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Affaire Delevoye : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a-t-elle "failli" ?

La HATVP assure que Jean-Paul Delevoye ne l'a informée de son cumul de fonctions rémunérées que mi-novembre. Mais le cas du haut-commissaire met en lumière les limites des contrôles effectués par cette instance.

Article rédigé par Benoît Zagdoun - Jean-Loup Adénor
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
L'ancien haut-commissaire chargé de la réforme des retraites, Jean-Paul Delevoye, le 18 décembre 2019 à Paris. (DOMINIQUE FAGET / AFP)

Jean-Paul Delevoye a été contraint de démissionner, après une semaine de révélations sur les activités qu'il avait omis de mentionner dans sa déclaration d'intérêts remise à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Le désormais ex-haut-commissaire aux retraites a admis avoir fait preuve d'une "légèreté coupable". Mais est-il le seul responsable ? 

Au micro de franceinfo, mardi 17 décembre, Aurore Bergé, porte-parole de La République en marche, s'est interrogée sur "la manière" dont la Haute Autorité travaillait. La députée a déclaré qu'elle souhaitait que l'instance "explique" aux parlementaires "ce qui a failli" dans l'affaire Delevoye. "Je m'étonne quand même que la Haute Autorité n'ait pas été capable de voir ce que les médias ont vu", a glissé l'élue de la majorité.

Une déclaration rendue "avec dix jours de retard"

Jean-Paul Delevoye est censé avoir fait une première déclaration d'intérêts à la Haute Autorité, dans la foulée de sa nomination au poste de haut-commissaire, en septembre 2017. Ce document ne concernant ni un membre du gouvernement, ni un élu local, national ou européen, il n'a pas été rendu public après sa remise à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, fin octobre 2017. Mais l'instance assure dans un communiqué que Jean-Paul Delevoye ne l'a "pas informée (...) d'un quelconque cumul d'activités" lorsqu'il était haut-commissaire.

Deux ans plus tard, début septembre, Jean-Paul Delevoye entre au gouvernement et se soumet à nouveau à cette obligation de déclaration. Le haut-commissaire remet sa déclaration d'intérêts deux mois et demi plus tard, mi-novembre, avec "plus de dix jours de retard" et "seulement après avoir été alerté par les services de la Haute Autorité", pointe l'instance. Celle-ci la rend publique (PDF) début décembre. Jean-Paul Delevoye y mentionne cette fois sa fonction problématique de président, depuis 2017, de Parallaxe, un think tank dépendant du groupe IGS, qui le rémunère plus de 5 000 euros par mois.

Le "monsieur retraites" du gouvernement est alors en violation de l'article 23 de la Constitution, qui interdit à tout ministre d'exercer simultanément une activité professionnelle. Il a pourtant "été avisé de la possibilité de bénéficier d'un conseil confidentiel sur toute question d'ordre déontologique", souligne la Haute Autorité. Une "possibilité dont il n'a pas fait usage".

Un "risque d'incompatibilité" détecté

La Haute Autorité assure qu'elle a joué son rôle. Elle a "entamé des investigations" sur le "contenu" de la déclaration, "dès [sa] réception". Elle a ensuite engagé "un dialogue confidentiel" avec Jean-Paul Delevoye ; ce qu'elle fait lorsqu'elle détecte un possible conflit d'intérêts. Et dans le même temps, elle a mis en ligne la déclaration du haut-commissaire aux retraites. L'instance ajoute qu'elle "s'apprêtait à l'alerter" sur ce "risque d'incompatibilité", après "l'examen de sa situation par le collège" de l'instance.

Reste que ce collège, qui se réunit une à deux fois par mois, d'après l'agenda de l'organisation, n'a examiné le cas Delevoye que lors de sa réunion du 18 décembre, soit deux jours après sa démission. Quant aux huit autres mandats que Jean-Paul Delevoye a fini par reconnaître dans une nouvelle déclaration d'intérêts, remise le 13 décembre, la Haute Autorité explique qu'elle n'a pas les pouvoirs d'enquête suffisants pour les mettre au jour.

Seule une enquête menée par des services de police judiciaire est de nature à s'assurer du caractère exhaustif de la liste des mandats omis, tout comme de la nature de ces multiples fonctions dirigeantes exercées durant ses fonctions de membre du gouvernement.

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

dans un communiqué

Pour Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l'université Aix-Marseille et directeur scientifique de l'Observatoire de l'éthique publique, "la Haute Autorité a un peu failli" en ne signalant pas immédiatement à Jean-Paul Delevoye qu'il violait la Constitution, dès la réception de sa déclaration d'intérêts. Pour lui, l'affaire révèle en outre les limites de la Haute Autorité. "La HATVP ne contrôle que ce qui est déclaré et pas si la déclaration est exhaustive, alors que c'est pourtant ce que lui demande la loi de 2013" sur la transparence de la vie publique, déplore-t-il. Le règlement de l'instance est en effet formel : il lui incombe de vérifier "le caractère exhaustif, exact et sincère des autres déclarations qui lui sont adressées".

Un "petit contrôle" de la Haute Autorité

"Le cœur de métier de la HATVP, ce n'est pas le contrôle des fonctionnaires et des emplois à la discrétion du gouvernement, mais plutôt celui des politiques et leurs entourages, notamment les conseillers ministériels, parce qu'il y a beaucoup d'allers-retours, de pantouflage dans les cabinets ministériels", poursuit Jean-François Kerléo. Sans compter, pointe l'expert, que "les déclarations d'intérêts sont sans doute plus difficiles à contrôler que les déclarations de patrimoine, pour lesquelles la Haute Autorité peut demander à l'administration fiscale de lui fournir des documents, et les contrôles sont sans doute moins poussés". Et de suggérer :

Il faudrait permettre à la Haute Autorité de contrôler un noyau dur de principes, à commencer par le respect de l'article 23 de la Constitution, avant la mise en ligne des déclarations.

Jean-François Kerléo

à franceinfo

"La HATVP fait un petit contrôle à la nomination, elle vérifie que les obligations de déclaration ont été remplies, mais il n'y a pas de pré-déclaration validée", confirme Jean-Christophe Picard, président de l'association Anticor, pour qui néanmoins la Haute Autorité "fonctionne bien". Pour preuve, note-t-il, elle a transmis le dossier Delevoye au procureur, qui a décidé d'ouvrir une enquête préliminaire. Mais "c'est aux responsables politiques avant tout qu'il appartient de remplir méticuleusement leurs déclarations d'intérêts", insiste Elsa Foucraut, responsable du plaidoyer à Transparency France.

Pas les "moyens suffisants"

"Si une déclaration est incomplète, comment voulez-vous que la HATVP s'en rende compte ? On n'est pas dans un Etat policier. On ne peut pas mettre une armada derrière tous les hauts fonctionnaires pour vérifier leurs déclarations. C'est aussi à ça que sert la déclaration, à ce que des tiers puissent faire remonter des oublis ou des erreurs. La déclaration permet à tout citoyen d'aider la Haute Autorité", argumente Marc-André Feffer, président de Transparency France.

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique publie les déclarations de patrimoine et d'intérêts quasi automatiquement. Le contrôle repose sur la société civile, les citoyens.

Elsa Foucraut

à franceinfo

"On attend les conclusions du parquet pour avoir des éclaircissements", commente encore Elsa Foucraut, mettant cependant en garde contre la tentation d'attaquer la Haute Autorité. "Aujourd'hui, la Haute Autorité est prise pour acquis, mais cela ne fait que six ans qu'elle existe. En six ans, on a beaucoup progressé. Désormais, la question des conflits d'intérêts intéresse les citoyens et entre dans le débat public. C'est grâce à la Haute Autorité qu'on a ce débat aujourd'hui", plaide-t-elle. Elle reconnaît toutefois que l'affaire Delevoye "pose la question de ce qu'on attend de la Haute Autorité et des moyens qui lui sont alloués". "La Haute Autorité contrôle tout de même plus de 15 000 responsables politiques", chiffre-t-elle. 

On peut accabler la Haute Autorité, mais il faut bien reconnaître qu'elle n'a pas les moyens suffisants pour effectuer les contrôles de la masse colossale de déclarations qu'elle reçoit.

Jean-François Kerléo

à franceinfo

René Dosière, président de l'Observatoire de l'éthique publique, juge "un peu invraisemblable" que la Constitution ait ainsi été bafouée et en conclut qu'"il y a là comme un défaut" de l'Etat. L'ancien député socialiste rappelle que sa structure "a proposé, déjà au moment de l'affaire de Rugy, que le gouvernement dispose d'un déontologue qui soit capable d'informer les ministres et de les conseiller sur les nouvelles obligations déontologiques. Manifestement, ces obligations ne sont pas encore passées dans la culture gouvernementale."

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