Procès d'Eric Dupond-Moretti : comment le ministre de la Justice a été relaxé en l'absence d'"élément intentionnel" caractérisant la prise illégale d'intérêts

Au terme d'un procès inédit, la Cour de justice de la République (CJR) a déclaré non coupable le garde des Sceaux, soupçonné d'avoir profité de son poste pour régler ses comptes avec quatre magistrats qu'il avait critiqués du temps où il était avocat.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, après l'annonce de sa relaxe par la Cour de justice de la République, au palais de justice de Paris, le 29 novembre 2023. (ALAIN JOCARD / AFP)

Il est déclaré non coupable. Jugé pour prise illégale d'intérêts devant la Cour de justice de la République (CJR), Eric Dupond-Moretti a été relaxé, mercredi 29 novembre. Certes, la cour estime que le ministre de la Justice était dans une "situation objective" de conflit d'intérêts dans les deux affaires pour lesquelles il était renvoyé, et que "l'élément matériel" du délit "apparaît établi". Cependant, elle considère que "l'élément intentionnel" n'est pas caractérisé. "Ces infractions ne sont pas constituées à l'encontre de M. Dupond-Moretti, qui dès lors, doit être relaxé", conclut la CJR dans sa décision.

La cour, composée de trois magistrats professionnels et de 12 parlementaires issus de la majorité et de l'opposition, n'a donc pas suivi les réquisitions de l'accusation. Le ministère public avait réclamé, le 15 novembre, la condamnation d'Eric Dupond-Moretti à un an de prison avec sursis, après avoir estimé qu'il n'avait pas "voulu entendre les alertes". "En ouvrant ces enquêtes, il a franchi un pas qu'il n'aurait jamais dû franchir", avait déclaré le procureur général près la Cour de cassation, Rémy Heitz. Il était reproché à Eric Dupond-Moretti, dans deux affaires distinctes, d'avoir usé de sa fonction de ministre de la Justice pour ouvrir des enquêtes administratives sur quatre magistrats qu'il avait publiquement critiqués lorsqu'il était avocat. Désormais, le ministère public a cinq jours, soit jusqu'à mardi, pour se pourvoir en cassation. Selon une source proche du dossier, il étudie en détail le jugement avant de prendre sa décision.

Pas de "désir de revanche"

Avant d'annoncer la décision, le président de la CJR a fait durer le suspense. Dominique Pauthe a d'abord pris soin de rappeler, en détails, la définition du délit de "prise illégale d'intérêts", ainsi que la différence avec le conflit d'intérêts. D'une voix monocorde, sans marquer de pause, il a également développé les raisons pour lesquelles la cour a considéré que "l'élément matériel des délits de prise illégale d'intérêts" était "établi". "L'intérêt pris par M. Dupond-Moretti, en décidant, en sa qualité de garde des Sceaux, de saisir l'IGJ (Inspection générale de la Justice) aux fins d'enquêtes administratives" concernant les quatre magistrats, est "de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité".

En revanche, si la relaxe est décidée, c'est que dans le même temps, la CJR considère qu'Eric Dupond-Moretti n'avait pas "la conscience suffisante" de s'exposer "à la commission d'une prise illégale d'intérêts en ordonnant les enquêtes administratives litigieuses".

La cour souligne, pour motiver ce jugement, que "la connaissance de l'existence de situations objectives de conflit d'intérêts par les différentes autorités", qui se devaient de conseiller le ministre de la Justice, ne suffisent pas à établir que celui-ci avait conscience de commettre un délit de prise illégale d'intérêts. Il "n'est pas établi", a aussi estimé la CJR, que le ministre ait "été alerté d'un tel risque" avant d'ordonner ces enquêtes. La cour n'a pas davantage constaté chez Eric Dupond-Moretti la recherche de "la satisfaction d'un désir de revanche".

"L'innocence d'Eric Dupond-Moretti est consacrée"

Pendant la lecture de la décision, d'une vingtaine de minutes, Eric Dupond-Moretti est resté debout à la barre, droit comme un i, les mains derrière le dos et le regard grave. Dans une attitude très solennelle, le ministre a pris acte de la décision en hochant la tête. Puis, il est sorti de la salle d'audience sans s'exprimer face à une nuée de journalistes. Son avocate a pris la parole, pour faire part de sa satisfaction. "C'est ce qu'on espérait, c'est ce que le droit dictait. Au terme de ces deux semaines de débat, l'innocence d'Eric Dupond-Moretti a été démontrée, et elle a été aujourd'hui consacrée", s'est félicitée Jacqueline Laffont.

"C'est la victoire du droit (…) et aussi, dans un sens, la victoire de la séparation des pouvoirs."

Jacqueline Laffont, avocate d'Eric Dupond-Moretti

face aux journalistes

De son côté, l'avocat de l'Union syndicale de la magistrature et du Syndicat des magistrats, les deux représentations de la corporation à l'origine de la plainte pour prise illégale d'intérêts en décembre 2020, n'a pas souhaité commenter la décision. "Aujourd'hui, le conflit d'intérêts est reconnu. La CJR a décidé qu'Eric Dupond-Moretti n'avait pas conscience de cette infraction et a donc décidé de le relaxer, a réagi Christophe Clerc. Je respecte la décision."

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