en effet le dernier levier. Trois points de vue existent.

Celui du gouvernement, qui considère que le recul de l"âge de la retraite de 60 à 63 ans, va permettre d"alléger la charge pesant sur le système.

La critique essentielle à cette stratégie, c"est le chômage de masse. Les entreprises n"ont pas besoin de main d"œuvre supplémentaire. Il y a deux risques

Le premier est que les salariés licenciés ne retrouveront pas d"emploi de 58 à 63 ans et percevront une allocation spécifique de solidarité. La seule économie réalisée sera le versement d"une allocation « minable » au lieu d"une retraite.

L"autre risque, c"est que les entreprises vont conserver un certain nombre de ces travailleurs seniors. Du coup, ils ne vont pas embaucher des jeunes. On l"observe bien depuis deux ans. Le chômage des jeunes a massivement augmenté.

Conclusion, cette stratégie assez brutale ne tient pas compte de la conjoncture.

Il y a une autre orientation particulièrement regrettable. C"est le report à 68 ans de l"âge auquel on peut percevoir une retraite à taux plein quelle que soit sa durée de cotisation.

Ce dispositif concerne surtout les femmes qui ont une carrière plus courte et attendent déjà le seuil des 65 ans pour faire valoir leur droit.

Entre 65 et 68 ans, ces femmes ne retrouveront pas de travail. Le report à 68 ans va donc les contraindre à attendre plus longtemps pour liquider leur retraite ou à la prendre sans bénéficier du taux plein.

Les autres points de vue ?

H.S. Le second, soutenu principalement par la CFDT, consiste à allonger la durée de cotisations. Cela joue peu sur les ouvriers mais davantage sur les cadres qui commencent à travailler à 23 ans et seront obligés d"aller jusqu"à 65 ans.

C"était le compromis qui avait été signé en 2003 entre la CDFT et le gouvernement mais ce dernier le remet en cause cette année parce qu"il veut aller vite. Il veut une réforme qui rapporte de l"argent rapidement.

Quant au troisième point de vue, il consiste à dire qu"il faut attendre compte tenu de la situation de l"emploi.

Par ailleurs, faire travailler plus longtemps suppose qu"on change les procédures de gestion des carrières et d"embauche au niveau des entreprises. Cela demande une mobilisation sociale, des accords entre syndicats et entreprises. Cela ne se fait pas en cinq minutes.

Le gouvernement a demandé au conseil d"orientation des retraites d"étudier un régime de « comptes notionnels ». On en entend plus parler pourquoi ?

H.S. La CFDT a émis l"idée qu"on pourrait réformer l"ensemble du système des retraites pour aboutir à un système plus juste, plus redistributif. Mais le fait est que la CFDT n"a pas fait de propositions précises.

Il y a eu un projet Beaulieu-Piketty appliquant à la France le modèle suédois de comptes notionnels. Tel qu"il a été proposé, c"est un système où le niveau de la retraite dépendait de façon extrêmement importante de l"âge de départ.

On favorisait donc largement les cadres au détriment des ouvriers et on équilibrait le système en baissant fortement le niveau des pensions. Ce n"était donc pas un projet présentable pour la CFDT.

L"avantage de ce système, c"est qu"il unifie le public et le privé. L"inconvénient, c"est qu"il exige un ou deux ans de préparation et une période extrêmement longue, d"au moins dix ans, de mise en oeuvre puisqu"il faut recalculer les droits de chacun.

Le gouvernement n"a donc pas voulu se lancer dans un projet à ce point difficile à initier pour un résultat peu assuré.

Il est toujours possible que le gouvernement décide, dans le cadre de la réforme, de lancer une grande commission qui aura pour but de réfléchir à ce système.

Est-il équitable ?

H.S. Il y a deux acceptions « d"équitable ».

Soit vous dites, le système doit être très contributif, c"est-à-dire chacun doit avoir une retraite qui dépend des cotisations.

Soit vous dîtes, le système doit être très redistributif, c'est-à-dire un système où il faut donner plus à ceux qui ont eu des bas salaires, des carrières courtes, etc. Le projet de Piketty est un projet très contributif alors que la CFDT veut au contraire un système très redistributif.

Est-ce une bonne idée selon vous de vouloir unifier le système public et le privé ?

H.S. Oui, mais le problème, c"est qu"il faut d"abord unifier le régime du privé : ARCCO, AGIRC et régime général, ce qui n"est déjà pas simple. Certains syndicats sont d"accord mais ne veulent pas perdre la gestion de ces régimes.

Ensuite, il faut unifier le régime du public. Or le problème est double. D"une part les primes des fonctionnaires ne rentrent pas dans le calcul de leurs retraites. Il faudrait tout recalculer. Par ailleurs, le point d"indice de la fonction publique ne suit pas l"inflation.

En résumé, il faudrait donc remettre en cause toute la gestion des salaires dans la fonction publique.

Comment analysez-vous le contre-projet du Parti socialiste ?

H.S. Le charme de la proposition du PS, c"est de donner plus de ressources, de dire qu"on va essayer d"augmenter le taux d"activité des seniors sans passer par la méthode brutale de report de l"âge légal.

Les socialistes sont toutefois dans l"idée d"augmenter la durée de cotisation requise, de prendre en compte la pénibilité en donnant des majorations de durée à ceux qui ont des travaux pénibles.

Il y a aussi un certain nombre d"idées saugrenues sur des ressources fabuleuses qu"on tirerait des revenus financiers et sur la hausse de la surcote qui n"est pas logique du tout parce qu"elle favorise surtout les cadres.

Cela consiste à dire on donne des « carottes » aux gens qui acceptent de travailler plus longtemps. Le problème de cette « carotte », c"est qu"elle permet d"augmenter la retraite des personnes qui peuvent choisir au détriment des gens qui n"ont pas le choix, les ouvriers, les chômeurs et ceux qui ne peuvent plus travailler du fait de la pénibilité de leurs activités.

On n"échappera pas à l"obligation de travailler plus longtemps, mais il faudrait que cela porte davantage sur les cadres ou ceux qui ont des travaux peu pénibles et que l'on protège les travailleurs manuels et ceux qui ont eu des travaux éprouvants.

Etes-vous optimiste sur l"issue de cette réforme ?

H.S. Non parce qu"en 2009, le Medef soutenait qu"il fallait absolument réussir à faire reculer l"âge de la retraite, ne pas céder sur la pénibilité, ni sur les cotisations.

Or, le gouvernement risque de faire une réforme dans laquelle il ne va pas céder sur les cotisations et va reculer l"âge de la retraite sans rien donner sur la pénibilité.

L'analyse du démographe Hervé Le Bras

Les conditions démographiques et familiales qui ont présidé à l"instauration du système de retraite, il y a près de 55 ans, ont complètement changé.

Ces évolutions devraient être prises en compte pour une réforme en profondeur du système des retraites.

Hervé le Bras, démographe à l'INED et directeur d"études à l"Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) revient sur les grandes évolutions de la société Française des dernières décennies et leurs conséquences sur le système des retraites.

Quelles sont les conditions démographiques qui entourent le débat sur les retraites ?

H.L.B. Il y a plusieurs aspects. Celui qui revient le plus souvent est lié à l"espérance de vie.

Pendant très longtemps, elle n"a pas bougé. Entre 1806 et 1945, elle s"est maintenue à 65 ans. Il n"y a eu aucun progrès pendant 150 ans. Puis à partir du milieu des années 70, elle est montée à toute vitesse. Elle est maintenant de 77,8 ans pour les hommes et de 84,5 ans pour les femmes.

Cela a complètement changé la nature de la retraite car, dans le même temps, la part de vie en mauvaise santé a diminué. Désormais, toutes les années au-dessus de 65 ans sont majoritairement des années en bonne santé.

Parlant des retraites, certains les comparent d"ailleurs à une sorte de grandes vacances perpétuelles, de congés payés à l"année et beaucoup veulent protéger cette zone de vie parce qu"ils savent qu"ils pourront profiter de ce temps.

Cela est valable pour l"ensemble de la population mais il y a bien sûr des différences assez fortes entre ouvriers et cadres.

Quelles sont-elles ?

H.L.B. Dans les générations qui arrivent maintenant à la retraite, les ouvriers ont eu leur premier emploi vers 15 ou 16 ans. Si le système était logique, c"est-à-dire, si au bout de 40 annuités, ils avaient droit à une retraite, ils partiraient beaucoup plus tôt qu"ils ne font.

En revanche, les cadres de niveau bac +3, qui ont commencé par exemple vers 22 ans, n"atteignent les 40 anuités qu"après leurs 60 ans.

Il y a là une sorte de paradoxe. Si l"on ne tenait compte que des annuités et que l"ouvrier prenne sa retraite après 40 années de cotisations, comme il a commencé à travailler plus tôt, la différence d"espérance de vie, plus faible pour les ouvriers, serait effacée. Il aurait un temps de retraite analogue à celui du cadre qui lui part plus tard mais a une espérance de vie plus longue. Mais comme vous le savez, la règle de l"âge minimum empêche cela. Autrement dit, toute la querelle actuelle est uniquement une querelle de classes sociales.

La position de la droite et du patronat est d"augmenter l"âge minimal. Celle de la gauche et des syndicats, c"est augmenter le nombre des annuités.

On ferait mieux de dire les choses clairement au lieu de raconter n"importe quoi.

Il faut toujours tenir compte des âges à l"entrée et du nombre d"annuités. C"est cela qui compte démographiquement, c"est cela le bon raisonnement.

Quelles sont les autres évolutions démographiques à prendre en considération dans ce débat ?

H.L.B. L"activité féminine a complètement changé.

Dans les années 50, moins de 50% des femmes travaillaient et la doctrine nataliste, consistant à dire aux femmes de rester au foyer pour faire des enfants, prévalait. Mais que devenaient-elles si elles devenaient veuves ? Elles tombaient dans la misère. On a donc institué des réversions.

Aujourd"hui, 82 % des femmes travaillent. La donne a complètement changé. Cette réversion n"a plus de sens ou très peu de sens.

En plus de cela, elle est « nichée » dans le système de sécurité sociale des retraites.

Si vous prenez toutes les sommes versées pour les retraites, à peu près 280 milliards d"euros, 9% partent en réversion et 4,5% viennent pour les suppléments d"annuités liés au nombre d"enfants.

Avec 9% de 280 milliards, pratiquement 25 milliards, vous épongez la quasi-totalité du déficit.

C"est normal que le système de retraites soit déficitaire. On lui demande de jouer un rôle pour lequel il n"est pas fait. Cela devrait être géré par la branche famille. On mélange les systèmes.

Que répond le ministre du Travail Eric Woerth auquel vous avez soumis cette remarque ?

H.L.B. Ce n"est pas le sujet. On ne touche pas aux questions relatives aux familles.

Pourquoi ?

H.L.B. Parce que derrière, il y a la puissante UNAF (Union nationale des associations familiales) qui va mettre en branle un nombre impressionnant de députés…. Donc, on laisse cela de côté.

Les autres pays ont traité cette question sérieusement.

La Suède a supprimé complètement les réversions mais a augmenté les minimums vieillesses.

Les Allemands ont instauré un nouveau système, déjà efficient pour les divorces. Ils considèrent que le revenu d"un membre du couple appartient au couple parce que c"est le couple qui décide comment l"homme et la femme vont se partager le travail.

Au moment du divorce, ils mettent ensemble les annuités gagnées par l"homme et la femme et ils divisent par deux. Chacun part avec la moitié.

Si la femme n"a pas travaillé du tout, c"est l"équivalent de la réversion puisqu"elle aura la moitié du mari. Mais si les deux ont travaillé à égalité, ils n"auront que ce que chacun a gagné.

Que peut-on dire sur le niveau de vie des retraités aujourd"hui ?

H.L.B.
En 1945, les « vieux » étaient pauvres et ils le sont devenus encore plus l"année suivante avec l"inflation et la ruine des petits rentiers. Ils l"étaient encore au début des années 70.

Le phénomène s"est inversé. Le niveau de vie moyen d"un retraité est à peu près le même qu"un actif et ce qui est intéressant, c"est la proportion de personnes au-dessous du seuil de pauvreté. Elle décroît avec l"âge. Aujourd"hui, elle ne concerne que 2,5 % des hommes de plus de 75 ans.

En 1970, il y avait 2.600.000 personnes qui touchaient le minimum vieillesse. Il n"y en a plus que 590.000 aujourd"hui alors que le nombre de personnes âgées a presque doublé. C"est bien la preuve qu"il y a une amélioration.

Le minimum vieillesse a augmenté plus vite que l"inflation et plus vite que le salaire moyen. Il doit sans doute être encore augmenté, mais il offre un filet de sécurité, d"autant que beaucoup sont en ALD et ont diverses réductions.

78 à 80 % des personnes de 70 ans sont par ailleurs propriétaires de leur logement.

Bien sûr, il y a quelques cas de grande pauvreté mais globalement la situation a changé.

Aujourd"hui, 45 % des mères de famille monoparentales et 14 % des jeunes vivent en dessous de ce seuil.

Ce n"est plus sur les retraités que pèse le poids de la pauvreté et du dénuement. Ils doivent contribuer comme les autres au système de retraite.

Il y a un autre aspect à prendre en considération.

Lequel ?

H.L.B. Dans les années 1945 et pendant tout et toutes les 30 glorieuses, il n"y avait pas de problème d"emploi, les ouvriers avaient la main et pouvaient négocier leurs salaires.

Par contre, les salaires des fonctionnaires augmentaient peu. On leur a donc donné des avantages pour qu"ils restent fonctionnaires d"une certaine manière.

Aujourd"hui, ils ont la sécurité de l"emploi, alors que les salariés sont menacés par le chômage, et ils ont des salaires décents. En moyenne, les salaires des fonctionnaires ont dépassé ceux du privé. Ayant plus de poids dans l"appareil d"Etat, ils ont fait valoir leur droit. Ils ont aussi un peu plus vieillis.

Il est donc logique qu"ils soient un plus payés mais ce qui est choquant c"est que le système n"est pas évolué alors que les raisons qui ont présidé à son instauration ont disparu.

Je trouve anormal que les cotisations retraites des fonctionnaires soient inférieures de trois points à celles du privé.

Mais leurs salaires n"intègrent pas les primes…

H.L.B. Les primes ne concernent que quelques hauts fonctionnaires, ingénieurs et enseignants mais dans l"ensemble, il y a très peu de primes.

En résumé, la société a évolué mais pas le système ?

H.L.B. Exactement. La société, et heureusement, a beaucoup changé mais le système est devenu assez injuste, assez inéquitable.

Les suédois, les allemands et les italiens l"ont adapté. Les finlandais sont en train de le faire. Ils procèdent d"ailleurs de façon très astucieuse.

Ils n"ont pas posé d"emblée le problème des retraites. Pendant 5 années, ils ont mené une vraie politique de formation pour les personnes de 40-45 ans. C"est là d"ailleurs où la France est très en retard. Il y a pourtant de ce côté-là 28 milliards qui ne servent à pas grand-chose.

Résultat, le taux d"emploi des seniors en Finlande qui était à peu près égal au nôtre a bondi de 20 %.

Du coup, ils posent maintenant la question de la retraite sans avoir à gérer le problème du chômage des seniors.

L"exemple suédois est aussi intéressant. Ils ont pris leur temps pour réformer

H.L.B. Hé oui. Ils ont mis cinq ans.

Alors, que l"on ne nous parle donc pas de réforme en France. Que l"on dise qu"il y a un problème de trésorerie, que l"on va devoir piocher un milliard ici, un milliard là… que l"on va faire un rafistolage mais pas que c"est la grande réforme de la fin du septennat.

Cela me fait penser au débat sur l"identité nationale d"Eric Besson. C"est exactement le même scénario, c"est-à-dire absolument pas pensé, qui s"est soldé pas un résultat totalement improductif si ce n"est de « requinquer » le Front national. Exactement l"inverse du but recherché.

Il faut être sérieux. Cela se construit un débat. Il faut du temps pour le préparer, amener l"ensemble des partenaires à vraiment négocier. Il y a eu des précédents sérieux, la commission Marceau Long sur la nationalité, la commission Stasi sur le voile.

Ce n"est pas cette fois qu"on réformera un système qui après 60 ans est devenu complètement obsolète.

Le regard du sociologue Serge Guérin

Quels sont les enjeux de cette réforme des retraites au-delà de l"aspect financier ?

S.G. Paradoxalement, l"enjeu principal, c"est l"emploi.

Si l"on veut que les gens travaillent plus longtemps, que la retraite ne soit pas cette espèce de couperet incroyable, la vie doit être pensée dans sa continuité et non pas en catégories très fermées.

Les cycles de vie que sont la formation, l"emploi et l"arrêt du travail devraient être combinés de façon beaucoup plus souples qu"aujourd"hui.

On peut tout à fait imaginer se former à 60 ans et que tout ne soit pas décidé à 20 ans.

On pourrait aussi imaginer des modulations au cours des carrières. Travailler de 40 à 45 heures par semaine à 20 ans par exemple parce que l"on est en pleine forme, passionné et sans vie de famille, un peu moins à 30 ans, puis s"arrêter une année à 35 ans, et au final travailler plus longtemps.

Autrement dit, considérer que ce qui compte, c"est le nombre d"heures travaillées sur une vie.

On passe complètement à côté de ces questions avec le projet actuel. Penser la retraite comme un temps singulier, déconnecté des autres, c"est sans doute une erreur.

Le débat est-il mal posé ?

S.G. On peut avoir au moins deux regards sur les retraites. Une vision comptable avec l"objectif de l"équilibre financier y compris au risque de renforcer les inégalités. C"est apparemment le choix qui est fait.

On peut aussi considérer que les retraites participent d"un projet social plus large et qu"elles sont là aussi pour atténuer ou réparer les déséquilibres, les inégalités.

La retraite doit être un élément d"une vision plus large qui est celle du travail et de la vie.

Vous parlez de couperet pour la retraite, c"est un mot fort

S.G. Je fais beaucoup de préparation à la retraite et vois énormément de personnes, surtout des hommes, qui sont en fragilité psychique extrêmement importante.

La retraite est un choc très fort et parfois très déstabilisant. La fin de la vie professionnelle est même plus déstabilisant que le premier emploi.

Pendant 40 ans, les individus ont une vie très structurée et du jour au lendemain, sans avoir été du tout préparé, ils n"ont plus rien à faire.

Comment cette fragilité se traduit-elle ?

S.G. Souvent par une consommation accrue de la télévision. On estime qu"il y a 30% de plus passé devant le petit écran.

Parfois par une forme de déprime: à quoi je sers ? qui je suis ? Par une difficulté à gérer son temps. Par une utilisation, parfois très forte, de médicaments, psychotropes ou autres.

En quoi penser la retraite comme un temps déconnecté des autres est-il une erreur ?

S.G. On oublie que le temps de retraite, 20 ans, 30 ans, n"est pas un temps de retrait, c"est un temps d"activité sociale différent.

Je milite pour que l"on casse la notion d"actif / inactif. Cela ne veut strictement rien dire.

Il y a des inactifs théoriques qui sont des actifs sociaux bien plus importants que certains actifs et il y a parfois des actifs dont on aimerait bien comprendre quelle est leur utilité.

La question centrale est, comment valorise-t-on, et le faut-il d"ailleurs, ce temps d"inactivité officielle qui est une activité sociale ?

On ne peut pas dire des retraités qu"ils sont inutiles et ne servent à rien. On n"est jamais inutile, on est toujours utile pour quelqu"un ou pour la société parce que l"on contribue à créer du lien social.

C"est la notion de productivité qui est ici en cause.

On n"a peu entendu parler de ces aspects au cours des discussions ?

S.G. Le Parti socialiste, les écologistes et la CFDT en ont un peu débattu.

Quoi qu"il en soit, on ne règlera pas le problème des retraites avec cette vision comptable sur laquelle on nous a orienté, ni avec l"angoisse du chiffre et du déficit.

Ce discours assez anxiogène renforce le mécanisme car à force de répéter qu"on ne pourra plus financer les retraites, les gens souhaitent partir vite pour être tranquille.

Il y a une autre raison. Outre le stress et l"angoisse de perdre son emploi, il y a aussi la perte de sens. Beaucoup d"individus ne sont plus intéressés par leur travail, se sentent inutiles et veulent faire autre chose.

Certains s"orientent ainsi vers de nouveaux métiers parfois moins bien payés et beaucoup plus durs. Se retrouver à la tête d"une maison de retraite ou se tourner vers le handicap ou la petite enfance, c"est financièrement moins intéressant mais intellectuellement et humainement beaucoup plus riche.

On revient à cette notion de l"utilité sociale.

Y a-t-il des pays qui ont pris en compte ces questions

S.G. La Suède beaucoup mieux intégré que nous ce type d"approche avec l"apprentissage tout au long de la vie, le droit à la formation et le système d"assurance financé par les entreprises qui fait que si vous perdez votre emploi à 60 ans, vous pouvez encore vous former.

Les pays nordiques laissent aussi plus longtemps leur chance aux personnes, permettent de passer plus facilement d"un métier à l"autre, de mieux organiser sa vie et de sortir progressivement de l"emploi.

Si les "petits boulots" sont dévalorisés chez nous, eux considèrent que ces métiers de service ont une utilité. Ils ne nécessitent pas forcément une énorme compétence mais une grande expertise relationnelle.

Cela se traduit par une productivité horaire sans doute plus faible que la nôtre mais qui globalement est meilleure.

Comment y sont-ils parvenus ?

S.G. La Suède négocié pendant 14 ans. Ils ont pris du temps pour discuter et parvenir au consensus.

Ils ont aussi cette culture d"impliquer tous les niveaux du corps social alors que chez nous, tout se décide par le haut.

Quels critères permettraient de prendre en compte cette utilité sociale dont vous parlez ?

S.G.
Le chiffre ne résume pas tout.

Il faut s"intéresser davantage au qualitatif et prendre en considération l"amélioration d"une situation.

Prenons l"exemple de l"école. On pourrait regarder si à la fin d"un cycle, au-delà des connaissances acquises, les enfants se sentent aussi plus équilibrés, s"affrontent moins, ont appris à vivre en commun, ont une meilleure perception de leur avenir et de leurs objectifs. On ferait des entretiens en début de cycle et on regarderait cinq après comment cela a progressé.

Cela peut sembler idéaliste sauf que, jusqu"à preuve du contraire, le monde a bougé grâce aux idéalistes et non par les "quantificateurs".

Plusieurs associations au Québec parlent de 3Produit National Doux" plutôt que Produit National Brut avec l"idée sous jacente qu"une société plus douce créé moins d"éviction et réduit les dépenses inutiles.

Prenons un exemple à l"échelle de la ville. Moins il y a d"incivilités et d"attaques, moins les gens ont besoin de se soigner, de prendre des médicaments, moins il y a de frais de réparations.

En mettant plus d"argent sur la prévention, on évite les dépenses a posteriori. En résumé, mieux vaut une société de la bienveillance qu"une société de la surveillance.

C"est un peu dans la lignée du « care » développé par Martine Aubry ?

S.G. Exactement. Dans mon dernier livre "De l"Etat Providence à l"état accompagnant"*, je parle "d"accompagnement bienveillant" pour aller plus loin et tenter de "franciser" le concept.

Outre le fait que l"Etat providence ne peut plus tout prendre en charge, il risque de rendre les gens passifs.

L"accompagnement, à la différence du "care", n"est pas une prise en charge. C"est donner aux personnes les moyens de construire leur vie, de conquérir leur autonomie, les aider à être auteur de leur vie. Et cette aide n"est pas quantifiable.

Il y a aussi une notion de réciprocité. C"est l"idée que "j"accompagne l"autre et en même temps, j"apprends de l"autre" ; l"idée d"un accompagnement mutuel qui permet d"avancer et de tous progresser et à moindre coût. On est tous interdépendant.

Je vais aider une personne en difficulté physique à un moment donné par exemple mais peut être que cette personne pourra m"apprendre l"anglais. Elle m"accompagnera autrement.

On n"est par ailleurs pas victime à plein temps. On a des moments de fragilité.

Aujourd"hui, la majorité de la population en France est dans cette situation : les nourrissons, les personnes handicapées, les personnes dépendantes, déprimées etc., et on apprend aussi des gens plus fragiles que soi. Il y a toujours une transmission.

* Derniers ouvrages parus:

- "De l'Etat Providence à l'état accompagnant", Michalon, 2010
- "Manager les seniors", Eyrolles et "La Société des seniors", 2009

Le point de vue de l'ergonome Serge Volkoff

La question de l"usure au travail n"est pas nouvelle.

En 1993, la réforme prévoyait une négociation sur ce thème. Les partenaires sociaux ont bien discuté de 2005 et 2008, mais leur échange s"est soldé par un échec.

Seul point d"accord, la fixation de trois facteurs de pénibilité: les contraintes physiques marquées (port de charges lourdes, postures pénibles, vibrations), un environnement agressif (produits toxiques, températures extrêmes, bruits intenses, etc.), et certains rythmes de travail (travail de nuit, horaires alternants, etc.).

Mais concernant la prise en compte dans la retraite, aucun accord. Et en 2010, le sujet divise toujours.

Les syndicats défendent un dispositif de départ anticipé pour les salariés travaillant dans des branches "pénibles". Le patronat s"y oppose de peur que cela n"aboutisse à recréer des régimes spéciaux, tout en reconnaissant que la pénibilité a bien un impact sur la santé.

C"est aussi la position du ministre du Travail. Les salariés "usés physiquement et qui peuvent le prouver" pourront partir plus tôt à la retraite a déclaré M Eric Woerth sur TV5 début juin, privilégiant la logique individuelle et médicalisée de la pénibilité souhaitée par le Medef plutôt que l"approche "par métiers" des syndicats.

"Il ne s"agit pas seulement de la pénibilité intrinsèque des tâches, mais des effets différents qu"elle peut avoir sur différentes personnes et de vérifier ces effets" a aussi indiqué le ministre dans une interview au Journal du Dimanche.

Des déclarations qui ont aussitôt déclenché l"ire des syndicats. «La position (…) affichée par le ministre du Travail constitue une véritable provocation" et "une insulte au bon sens, dès lors que pour bénéficier de mesures concrètes, la condition exigée serait que la santé du salarié soit déjà altérée" a réagi la CGT.

"Ce qu'attendent les salariés, c'est précisément de pouvoir bénéficier d'une période de retraite en bonne santé d'une durée identique aux autres salariés" a insisté le syndicat, rappelant que "l'espérance de vie est réduite d'au moins 7 ans pour les salarié(e)s exposé(e)s".

Pour la CGT, "la seule mesure efficace pour les salarié(e)s qui arrivent au terme de leur carrière avec une exposition à la pénibilité est de leur permettre un départ anticipé, fonction de la durée d'exposition".

Poser en ces termes, la discussion semble vaine.

Les explications de Serge Volkoff, Directeur du Centre de recherches et d'études sur l'âge et les populations au travail (CREAPT) et membre du Conseil d"orientation des retraites, aident à sortir de l"impasse.

Qu"entend on par pénibilité au travail ?

S.V. Le terme englobe beaucoup de choses. Il est donc important de faire un effort de clarification. Il y a trois grands types de pénibilité qui ne renvoient pas du tout au même champ de compétences, ni aux mêmes types de mesures à prendre.

Le premier type de pénibilité renvoie à certaines conditions de travail qui peuvent avoir des effets à long terme sur la santé et sur l"espérance de vie.

Elles sont de trois ordres:

- l"exposition à des toxiques cancérogènes

- le travail de nuit avec ses effets notamment à long terme sur le système cardio-vasculaire

- les grands efforts physiques par leurs effets sur l"état des articulations au grand âge

Ensuite, il y a tout ce qui fait que l"on supporte mal son travail parce que sa santé est défaillante. Certains salariés ont eu un accident ou une maladie, en ont gardé des séquelles et se retrouvent en difficulté dans leur travail.

Enfin l"acceptation la plus générale et la moins objectivable renvoie à tout ce qui fait que l"on "éprouve" son travail fatiguant.

Comment peut-on faire face ces trois types de pénibilité ?

S.V. Les trois domaines cités ne correspondent pas du tout aux mêmes mesures publiques.

Pour le dernier type de pénibilité évoqué, il serait difficile de penser le problème en termes de départ anticipé. C"est en termes de prévention, d'amélioration des conditions et de l'organisation de travail qu"il faut raisonner. Cela relève d"une intervention publique mais pas d'un texte de loi.

Le second type de pénibilité concerne tout le champ des dispositifs d"inaptitude et d"invalidité qui existent déjà en France et dont la qualité est peut-être à réévaluer.

On peut aussi imaginer des mesures du type réaménagement et réaffectation de poste, reconversion, ce qui sous-entend des politiques de formation.

Enfin concernant le premier type de pénibilité, le raisonnement est de dire, c"est le travail qui finance la retraite. Donc, si le travail présente des caractéristiques qui tendent à la raccourcir ou à dégrader sa qualité, peut-être faut-il qu"une partie de cette inégalité-là, soit compensée par une bonification des annuités.

C"est à peu près les fondements du dispositif amiante que l"on pourrait songer à étendre sans occulter cependant les problèmes de traçabilité complexes.

Il faut prendre en compte les effets à long terme du travail sur la santé pour concevoir un système de départ qui soit aussi équitable que possible.

Comment procéder ?

S.V. En partant des connaissances bien établies dont on dispose pour définir des critères, mettre en place un dispositif de reconnaissance et prévoir une bonification des années de cotisations.

Si je vous comprends bien, vous mixez les deux points de vue qui s"opposent aujourd"hui celui d"une individualisation de la pénibilité et celui d"une approche par métier ou branche ?

S.V. Bien sûr. Le débat est très mal posé. Il y a deux étapes.

Il faut commencer par définir les critères de pénibilité par secteur, le bâtiment, la sidérurgie, le travail de nuit, etc. et ensuite, il y a une application plus individuelle qui nécessite la mise en place d'un dispositif publique interprofessionnel.

Ceux qui défendent le cas pas cas, ont en partie raison. On peut avoir été éboueur tout sa vie et n"avoir travaillé de nuit qu"à une période donnée. Autre exemple, une personne qui travaillerait dans une mine de nuit puis serait reconvertie à 41 ans sur un poste de jour pour finir sa carrière sur un poste de bureau.

Les salariés d"un secteur donné ne sont pas tous dans des situations identiques.

Mais là où ça ne va pas, c"est lorsque qu"on préconise une visite médicale. Cela heurte la rigueur scientifique et l"éthique.

On ne peut pas confier à un médecin la responsabilité de décider du degré d"exposition d"un salarié en fonction de son état. A fortiori pour le travail de nuit.

Pourquoi ?

S.V. On sait que les problèmes cardiovasculaires sont renforcés par le travail de nuit mais il est impossible de prouver que ces problèmes ne seraient dus "exclusivement" qu"au travail de nuit. L"alimentation, l"alcool, le tabac, etc. jouent aussi.

A la limite, cela pourrait presque inciter le salarié à s"exposer davantage pour prouver qu"il est atteint. Vous voyez le danger.

Les grandes dates des retraites

Certaines professions ne sont pas affiliées

1947: création de l'Agirc (association générale des institutions de retraite des cadres)

1948: création de régimes de retraites de base pour les artisans, les commerçants et les professions libérales

1952: création d'un régime de retraite des exploitants agricoles

1961: création de l'Arrco (association pour le régime complémentaire des salariés), retraite complémentaire obligatoire pour les non-cadres, sur le modèle de l'Agirc.

1972: généralisation de la retraite complémentaire pour les salariés

1982: l"âge de la retraite à taux plein est abaissé à 60 ans pour les assurés disposant d"une carrière complète (37,5 années)

1991: Livre Blanc sur les retraites de Michel Rocard

1993: réforme du régime général à l"initiative d"Edouard Balladur avec 3 éléments principaux

- la durée de carrière prise en compte pour le calcul de la retraite passe de 10 ans aux 25 meilleures années

- la durée d"assurance pour obtenir une pension complète passe progressivement à 40 ans

- mise en place d"un dispositif de solidarité supplémentaire, le Fonds de Solidarité Vieillesse (FSV) destiné notamment à financer le minimum vieillesse et les périodes de chômage

1999: création du Fonds de Réserve des Retraites (FRR) par le gouvernement Lionel Jospin afin de disposer de ressources de financement après 2020

2000: création du Conseil d"Orientation des Retraites (COR) toujours sous le gouvernement de Lionel Jospin

2003: réforme menée par François Fillon qui

- étend à la Fonction Publique l"allongement de la durée de cotisation à 40 ans et prévoit pour tous des allongements ultérieurs en fonction de la hausse de l"espérance de vie

- créé une surcote en cas de départ au-delà de 60 ans et un dispositif de retraite anticipée pour les salariés qui ont commencé à travailler tôt (dispositif "carrière longue")

- indexe les pensions des fonctionnaires sur les prix, comme pour les salariés du privé

- instaure un régime facultatif de retraites par capitalisation pour les salriés du privé (Perp) et réaménage les plans d"épargne salariale en plans retraite (Perco)

2004: création d'un régime complémentaire obligatoire pour les commerçants

2005: lancement d'un régime complémentaire par points pour prendre en compte une partie des primes des fonctionnaires (RAFP

2006: création du régime social des Indépendants (RSI) qui regroupe les régimes de retraite de base des artisans et des commerçants

2007: l'allongement de la durée de cotisation à 40 ans est étendu dans les régimes spéciaux (SNCF, RATP, EDF, etc.), avec des contreparties salariales

2008: réforme des régimes spéciaux qui fixe à 40 ans la durée de cotisation pour les agents de la SNCF, RATP, industries électriques et gazières, etc.

Lexique

La retraite par répartition repose sur un système de redistribution entre les générations. Les cotisations des actifs payent les pensions des retraités.

Le régime par capitalisation repose sur des cotisations qui sont placées sur les marchés financiers en vue d"accumuler un capital, reversée plus tard au souscripteur, en une seule fois en sous forme de rente.

Le système en France comprend deux types de retraites obligatoires publiques : les régimes de base et les régimes complémentaires (Agirc-Arrco), auxquels peuvent éventuellement s"ajouter retraite d"entreprise et retraite individuelle.

Dans les régimes de base, le versement des pensions dépend du nombre de trimestres cotisés et du revenu de référence (moyenne des 25 meilleures années dans le privé et des 6 derniers mois dans la fonction publique étant précisé queles primes ne sont pas prises en compte).

Les régimes complémentaires fonctionnent par points (les cotisations versées sont converties en point). Le montant de la pension est le produit du nombre de points accumulés tout au long de la vie active et de la valeur du point dite "valeur de service" au jour du départ à la retraite.

Les régimes supplémentaires dits aussi "surcomplémentaires" sont des régimes facultatifs permettant à certains de compléter leur revenus: dispositif d"épargne salariale (PERCO), produits d"épargne individuelle (PERP, dispositif "Madelin" et "exploitants agricoles" pour les indépendants, PREFON pour les fonctionnaires, FONFEL et CAREL pour les élus locaux, etc,...

Durée de cotisation : depuis le 1er janvier 2009, le nombre de trimestres pour avoir droit à la retraite à taux plein (50%) augmente d"un trimestre par an. En 2012, il faudra avoir cotisé 41 années pour percevoir une pension à taux plein.

Décote: coefficient de minoration appliquée à la pension pour chaque trimestre non cotisé. Le taux dépend de l"année de naissance.

Surcote: coefficient de majoration appliquée lorsque l"on continue à travailler au-delà de l"âge légal et alors qu l"on atteint le nombre de trimestres requis pour prendre sa retraite.

Carrière longue: Les salariés qui disposent de toutes leurs annuités peuvent parti à la retraite avant l"âge légale.

Retraite progressive: elle permet aux salariés âgés d"au moins 60 ans et justifiant de 150 trimestres validés de travailler à temps partiel tout en bénéficiant d"une fraction de leur pension de retraite (de base et complémentaire).

Rachat de trimestres: possibilité de racheter des trimestres à tout moment, jusqu"à concurrence de 12, pour années d"études ou années incomplètes. Le coût est d"autant plus élevé que l"on est proche de la retraite ou que le salaire, le jour du rachat est important.

Cumul emploi retraite: possibilité de cumuler un emploi et sa pension retraite. Il faut attendre six mois pour retravailler avec son employeur et veiller à ce que le cumul emploi retraite soit inférieur au montant de son dernier salaire sauf si le nombre de trimestres est requis ou si l"on 65 ans ou plus.

ASPA: l"allocation de solidarité aux personnes âgées qui remplace depuis le 1er janvier 2006 le "minimum vieillesse", est destinée à assurer un minimum de revenus aux personnes d"au moins 65 ans (60 ans en cas d"inaptitude au travail). Elle est versée, à la différence du minimum contributif, sous condition de ressources.

Minimum contributif: il est destiné à garantir une retraite décente à ceux qui ont travaillé toute leur vie avec un salaire modeste.

Fonds de réserve pour les retraites: créé sous le gouvernement de Lionel Jospin. Il contient 34 milliards d"euros.

Effet de noria : mécanisme qui traduit un effet de composition de la population et fait que la pension moyenne croit à un rythme plus élevé que l"inflation : le remplacement des retraités les plus âgés par des nouveaux retraités disposant de carrières plus favorables, donc bénéficiaires en moyenne de pensions plus élevées.

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