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Affaire Fillon : "Il faut purger de tout soupçon" la relation entre le PNF et le parquet général, affirme le magistrat Denis Salas

"Quand il y a un homme politique qui est impliqué dans une affaire politico-financière, il est évident qu'il y a une fébrilité générale", a réagi sur franceinfo le magistrat suite aux révélations sur l'affaire Fillon.

Article rédigé par franceinfo
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François Fillon au palais de Justice de Paris lors de leur procès pour des soupçons d'emploi fictif, le 27 février 2020. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Emmanuel Macron a demandé vendredi 19 juin au Conseil supérieur de la magistrature de vérifier que le parquet national financier (PNF) a bien mené, et "sans pression" de l'exécutif, son enquête sur les époux Fillon pendant la campagne présidentielle de 2017. Le chef de l'Etat est intervenu après les déclarations de l'ancienne cheffe du parquet national financier (PNF), Eliane Houlette aujourd'hui à la retraite. Interrogée par la commission d'enquête parlementaire, elle a dit avoir mené une enquête sous la "pression" du parquet général, son autorité de tutelle, dans la conduite de ses investigations.

"Dans l'immense majorité des affaires, ce problème ne se pose pas", a souligné samedi 20 juin sur franceinfo Denis Salas, magistrat et essayiste. "Mais quand il y a un homme politique qui est impliqué dans une affaire politico-financière, il est évident qu'il y a une fébrilité générale." Denis Salas prône une réforme "pour purger de tout soupçon" la relation entre le PNF et le parquet général.

franceinfo : est-ce qu'il y a un problème d'indépendance de la justice dans cette affaire ?

Denis Salas : il y a surtout une mutation profonde du parquet. C'est un vieux système hiérarchique napoléonien qui était à l'origine fait pour relayer les impulsions du pouvoir politique dans la magistrature. Mais évidemment, depuis cette époque, les choses ont profondément évolué, en particulier avec la loi Taubira du 25 juillet 2013, qui a supprimé les instructions individuelles que le gouvernement peut adresser aux procureurs et qui a posé un principe d'impartialité du parquet. C'est déjà une réforme considérable. Et de ce point de vue-là, il faut distinguer deux choses. La loi Taubira a clarifié les relations entre le parquet et l'exécutif, ce qu'on peut appeler l'indépendance externe. Mais il y a l'indépendance interne au sein de la hiérarchie du parquet, entre le PNF en l'occurrence, en première instance, et son supérieur hiérarchique, le parquet général au niveau de la Cour d'appel, qui garde ce pouvoir hiérarchique à son égard. Et c'est cet aspect d''indépendance interne, qui n'a pas été suffisamment clarifié par la loi, qui aujourd'hui pose problème et a été au cœur des déclarations de madame Houlette.

A quel point le procureur général peut demander des précisions au parquet national financier dans une affaire ?

C'est toute la question. Le parquet lui-même, le PNF en l'occurrence, comme tout parquet, peut, seul, déclencher des poursuites. C'est un pouvoir redoutable, un pouvoir d'accuser. Mais le procureur général, son supérieur hiérarchique, peut lui demander à tout moment des informations, peut le convoquer, peut provoquer des réunions. Tout cela, a dit madame Houlette, est accéléré par le numérique. C'est ce qu'elle appelle des pressions dont elle a été l'objet qui fait qu'effectivement, elle a senti tout le poids de la hiérarchie au cœur de son enquête et qui a déstabilisé son travail et ne lui a pas permis d'enquêter de manière sereine.

Parce que d'habitude, ce n'est pas comme ça ?

Dans l'immense majorité des affaires, ce problème ne se pose pas. Mais quand il y a un homme politique qui est impliqué dans une affaire politico-financière, il est évident qu'il y a une fébrilité générale qui s'empare de la juridiction et qui fait une pression forte pour obtenir des informations dans le registre de compétence du parquet lui-même. La question, elle est là. Ces relations entre le parquet de première instance, le PNF en l'occurrence, et le parquet général n'ont pas été clarifiées.

C'est ce qu'il faut réformer ?

La déclaration de madame Houlette va provoquer deux choses. D'une part, du côté du Conseil supérieur de la magistrature, une réflexion sur cette question de l'indépendance interne entre parquet et parquet général. Il faudra peut-être aussi que la loi s'en empare et qu'on fixe les cas dans lesquels les informations peuvent être données et quelles informations. Il est évident que quand ce sont des notes très précises sur des procès-verbaux d'audition, c'est pratiquement des pièces que l'on communique à la hiérarchie qui peuvent être utilisées par le politique. Et donc le soupçon peut être introduit. Donc, il faudrait absolument que la réforme, en fixant les cas dans lesquels ces informations peuvent être données, puissent purger cette relation de tout soupçon, de toute éventualité de soupçon qui peut surgir.

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