Discours du Congrès : "Il a voulu montrer qu'il n'entendait pas être le démolisseur de l'Etat-providence mais un reconfigurateur"
Le président de la République a tenu un discours devant le Sénat et l'Assemblée nationale réunis en Congrès lundi 9 juillet. Le politologue Bruno Cautrès livre son analyse.
Pour la deuxième année consécutive, Emmanuel Macron s'est exprimé devant les députés et sénateurs réunis en Congrès, au château de Versailles (Yvelines), lundi 9 juillet. Un discours d'une heure trente qui a donné l'occasion au président de la République de s'expliquer sur la politique mise en place pendant la première année de son mandat, mais aussi de présenter un nouvel agenda pour les deux années à venir. Parmi les thèmes abordés : la révision constitutionnelle, le plan pauvreté, l'islam, ou encore les retraites.
Invité lundi 9 juillet sur franceinfo, Bruno Cautrès, politologue, chercheur au CNRS et au Cevipof, revient sur le discours du président de la République. Concernant le projet de révision constitutionnelle, le politologue questionne : "Est-ce qu'au fond on ne franchit pas la ligne de la séparation des pouvoirs ?"
Au sujet de l'Etat-providence mentionné par le chef de l'Etat, Bruno Cautrès affirme qu'il s'agit d'une "connotation plutôt côté 'politique sociale'. Emmanuel Macron a voulu montrer qu'il n'entendait pas être le démolisseur de l'Etat-providence mais, au contraire, un reconfigurateur."
franceinfo : Concernant la volonté du gouvernement de déposer un amendement au projet de loi constitutionnelle pour permettre au chef de l'Etat d'écouter les parlementaires et leur répondre lors des Congrès, ce n'est pas rien dans la Ve République ?
Bruno Cautrès : Non, ce n'est pas rien. Au moment de la réforme de 2008, que Nicolas Sarkozy avait voulu, donnant la possibilité aux présidents de venir s'adresser au Congrès réunit à Versailles, ce point avait déjà été débattu. Ce point fait débat parmi les constitutionnalistes. Là où c'est très sensible, c'est, si le président de la République se met à discuter en direct avec nos élus -députés et sénateurs - sur des éléments de programme, est-ce qu'au fond on ne franchit pas la ligne de la séparation des pouvoirs ? Dans notre système, le président ne peut pas être renversé par la Congrès, donc il y a une forme de dialogue un peu asymétrique entre le président et les assemblées, donc on se demande quelle forme cela va prendre. On peut s'attendre à des débats entre spécialistes de la cinquième République sur ce point. D'autant plus qu'on dit souvent Emmanuel Macron a cette incarnation très verticale du pouvoir présidentiel. Est-ce que ça ne risque pas de renforcer cette dimension, l'idée qu'une fois par an le président de la République vient se rappeler au bon souvenir des parlementaires qui, eux-aussi, proviennent du suffrage universel.
Sur le fond, est-ce que vous avez trouvé un président plus social ?
C'est effectivement un des objectifs poursuivis par Emmanuel Macron. Ce lundi c'était très présent entre les lignes de son discours, de vouloir montrer qu'il a la perspective sociale en tête mais au titre de notre Etat-providence. Ce dont parle Emmanuel Macron, c'est au fond une constante du macronisme depuis le départ. C'est de vouloir redéfinir devant les Français 'que veut dire une politique sociale juste ?' La matrice du macronisme c'est d'expliquer aux Français que l'Etat-protecteur-providence - qui avait peut-être fonctionné dans les décennies des années 60-70 - aurait abouti à de nouvelles inégalités et lui se veut le dévérouilleur de ces inégalités, celui qui va dynamiter une société de statuts.
Le fait de garder le terme d'Etat-providence, est-ce que c'est une concession ou une façon de brouiller les pistes?
Evidemment que la référence à la notion de l'Etat-providence c'est une référence extrêmement codée. Parmi les spécialistes de l'analyse de l'action publique, il fait référence directement au contexte de l'après Seconde Guerre mondiale, lorsqu'on s'est occupé de vouloir protéger de tout un tas de risques. C'est une connotation qui est évidemment plutôt côté 'politique sociale', 'sociale démocrate'. Evidemment qu'Emmanuel Macron a voulu montrer qu'il n'entendait pas être le démolisseur de l'Etat-providence mais, au contraire, un reconfigurateur.
Et en même temps, ce qu'il propose, tout en étant proche de l'égalité sociale, n'a rien à voir avec un Etat-providence ?
Peut-être pas rien à voir mais c'est sans doute là, la source d'un quiproquo. Emmanuel Macron propose aux Français de redéfinir la notion de l'égalité, mais il se trouve que les Français lorsqu'ils évaluent l'action du gouvernement et lorsqu'ils voient leur vie de tous les jours, ils voient encore des inégalité à l'ancienne : des inégalités de l'accès à la richesse, au pouvoir, aux différentes professions... Tout cela n'a pas disparu du fait de l'élection d'Emmanuel Macron et le président souhaite proposer aux Français de redéfinir la lutte contre les inégalités alors que des inégalités toujours aussi traditionnelles existent encore dans notre pays.
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