Procès des assistants parlementaires européens du MoDem : qu'est-il reproché à François Bayrou ?
François Bayrou va faire face aux questions du tribunal. Le maire de Pau et haut-commissaire au Plan, âgé de 72 ans, est interrogé mardi 7 novembre devant la 11e chambre correctionnelle de Paris, où il est jugé en qualité de président de l'UDF, puis du MoDem, pour complicité par instigation de détournements de fonds publics, entre 2005 et 2017. Dans cette affaire, deux juges ont mis au jour, au terme de six années d'instruction, un "mécanisme frauduleux", sur la base de témoignages d'anciens salariés du MoDem, de documents des instances européennes, de courriels et de notes découverts au cours de perquisitions. "Des assistants parlementaires ont travaillé au profit du parti centriste alors qu'ils étaient rémunérés par le Parlement européen", résument les deux magistrates dans leur ordonnance de renvoi, consultée par franceinfo.
Les investigations révèlent que certains salariés du MoDem se sont vu proposer deux contrats à temps partiel : l'un pour le parti, l'autre en qualité d'assistant parlementaire pour un eurodéputé affilié à la formation politique centriste. "La mise en œuvre de ce mécanisme a abouti à ce que certains assistants ne travaillent pas du tout pour leur député et exclusivement pour le parti", démontrent les deux juges d'instruction dans leur ordonnance de renvoi. Une solution créée pour "compenser", car "le parti n'avait plus les moyens de les embaucher à temps plein", relèvent les magistrates. "L'UDF puis le MoDem a pu profiter d'une force de travail qu'il ne rémunérait pas", estiment-elles.
Il est soupçonné d'être "le décideur" du système
Quel rôle François Bayrou a-t-il tenu au sein de ce système "frauduleux" ? Pour les juges d'instruction, il "apparaît comme le décideur et le responsable". C'est lui qui a, "en premier lieu", "mis en œuvre" ce "mécanisme". Alors que les parlementaires européens sont considérés comme "les auteurs principaux de l'infraction de détournements de fonds publics", le président du MoDem se rend, de son côté, "complice des détournements" en "mettant en place les rouages nécessaires", considèrent les deux magistrates.
"En présence d'un tel système mis en place et organisé au sein des partis, M. Bayrou a nécessairement joué un rôle central dans celui-ci."
Les juges d'instructiondans leur ordonnance de renvoi
A leurs yeux, parce qu'il est la "figure" et le "représentant" de sa formation politique, François Bayrou possède un "statut" qui lui permet de décider "des grandes orientations". "Le trésorier présentait les comptes et le président avait un regard décisionnel sur les choix et les comptes du parti", écrivent notamment les magistrates.
Selon elles, ce système de rémunérations avait pour objectif de "répondre" aux "difficultés budgétaires" du MoDem, "celui-ci n'étant plus en mesure" de payer ses salariés. "Des difficultés financières liées aux mauvais résultats" obtenus lors de différents scrutins en France, notamment les législatives de 2007 et 2012, qui ont amoindri les subventions du parti centriste.
Les juges ont évalué le préjudice du Parlement européen, partie civile au procès, à 348 756 euros. L'institution retient, elle, le chiffre de 293 000 euros, dont 88 000 ont déjà été remboursés dans le cadre de la saisine du tribunal, selon l'AFP. Pierre Cornut-Gentille, l'un des deux avocats de François Bayrou, évoque pour sa part dans Libération la somme 262 034 euros, concernant "4,5% des assistants parlementaires (6 sur 131 au cours des trois législatures visées) et 0,5% des charges du MoDem".
"Pas un seul euro d'enrichissement personnel"
S'il est difficile d'évaluer avec précision le montant du préjudice, il est toutefois clair que cette somme a seulement servi à l'UDF et au MoDem. Les deux partis "apparaissent ainsi comme les uniques bénéficiaires des détournements de fonds", selon les magistrates, qui écrivent noir sur blanc que l'enquête n'a "pas mis en lumière d'enrichissement personnel des députés ou des cadres du parti".
Des arguments que François Bayrou reprend à son compte pour sa défense. "C'est un dossier dans lequel des juges d'instruction écrivent qu'il n'y a jamais eu le moindre emploi fictif et qu'il n'y a pas eu un seul euro d'enrichissement personnel", a déclaré le maire de Pau le 10 octobre dans une interview accordée à La République des Pyrénées , quelques jours avant l'ouverture du procès. Pour le président du MoDem, qui avait démissionné de son poste de ministre de la Justice à la suite de la révélation de l'affaire au printemps 2017, "les accusations sont infondées". "La justice a déjà montré que, pour l'essentiel, ce n'était pas vrai. Et je crois qu'au cours du procès, nous pourrons faire triompher toute la vérité", a-t-il assuré.
"Je n'ai jamais, pas une seule fois, et nous n'avons jamais comme responsables, comme parti, participé au moindre détournement."
François Bayrouà "La République des Pyrénées"
A la veille de l'ouverture du procès, le haut-commissaire au Plan s'était dit "blessé" et victime, selon lui, d'une "machination politique" . Il avait également confié à franceinfo qu'il aurait une pensée particulière pour Marielle de Sarnez, numéro 2 du parti centriste pendant plusieurs années. L'ancienne députée européenne, que François Bayrou a présentée comme son "alter ego" devant les juges, est morte d'une leucémie en janvier 2021. Les poursuites à son encontre sont donc éteintes, alors qu'elle avait été mise en examen en 2019 pour détournement de fonds publics.
Dix ans de prison et d'inéligibilité encourus
Néanmoins, François Bayrou n'est pas seul sur le banc des prévenus. A ses côtés, comparaissent jusqu'au 15 novembre Michel Mercier, longtemps trésorier du MoDem et également ancien garde des Sceaux, cinq anciens eurodéputés, dont Jean-Luc Bennahmias, trois cadres et un assistant parlementaire de l'époque, ainsi que l'UDF et le MoDem en tant que personnes morales.
Dans cette affaire, François Bayrou encourt dix ans d'emprisonnement, un million d'euros d'amende et dix ans d'inéligibilité. Pour l'instant, le président du MoDem a assisté à l'intégralité de l'audience depuis le 16 octobre. "Il constate que les débats se déroulent très bien", a commenté son entourage auprès de franceinfo, quelques jours avant son interrogatoire. "Il continue de contester l'existence d'un quelconque système."
Depuis le premier jour du procès, où il est apparu souriant et confiant, François Bayrou ne s'est pas exprimé publiquement. Nul doute que ses réponses aux questions du tribunal, très attendues, seront donc scrutées avec attention.
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