Municipales 2020 : les élections dans les métropoles, ces "3es tours" qui peuvent contrarier les plans des écologistes
Les nouveaux maires écologistes de plusieurs grandes villes entendent mener à bien des projets dont la réussite dépend parfois d'autres acteurs politiques locaux. Dès lors, l'élection des présidents de métropole pourrait changer la donne pour les édiles portés par la "vague verte".
C'est un renouvellement comme rarement les grandes villes françaises en ont connu. Dimanche 28 juin, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Tours, Poitiers, Besançon ou encore Annecy ont choisi des maires écologistes (et Grenoble a reconduit le sien) au second tour des élections municipales 2020. Marseille doit livrer son verdict définitif ce week-end, alors que Michèle Rubirola, écologiste qui menait une liste d'union de la gauche, est arrivée en tête. Cette famille politique va donc pouvoir appliquer ses recettes de gestion dans des villes de plus de 100 000 habitants : "Jamais les écologistes n'ont été en mesure de peser autant sur le cours des choses", s'est félicité le secrétaire national d'Europe Ecologie-Les Verts, Julien Bayou, dimanche soir.
Mais la bataille ne fait peut-être que commencer, et un "troisième tour" approche : les élections à la tête des métropoles, des communautés urbaines ou d'agglomération. Ainsi, chaque grande ville gagnée par les écologistes se retrouve avec des dizaines de communes voisines dans des collectivités méconnues du grand public, à l'appellation parfois obscure (le Grand Lyon, la Métropole Aix-Marseille-Provence, l'Eurométropole de Strasbourg...), mais qui concentrent de plus en plus de pouvoirs.
De la vague à la vaguelette verte
Le deuxième tour des municipales a permis de désigner les élus qui siègeront dans les conseils métropolitains (ou communautaires, pour les agglomérations), qui, d'ici mi-juillet, devront élire leurs présidents. Les nouveaux maires auront tout intérêt à bien s'entendre avec eux s'ils veulent porter leurs projets sans encombre.
Or, si certaines conquêtes écologistes peuvent compter sur une commune limitrophe déjà dirigée par EELV (Bègles près de Bordeaux, Schiltigheim près de Strasbourg), la "vague verte" saluée par certains n'a pas déferlé sur toutes les municipalités périphériques. Elles restent le territoire d'élus issus d'autres familles politiques, principalement LR et le PS, ou sans étiquette, attachés à leur indépendance. Dès lors, ces maires peuvent-ils doucher certains espoirs des écologistes fraîchement élus ?
Un échelon devenu incontournable
"Bien sûr qu'ils peuvent compliquer la vie des maires. De toute façon c'est la vocation des métropoles", plaisante Gilles Pinson. Ce spécialiste de la gouvernance urbaine à Sciences Po Bordeaux rappelle que les métropoles sont devenues un lieu de décision majeur. "Aujourd'hui, l'essentiel des compétences, de l'expertise et des moyens financiers sont dans les métropoles. Leur budget dépasse parfois celui de régions", relève-t-il. Ainsi, le Grand Lyon était presque aussi bien doté en 2020 (3,48 milliards d'euros) que la région Auvergne-Rhône-Alpes (3,85 milliards), et bien plus que la ville (798 millions).
Avec un grand budget viennent de grandes responsabilités. Thomas Frinault, spécialiste des politiques territoriales à l'université Rennes 2, liste les sujets entre les mains des métropoles : "La gestion des déchets et de l'eau, tout ce qui concerne les mobilités, la maîtrise des sols, qui était une compétence cardinale de la municipalité, ou encore le développement économique, crucial dans un contexte de crise."
Un tel transfert répond à une certaine logique. Si les décisions d'un maire affectent les communes voisines, qui n'ont pas voté pour lui, elles doivent avoir leur mot à dire. A l'inverse, difficile de vouloir changer sa ville sans penser à celles qui l'entourent. "On ne peut pas imaginer réglementer la circulation automobile à Bordeaux", comme compte le faire Pierre Hurmic, "si on n'a pas de plan pour déployer des transports permettant de la relier à la périphérie", explique Gilles Pinson. Mais, comme l'illustre cet exemple, les compétences de la métropole sont centrales dans les projets des écologistes, pour qui les transports et l'aménagement des territoires sont des thématiques essentielles.
Des projets "révisés à la baisse" ?
A Annecy (Haute-Savoie), François Astorg, élu à 27 voix près dimanche dernier, a promis un "'choc' des transports en commun", avec notamment la création de plusieurs lignes de tramway. "On a beaucoup parlé de transports pendant la campagne municipale, mais c'est une compétence du Grand Annecy", prévient aujourd'hui Christian Anselme (divers droite), qui dirige Fillière, la deuxième commune de l'agglomération.
Le contrôle du Grand Annecy n'est pas joué d'avance : les édiles des communes auditionneront les différents candidats, et si Anselme se dit "à l'écoute" du projet de François Astorg (qui veut confier la métropole à son alliée dissidente LREM Frédérique Lardet), il est ouvert à d'autres hypothèses... dont une reconduction à sa tête du maire sortant UDI d'Annecy Jean-Luc Rigaut, "toujours candidat". Les débats de la campagne peuvent-ils se rejouer au conseil communautaire ? Début 2019, ses élus avaient en tout cas lancé leur propre étude sur un projet de tramway, dont rien ne dit qu'il s'accorde avec celui imaginé par François Astorg pour sa ville.
"On ne veut pas payer pour Marseille"
A Marseille, si le conseil municipal finit par désigner la candidate du Printemps marseillais Michèle Rubirola comme maire (verdict attendu le samedi 4 juillet), elle devra cohabiter avec une métropole Aix-Marseille-Provence acquise aux Républicains et présidée par Martine Vassal, l'adversaire de Michèle Rubirola pendant les municipales. Le programme mis en ligne par le mouvement de gauche annonçait la couleur : certaines mesures étaient présentées d'office comme "relevant de la compétence de la métropole". Maurice Olive, spécialiste des politiques urbaines d'aménagement à Sciences Po Aix, remarque cependant des omissions "flagrantes" dans cette liste : "Prolonger le tram, revoir les lignes de métro, ce n'est pas présenté comme tel, mais ça relève de la métropole. La formation professionnelle aussi."
Cependant, il ne croit pas à un scénario où la métropole, gérée par une droite revancharde, s'emploierait à saper toute l'action de Michèle Rubirola. Pour Maurice Olive, "une métropole doit toujours composer avec sa grande ville", et un conflit frontal desservirait tout le monde. Mais l'union de la gauche marseillaise sera peut-être amenée à "réviser certains projets à la baisse". Créée par la loi en 2016, la métropole est mal acceptée par les élus locaux : "Il y a peut-être 111 maires sur 119 qui n'en veulent pas", notamment l'édile LR d'Aix-en-Provence Maryse Joissains-Masini, explique Maurice Olive. "Quand il s'agit de gros chantiers, le mot d'ordre est : 'On ne veut pas payer pour Marseille'."
"Une logique de troc" entre maires de tous bords
La partie peut sembler plus simple dans les métropoles où les écologistes peuvent compter sur une majorité de gauche. Encore que... Dans le cas grenoblois, Eric Piolle pousse désormais la candidature d'un écologiste face au président socialiste sortant, avec qui il a collaboré pendant six ans.
Pour l'élection du président de Bordeaux métropole (où la gauche est désormais majoritaire), deux visions s'opposent avant le vote du 17 juillet. Les socialistes ont pour leader Alain Anziani, maire de Mérignac et défenseur d'une cogestion avec la droite, au nom de l'autonomie des maires. "Se répartir les financements de la collectivité a toujours été une affaire d'arrangements entre maires, explique le chercheur Gilles Pinson. Ici, on appelle ça la cogestion." Cette logique se vérifie ailleurs. "On ne raisonne pas forcément dans une logique majorité-opposition. On construit des compromis, dans une logique de troc, et on séduit individuellement les maires", confirme Thomas Frinault.
Mais Pierre Hurmic, le nouveau maire bordelais, n'est pas d'accord. Il a mis les pieds dans le plat au soir du deuxième tour des municipales : "La cogestion à la métropole est morte ! (...) C'est l'ancien monde". Gilles Pinson y voit en effet un frein à l'ambition du projet écologiste : "Soit on essaie de concilier tous les intérêts, et on arrive à quelque chose d'assez tiède, soit on accepte de faire des malheureux. Des communes qui accueilleraient plus de logements sociaux qu'elles ne le veulent, des automobilistes qui se sentiraient lésés... L'efficacité à l'échelle de la métropole demande du conflit." Les sujets de tension ne manquent pas, comme le sort de la ligne aérienne Paris-Bordeaux, honnie par les écologistes, et qui atterrit à... Mérignac.
L'exception lyonnaise
Dimanche, une seule métropole a accordé aux écologistes une majorité absolue, leur évitant ce casse-tête : le Grand Lyon. Ce résultat est en partie le fruit d'un mode de fonctionnement unique en France. Pour la première fois, les habitants ont voté pour les conseillers métropolitains dans un scrutin par listes, simultané mais distinct des municipales, sur 14 circonscriptions regroupant plusieurs communes ou arrondissements. La métropole, instance méconnue des électeurs, a occupé une place centrale dans la campagne. Un système issu d'un compromis local trouvé en 2012 donne au Grand Lyon les compétences d'un département. Ailleurs, des projets allant dans ce sens se sont jusqu'ici notamment heurtés à l'opposition du Sénat et de l'Association des maires de France (AMF), qui y voient une menace pour les prérogatives des maires.
"Si leurs deux leaders", Grégory Doucet à la mairie et Bruno Bernard à la métropole, "ne commencent pas à s'écharper, ils ont clairement tous les outils en main" pour mener un projet pleinement écologiste, estime Gilles Pinson. Tous les outils, ou presque : évoquant son projet de "RER à la lyonnaise" sur la radio locale RCF, Bruno Bernard a concédé qu'il impliquait de "travailler avec la région" Auvergne-Rhône-Alpes, dirigée par Laurent Wauquiez (LR). "J'espère qu'il va revoir sa politique, ou qu'on changera de président de région", a indiqué l'écologiste. Preuve qu'il n'est jamais facile d'échapper aux compromis.
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