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Des détenus libérables : "Une belle boulette de la chancellerie de Chirac"

Après un arrêt de la Cour de cassation, les peines de dizaines de détenus pourraient être levées. A l'origine de ce bug, une erreur du ministère de la Justice en 2004.

Article rédigé par Vincent Daniel - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Deux surveillants pénitentiaires dans un couloir de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), le 27 octobre 2011. (THOMAS SAMSON / AFP)

L'affaire paraît à peine croyable. Le Canard enchaîné, daté du mercredi 7 août, affirme que des "dizaines, peut-être des centaines" de détenus en France pourraient être prochainement libérés à cause d'un "bug juridique". Des révélations confirmées par le ministère de la Justice. 

A l'origine de cet imbroglio juridique, "une grosse bourde commise le 15 décembre 2004 sous l'ère Perben (UMP)", écrit Le Canard. Dominique Perben, le ministre de la Justice de l'époque, promulgue alors un décret sur la prescription des peines. Problème : la Cour de cassation a rendu un arrêt, le 26 juin, qui rend caduc ce décret. En effet, la Cour estime que seule une loi peut permettre de revenir sur les conditions de prescriptions, et non un décret. Celui-ci n'a ainsi aucune valeur. Comment expliquer cette bourde ? Quelles conséquences pour les détenus ? Francetv info a posé ces questions à Christophe Regnard, président de l'Union syndicale des magistrats (USM).

Francetv info : Pourquoi, selon la Cour de cassation, le décret pris en 2004 par le ministre de la Justice Dominique Perben n'avait pas de valeur ?

Christophe Regnard : A partir du prononcé définitif de la peine, on a cinq ans pour la faire exécuter quand il s'agit d'un délit, et vingt ans pour un crime. Or, le décret de 2004 avait introduit des éléments qui interrompaient cette prescription. La Cour de cassation considère que l'arrestation doit intervenir dans ces délais de façon impérative. Elle estime qu'il fallait passer par une loi pour introduire ces éléments, et non par un décret. 

Il faut donc aller chercher dans chaque dossier pour savoir si les personnes ont bien été incarcérées dans les cinq ans en matière correctionnelle et dans les vingt ans en matière criminelle. 

Comment expliquer cette erreur de la part du ministre de la Justice de l'époque et de ses services ?

Indéniablement, c'est un bug juridique, une belle boulette de la chancellerie de l'époque qui a des conséquences majeures. Ce qui est plus étonnant, c'est que ces dispositions ont dû être soumises au Conseil d'Etat. C'est l'organe qui fait la part des choses entre ce qui relève de la loi et ce qui relève du règlement, au regard de la Constitution. C'est donc très étonnant. 

Le deuxième problème, c'est qu'en 2012, le gouvernement ou les services de l'Etat ont dû s'en rendre compte puisqu'ils ont fait passer ces dispositions dans la loi [celle du 29 mars 2012 du garde des Sceaux Pascal Clément]. On se demande bien pourquoi les conséquences n'ont pas été tirées pour les personnes qui étaient déjà détenues, en application d'un système qui manifestement était illégal... C'est très grave.

Le Canard Enchaîné parle de "dizaines, peut-être de centaines" de détenus qui seront libérés en raison de cette faille... 

Ces chiffres sont probablement très exagérés. La réalité, c'est que la chancellerie, depuis un mois et l'arrêt de la Cour de cassation, a demandé à l'administration pénitentiaire de sortir les listes de tous les détenus condamnés et incarcérés pendant la période [entre 2004 et 2012] pour des condamnations relativement anciennes. Cela concerne 3 500 personnes. Ensuite, l'administration pénitentiaire a demandé aux parquets de vérifier, dossier par dossier, les conditions de l'arrestation et de la prescription. Sur les dix premières cours d'appel, il n'y a que quatre personnes qui sont concernées. Quatre personnes, c'est trop, mais cela reste circonscrit. Cela devrait entraîner la libération de quelques dizaines de personnes au total. 

Y aura-t-il d'autres conséquences à cette affaire ? 

Nécessairement, pour les gens qui ont été détenus à tort, il y aura une action en responsabilité pour faute de l'Etat. Elles vont demander un dédommagement. 

Et je ne peux pas m'empêcher de penser à ce qu'on aurait pu dire dans la presse si c'était un juge qui avait commis cette boulette. "Irresponsabilité", "laxisme"... C'est le genre de choses qui ne devrait pas arriver, mais c'est la preuve que cela peut arriver, y compris au gouvernement avec des hommes politiques.

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