"C'était le moment de revenir à mes amours littéraires" : à son procès, Penelope Fillon tente de justifier son emploi à la "Revue des deux mondes"
Penelope Fillon occupait un poste de "conseillère littéraire" à la "Revue des deux mondes" de Marc Ladreit de Lacharrière, un ami de son mari, en 2012 et 2013. Le tribunal s'est évertué, jeudi, à comprendre ses missions.
Penelope Fillon n'était pas seulement assistante parlementaire. Entre mai 2012 et décembre 2013, elle cumulait cet emploi avec celui de conseillère littéraire pour la Revue des deux mondes. Fondée en 1829, cette publication périodique est détenue par Marc Ladreit de Lacharrière, président de la holding Fimalac. Mais c'est aussi, et surtout, un ami de longue date de François Fillon. Les magistrats instructeurs y ont vu un emploi "de pure complaisance", "destiné à fournir une rémunération" à Penelope Fillon. C'est la raison pour laquelle ils ont renvoyé le couple devant le tribunal correctionnel de Paris pour "recel d'abus de biens sociaux". Considéré comme "l'instigateur de cet emploi fictif", François Fillon est également jugé pour "complicité d'abus de biens sociaux" dans ce volet du dossier examiné jeudi 5 mars.
Le milliardaire, lui, n'est pas renvoyé devant le tribunal correctionnel : il a choisi la procédure du plaider-coupable après avoir admis "que Penelope Fillon n'avait en réalité rien produit". Il a été condamné en décembre 2018 à huit mois de prison avec sursis et 375 000 euros d'amende pour "abus de biens sociaux". Le montant des abus liés à cet emploi est évalué à 135 000 euros par Marc Ladreit de Lacharrière lui-même.
"Un salaire généreux"
"François savait que je voulais faire autre chose, donc il en a parlé à Marc de Lacharrière", explique Penelope Fillon. Cette fois, la Galloise est seule à la barre. Son mari a beau trépigner d'impatience sur le banc des prévenus, la présidente du tribunal, Nathalie Gavarino, lui intime d'attendre son tour. Elle revient sur le contexte dans lequel Penelope Fillon a été recrutée. Nous sommes début mai 2012, dans l'entre-deux-tours de la présidentielle. François Fillon prépare ses cartons : il est sur le point de quitter Matignon. Sa femme n'a pas, à cette époque, "d'occupation officielle". "J'avais repris des études de littérature anglaise, que je faisais à mon rythme", dévoile-t-elle.
Je me suis dit que c'était le moment de faire autre chose, de revenir un peu à mes amours littéraires.
Penelope Fillonà l'audience
Le contrat est établi à son nom de jeune fille "par discrétion" et pour éviter de "gêner" son mari. Sur proposition de Marc Ladreit de Lacharrière, elle est rémunérée 5 000 euros brut par mois, soit 3 950 euros net environ. "C'était un salaire généreux", reconnaît-elle à l'audience.
"Je travaillais le soir, ou très tôt le matin"
En quoi consistait ce rôle de conseillère littéraire ? "Marc de Lacharrière cherchait à augmenter les ventes et pour ça, il voulait du changement", explique Penelope Fillon, qui met en avant "l'apport" de "son regard étranger". "Je ne faisais pas du tout partie du monde intellectuel parisien, j'étais libre de dire ce que je pensais", complète-t-elle. Ils se retrouvent en tête-à-tête, "environ une heure par mois". Penelope Fillon parle de "cinq, six, sept réunions, pas plus". Aucune trace écrite ne subsiste de ces échanges. "Cela lui suffisait d'avoir entendu ce que j'avais à dire", assure la sexagénaire. Les rendez-vous s'espacent, puis cessent rapidement. Elle n'ose pas le déranger. "Je me suis dit qu'il était très occupé."
Penelope Fillon l'est tout autant. Car le 20 juin 2012, son mari est élu député de Paris. Elle reprend alors son poste de collaboratrice parlementaire. Comment pouvait-elle gérer ces deux emplois à temps plein ? "Je travaillais le soir, ou très tôt le matin, ou bien le week-end. C'était très variable, je pouvais m'organiser comme je voulais pour faire le travail", précise Penelope Fillon, plus à l'aise au fil des audiences. Mais la présidente du tribunal ne lâche pas la prévenue. Avec douceur, mais d'un ton ferme, elle insiste sur ce rôle de conseillère littéraire. Et parvient à la mettre une nouvelle fois en grande difficulté.
"Vous dites que la revue ne correspond plus aux attentes des lecteurs, comment arrivez-vous à cette conclusion ?
- C'était d'essayer d'intéresser une plus grande section de la population.
- Mais ça, c'est lui qui vous le dit.
- C'est ce que j'ai compris.
- Mais je vous demande quel raisonnement vous permet d'arriver à cette conclusion… Quand vous dites 'ça ne correspond plus à l'attente des lecteurs'… Quand on dit cela, il faut les questionner, faire une analyse…
- C'est le fait qu'ils perdaient des lecteurs, donc les lecteurs devaient attendre autre chose de la revue."
"Reconnaissante qu'il m'ait trouvé du travail"
Penelope Fillon a une autre mission pour la Revue des deux mondes : rédiger des notes de lecture. Elle les signe sous le pseudonyme Pauline Camille, qu'elle a choisi. Cet aspect du poste n'est pas mentionné dans le contrat, mais Penelope Fillon affirme que l'ami de son mari lui en a parlé dès le début. "C'est Marc de Lacharrière qui a choisi l'intitulé du travail, je ne me suis pas interrogée plus que ça. Quand j'ai vu que c'était conseiller littéraire, je pensais que c'était compris dedans", détaille-t-elle au procureur financier Aurélien Létocart, qui l'interroge sur ce point.
Concrètement, Penelope Fillon recevait des livres chez elle et prenait des notes pendant sa lecture. De ce travail-là, il reste des "traces", projetées à l'audience. Des feuilles manuscrites, reliées, et "tout un tas de petites fiches" apparaissent en gros plan sur le grand écran blanc installé derrière le tribunal. Au total, elle a réalisé onze fiches. Deux seulement ont été publiées. "Personne ne m'a expliqué pourquoi, regrette-t-elle. J'aurais aimé avoir un retour, mais je ne voulais pas avoir des exigences", justifie-t-elle, en déclarant qu'elle n'a pas "osé" contacter Marc de Lacharrière. "J'ai négligé de faire ça, j'étais reconnaissante qu'il m'ait trouvé du travail", ajoute-t-elle. Elle ressent aussi une certaine "hostilité" à son égard dans l'entreprise.
"Des salariés placardisés, il y en a partout !"
Penelope Fillon met fin à son contrat en décembre 2013. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ? "Je regrette de ne pas avoir manifesté ce sentiment plus tôt, c'est une erreur de ma part, reconnaît-elle aujourd'hui. J'ai repoussé jusqu'à ce que je comprenne que ce n'était plus la peine de continuer."
Interrogé en fin d'après-midi, François Fillon s'agace de voir sa femme pressée de questions sur cet emploi. "Est-ce que vous connaissez beaucoup de salariés à qui on reproche d'attendre six mois de n'avoir plus de travail ? Des salariés placardisés, il y en a partout ! déclame-t-il. Il y en a beaucoup dans les entreprises françaises, et peut-être encore plus dans les administrations." Et de conclure : "Chacun comprend bien que si Penelope n'était pas mon épouse, elle ne serait pas poursuivie, elle n'aurait pas à répondre à une seule de ces questions."
Mais les questions vont continuer. Lundi, le tribunal examinera le prêt avantageux que François Fillon avait omis de déclarer à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
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