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L'article à lire pour comprendre le débat sur les 35 heures

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Les ministres des Finances, Michel Sapin (G), et de l'Economie, Emmanuel Macron, quittent l'Elysée après le Conseil des ministres, le 27 août 2014. (BERTRAND GUAY / AFP)

Le ministre de l'Economie, tout juste nommé, a relancé un vif débat autour de cette réforme emblématique de la gauche.

Polémique éclair. A peine nommé à Bercy, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron est déjà recadré par Matignon. En cause : une déclaration publiée la veille par Le Point. Interviewé par l'hebdomadaire alors qu'il n'a pas encore été nommé, le jeune ministre imagine étendre à toutes les entreprises le droit de "déroger" aux 35 heures. Après une avalanche de réactions, les services de Manuel Valls démentent, jeudi 28 août, toute "intention de revenir sur la durée légale du travail".

Le débat houleux est récurrent, depuis l'entrée en vigueur de la réforme du temps de travail. Francetv info vous donne les clés pour tout comprendre.

1Vous pouvez me rappeler ce que c'est, les 35 heures ?

Les "lois Aubry", votées en 1998 et 2000, réduisent la durée légale du temps de travail salarié à 35 heures, contre 39 précédemment. Il ne s'agit pas d'une durée minimale ou maximale mais d'un seuil, au-delà duquel le salarié travaille en heures supplémentaires, davantage rémunérées. En échange de la réduction du temps de travail des salariés, les entreprises bénéficient d'allègements de charges. Les modalités d'application de la réforme sont déterminées par des négociations d’entreprise et de branche.

2On en est où aujourd'hui ?

A peine mise en place, la réforme des 35 heures a été vivement critiquée, y compris à gauche. Six mois après son entrée en vigueur, Laurent Fabius, alors ministre de l'Economie et des Finances, se disait déjà prêt à un assouplissement des 35 heures, rappelle Le Monde, afin d'aider les petites entreprises à appliquer la loi.

Depuis 2003, six lois ont assoupli ce dispositif. En 2007, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la loi travail, emploi, pouvoir d'achat (Tepa) prévoit la défiscalisation totale des heures supplémentaires. Une mesure annulée par le gouvernement socialiste en 2012. La loi d'août 2008 "portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail" prévoit qu'un accord d'entreprise ou de branche peut fixer le contingent des heures supplémentaires et les contreparties en repos pour les salariés.

En 2013 enfin, la loi sur la sécurisation de l'emploi permet à une entreprise, en cas de graves difficultés économiques conjoncturelles, d'aménager la durée du temps de travail, ses modalités d'organisation et de répartition ainsi que la rémunération des salariés. En contrepartie, l'employeur s'engage à maintenir les emplois et à ne pas baisser les salaires en dessous de 1,2 smic. C'est cette loi que le nouveau ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, voudrait étendre.

3Est-ce qu'elles ont atteint leur objectif ?

Presque quinze ans après son entrée en vigueur, il est quasiment impossible de tirer un bilan précis et objectif des 35 heures. Entre 1998 et 2002, la réduction du temps de travail a permis de créer "350 000 emplois, sans déséquilibre financier apparent pour les entreprises", selon l'Insee (PDF). C'est le seul point sur lequel tout le monde s'accorde. Sauf que les promoteurs de la loi visaient la création de 700 000 emplois. Un résultat inférieur donc de moitié à l’objectif affiché initialement. Par la suite, les nombreux aménagements empêchent de connaître les effets réels de la réforme, telle qu'elle avait été conçue.

Depuis, partisans et détracteurs s'écharpent sur les conséquences économiques de ce dispositif. La gauche revendique toujours plusieurs centaines de milliers d'emplois créés, une hausse du pouvoir d'achat grâce aux heures supplémentaires (rémunérées initialement à 125%), plus de temps libre accordé aux loisirs… La droite dénonce le coût des allègements de charges consentis aux entreprises et la baisse de la compétitivité.

4Pourquoi parle-t-on régulièrement de "sortir" des 35 heures ?

La suppression pure et simple des 35 heures est régulièrement évoquée, à l'UMP notamment. En janvier 2008, Nicolas Sarkozy répond à un journaliste qui lui demande s'il souhaite que cette année-là "soit la fin des 35 heures" : "Pour dire les choses comme je les pense, oui", répond-il.

Le principal reproche formulé contre la loi Aubry concerne la compétitivité. L'institut de conjoncture COE-Rexecode, proche du patronat, citée par Le Figaro, "voit les 35 heures comme une réforme 'uniforme et coûteuse, qui a limité les capacités d'adaptation des entreprises'. Donc comme une explication au problème de compétitivité de la France depuis le début des années 2000 et au décrochage de la France par rapport à l'Allemagne."

5Alors pourquoi on ne l'a jamais fait ?

Malgré les critiques récurrentes, la France n'est toujours pas "sortie" des 35 heures. La réforme a, en revanche, été "déverrouillée", "assouplie", à de multiples reprises. Car il n'est pas si simple d'effacer totalement une pareille mesure. Et ce, pour plusieurs raisons.

A cause des allègements de charges. Lorsqu'elle fustige le dispositif, la droite évoque un coût de 22 milliards d'euros par an. Un chiffre largement exagéré puisqu'il englobe le total des exonérations de charges accordées aux entreprises. Les estimations les plus précises avoisinent 12 milliards d'euros d'allègement dûs à la réduction du temps de travail. La fin des 35 heures signifierait, en toute logique, la fin des allègements de charges. Une économie non négligeable pour l'Etat mais un surcoût énorme pour les entreprises françaises, avec le risque de grever la compétitivité et de détruire des emplois. L'effet inverse à celui recherché...

A cause des RTT. Elles sont entrées dans les habitudes des Français et sont considérées comme un "acquis social" particulièrement symbolique. Elles peuvent par ailleurs peser aussi sur le bilan des entreprises et établissements publics : en 2002 avait été instauré un compte épargne temps (CET) destiné à capitaliser les RTT des salariés ne pouvant pas travailler effectivement 35 heures. Dans le public comme dans le privé, ces comptes sont plafonnés, mais payer aux salariés les RTT cumulées implique une trésorerie importante. Un véritable problème dans les hôpitaux notamment.

A cause des heures supplémentaires. Bien que refiscalisées depuis 2012, et moins rémunératrices dans certaines branches qu'au moment de l'instauration des lois Aubry, les heures supplémentaires améliorent le pouvoir d'achat de millions de salariés. Un retour hypothétique aux "39 heures payées 39", plus économiques pour les entreprises, porterait un coup au portefeuille des Français concernés.

6Les Français travaillent-ils vraiment moins que dans les autres pays ?

La comparaison avec les pays voisins, notamment l'Allemagne avec ses 40 heures légales, sert régulièrement d'argument contre les 35 heures. Mais encore une fois, il ne s'agit pas d'un plafond. En durée effective, les Français travaillaient 40,7 heures par semaine en 2013, contre 41,7 heures pour les Allemands, selon Eurostat, la moyenne des 28 pays de l'Union européenne se situant, elle, à 41,5 heures.

Il faut toutefois rappeler que la productivité française est l'une des plus performantes au monde, à un niveau légèrement supérieur à celui de l'Allemagne, selon les dernières données de l'OCDE.

7Si on supprime les 35 heures, mon salaire devrait augmenter, non ?

Ce n'est pas évident. Seuls les salariés travaillant effectivement 35 heures pourraient voir leur salaire augmenter, à condition de revenir à un système de "39 heures payées 39" et non "payées 35". Ceux qui les dépassent ne verront pas de différence et pourraient même voir leur salaire diminuer. En effet, dans ce cas-là, entre la 35e et la 39e, le travail ne serait plus compté en heures supplémentaires.

8Est-ce que Manuel Valls va vraiment supprimer les 35 heures ?

Non, il n'en est pas question. Mais le nouveau ministre de l'Economie, Emmanuel Macron, a provoqué des cris d'orfraie à gauche, en abordant le sujet au cours de son interview accordée au Point, avant sa nomination à Bercy. Le gouvernement "n'a pas l'intention de revenir sur la durée légale du travail à 35 heures", a tenu à préciser Matignon, jeudi 28 août.

Difficile en effet d'imaginer un retour quinze ans en arrière dans ce domaine. Nicolas Sarkozy lui-même s'était ravisé : "Je ne veux pas revenir sur un acquis social", avait-il déclaré en 2008. C'est ce qu'ont défendu les syndicats, après les déclarations d'Emmanuel Macron. Pour la gauche, il s'agit même d'une "mesure totem", explique le politologue Laurent Bouvet à 20 Minutes : "C'est la dernière grande mesure très symbolique de la gauche."

9J'ai eu la flemme de tout lire... Vous me faites un petit résumé ?

La réduction du temps de travail légal à 35 heures hebdomadaires, instaurée entre 1998 et 2000, a toujours été contestée. La gauche a concédé des assouplissements, la droite a évoqué sa suppression, mais sans jamais s'y atteler. Cette mesure coûteuse, et accusée de réduire la compétitivité française, est désormais un acquis social qu'il serait complexe de supprimer.

Après la nomination d'Emmanuel Macron au poste de ministre de l'Economie, le débat sur la suppression des 35 heures a ressurgi, brièvement, vite calmé par le gouvernement, qui n'a pas l'intention de revenir sur cette réforme emblématique pour la gauche.

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