"Tant que ça respecte la fonction présidentielle…" Au Touquet, Macron est partout (même dans une boule à neige)
C'est dans cette ville du Pas-de-Calais que le chef de l’État a une résidence secondaire. Des commerçants en profitent. Mais l'office du tourisme guette. A l'occasion du premier anniversaire de l'investiture d'Emmanuel Macron, franceinfo s'est rendu sur place.
De retour du marché, les carottes débordant du cabas, une vieille dame passe une tête dans la boutique. Dix secondes plus tard, la voilà qui part dans un rire nerveux. La boule à neige Emmanuel Macron est posée en vitrine, coincée entre un briquet, une casquette et un mug. A l'intérieur, le chef de l’Etat affiche un grand sourire, dents blanches impeccables et costume-cravate au sec malgré la (fausse) neige qui ne cesse de lui tomber dessus, en ce jour d'avril. En bon commerçant, Jean-Marc Monteuuis fait le test en direct, et agite l’objet présidentiel de haut en bas. "Vous avez vu, c’est bizarre de secouer notre chef de l’Etat !" rigole le gérant, pas peu fier de son dernier coup.
En quelques semaines, son magasin, situé en plein centre-ville du Touquet (Pas-de-Calais), est devenu le passage obligé des touristes. Et sa boule à neige est l’objet qu'on rapporte chez soi après un séjour sur la Côte d'Opale. Depuis son lancement en fin d’année dernière, il en a déjà vendu 500. "Mon magasin se trouve à une centaine de mètres de la fameuse villa des époux Macron, comment voulez-vous que ça ne me donne pas d'idées..." raconte à franceinfo le quinquagénaire aux petites lunettes rondes, impatient de célébrer le premier anniversaire du président de la République à l'Elysée, investi le 14 mai 2017 : "L'occasion de faire des ventes intéressantes".
Je voulais quelque chose de respectueux avec l’image du président. Je ne me serais pas permis de faire quelque chose qui aille à son encontre.
Jean-Marc Monteuuis, gérant de la boutique Autre choseà franceinfo
Pour "un ami de gauche"
Monsieur a eu du flair. Car lorsque le couple présidentiel débarque en week-end, "c’est jackpot, sourit-il. J’en écoule deux fois plus." A l’heure de pointe, entre la promenade sur la plage et le thé en terrasse, sa boutique du 77, rue Saint-Jean a des allures de petite France où pro et anti-Macron se chamaillent… avant de repartir la boule à neige sous le bras. Il y a cette jeune femme "fan de notre président depuis le début", cette mère de famille qui l’a achetée pour décorer sa cheminée, ce monsieur qui va l’offrir à "un ami de gauche". Sans rire, Jean-Marc Monteuuis assure en avoir déjà vendu à des électeurs de droite.
Coupe-vent rouge sur le dos, ce touriste n’en prendra pas. "Je ne veux même pas toucher ce truc", grommelle-t-il dans sa moustache fournie. "On est en démocratie", peste-t-il, avant de tourner les talons. Le commerçant le sait, son objet ne peut pas plaire à tout le monde. Il y aussi Claude et Lucette, de Valenciennes, qui ont failli s'étouffer en voyant le prix : 10 euros pièce. Jean-Marc Monteuuis s'en sort par une pirouette : "C’est parce que c’est du made in France. On n’a quand même pas osé le made in China."
Quand on me demande le tarif, je plaisante toujours. Je fais croire que c'est 10 euros si on a voté pour lui, sinon c’est 15 !
Jean-Marc Monteuuis, gérant de la boutique Autre choseà franceinfo
Pendant un moment de creux, le commerçant reconnaît être "un peu" dépassé par son succès. Il n'imaginait pas que sa boule à neige passe les fêtes de fin d'année. Tout faux : il doit faire des réassorts régulièrement. Il faut dire que des entreprises lui passent commande de plusieurs dizaines d'exemplaires pour des cadeaux destinés aux salariés. Et ce mini Emmanuel Macron a déjà traversé les frontières. Des Belges, des Russes et des Américains sont venus faire leurs emplettes. A force, Jean-Marc Monteuuis se prend à rêver de voir un jour son bibelot trôner à l’Elysée. "Des gens dans l’entourage du président sont venus m’en prendre, explique-t-il. Ça m'amuserait de connaître son avis."
En revanche, inutile de chercher sa boule à neige à la mairie du Touquet. La maire, Lilyane Lussignol, a beau les collectionner – elle en possède 62, selon nos informations –, celle du chef de l'Etat ne figure pas encore dans un bureau. Une question de place ? Pas vraiment, souffle un employé municipal. Plutôt de positionnement politique : l'élue est membre des Républicains.
Des pulls et des tee-shirts Macron
Avec un vocabulaire tout droit sorti d’une école de commerce, Jean-Marc Monteuuis assure s’être adapté à son "environnement de travail". En clair, il profite de la venue régulière du président et de son épouse pour développer son affaire. Dans les rayons, vous tomberez aussi sur le carnet de notes Macron (trois modèles différents), sur la carte postale Macron et sur le faire-part Macron.
Dans la station balnéaire, Jean-Marc Monteuuis n'est pas le seul à surfer sur l'image du chef de l'Etat. A trois pas d’ici, juste à côté de la fameuse villa du couple Macron, impossible de rater le sweat (80 euros) et le tee-shirt (39 euros) floqués "Le Touquet City of President", positionnés à l’entrée de la boutique de vêtements Cape Cod. Son gérant, Fabrice Cassez, en a vendu 800 depuis la présidentielle. "Cet été, un bus de Chinois a débarqué, j’ai vendu une vingtaine de tee-shirts d’un coup", savoure le commerçant. Emmanuel et Brigitte Macron aussi ont chacun le leur. Cadeau de la maison. Il faut dire que les murs de l'enseigne appartiennent… à la première dame. "C'est vrai que je verse un loyer à Brigitte chaque mois pour louer ces 70 m2", sourit le responsable du magasin.
J’avais demandé à Brigitte qu’elle dise à Manu de mettre le tee-shirt pour aller jouer au tennis, mais il ne l'a pas fait.
Fabrice Cassez, responsable de la boutique Cape Codà franceinfo
Lui aussi voit passer des clients de tous bords politiques. "Un lundi matin, une cliente est venue en tenue de golfeuse à l’ouverture, se marre-t-il. Elle me dit : 'monsieur, il me faut absolument le tee-shirt car je m’en vais jouer contre deux amies fillonistes !'"
Au bureau de tabac La Civette, rue de Paris, Hugues De Borggraeve a, lui, opté pour la médaille souvenir à 2 euros pièce. Un "marketing présidentiel" que certains commerçants voient d'un mauvais œil. Cette chocolatière n'a pas pu s'empêcher de faire les gros yeux à ce client qui lui a suggéré de vendre "un macaron Macron", "juste pour le jeu de mots".
Pas de "slip Macron"
Malgré les propositions "parfois farfelues" de ses fournisseurs, Jean-Marc Monteuuis connaît les limites à ne pas dépasser. "Ce n'est pas demain que je proposerai un slip Macron. J'ai même refusé de vendre une tirelire Macron, j'avais peur que ce soit mal interprété. Tant que ça respecte la fonction présidentielle, c'est bon." A l'avenir, il se contentera des classiques mugs, porte-clés et stylos.
Depuis son bureau de l'office du tourisme, Jean-David Hestin surveille de près toutes ces initiatives des commerçants. Normalement, "on n'a pas notre mot à dire, explique le directeur à franceinfo. Mais si d’aventure on constatait qu’un commerçant allait trop loin, on irait lui faire une remarque." En clair, hors de question que cela devienne "du grand n'importe quoi". On a quand même vérifié : au 87, rue Saint-Jean, le coiffeur assure que personne ne lui a encore demandé la coupe du président, ni celle de son épouse. Et sur le marché, la dame qui vend des savons ne propose pas (encore) de poudre de perlimpinpin…
A la brasserie des Sports aussi, on la joue "mollo". L'établissement, qui est une cantine des Macron, ne peut pas devenir "une kermesse", coupe le patron, Gilbert Fauquembergue.
Quand le président vient, il prend toujours des crevettes grises et un verre de chablis. Bon, très bien. Mais je ne vais quand même pas mettre à la carte 'plat du président'.
Gilbert Fauquembergue, gérant de la brasserie des Sportsà franceinfo
Des tour-opérateurs chinois et indiens
En ce moment, Jean-David Hestin passe beaucoup de temps au téléphone, par mail et en face à face avec des responsables de tour-opérateurs chinois et indiens. Mais c'est lui qui fixe les règles. "On n’est pas contre ce tourisme-là, insiste le directeur de l'office du tourisme. Mais à condition que cela amène une vraie plus-value économique sur la station et que cela fasse vivre nos hôtels, nos restaurants."
Si c’est simplement pour venir faire une photo devant la villa des Macron, on n’a pas vraiment d’intérêt à faire ça.
Jean-David Hestinà franceinfo
Les premiers contacts ont été établis il y a un an. Pour l'instant, on en est toujours "au calage". Jean-David Hestin espère y voir plus clair d'ici l’an prochain. Ça laisse encore un peu de temps à madame la maire pour se procurer la boule à neige Macron.
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