"Tartuffe", robe à sequins et suspensions d'audience : dans l'affaire Griveaux, le procès de Piotr Pavlenski et Alexandra de Taddeo a tourné à la farce
"Ceux qui ont envie de rire sortent de la salle", tente de recadrer la présidente. Entre les esclandres et les récitations de Molière, le procès en correctionnelle du couple Piotr Pavlenski et Alexandra de Taddeo devant la 17e chambre du tribunal de Paris a pris une drôle de tournure, mercredi 28 juin.
Près de trois ans et demi après la diffusion, le 12 février 2020, de vidéos intimes de Benjamin Griveaux sur le site Pornopolitique, qui l'avaient conduit à abandonner la course à la mairie de Paris, puis à se retirer de la vie politique en démissionnant de son mandat de député, le ministère public a requis, à la fin d'une journée d'audience mouvementée, six mois d'emprisonnement pour Piotr Pavlenski et six mois d'emprisonnement avec sursis pour Alexandra de Taddeo.
Le ton de cette journée a été donné dès l'ouverture de l'audience. Les deux prévenus, qui comparaissent pour atteinte à l'intimité de la vie privée "par captation, enregistrement ou transmission sans l’accord de la personne d’images présentant un caractère sexuel" qui ont été "portées à la connaissance du public" manquent à l'appel. "Coincés dans les bouchons", selon leurs avocats. Après une heure d'attente, le couple arrive enfin, non sans prendre le temps de marquer un arrêt devant la presse. L'un est vêtu de noir, crâne rasé, l'autre est habillée de sequins bleutés, dans un contraste détonnant.
Droit au silence et autopromo
Dès les premières minutes de l'audience, l'artiste russe de 39 ans se lance, malgré les réprimandes de la cour, dans un monologue, fustigeant "les conservateurs sournois" à l'origine de "l'interdiction" de son site. Ces déclarations provoquent alors la première d'une longue série de suspensions d'audience. Vexé d'avoir été interrompu, Piotr Pavlenski fait alors valoir son droit au silence.
Alexandra de Taddeo, quant à elle, est particulièrement loquace. "Je suis là pour parler de mon livre et de grands sentiments, d'amour", résume-t-elle devant la presse. Dans ses mains, lorsqu'elle s'avance à la barre, le livre en question, Amour (éd. Privé). "L'histoire de ma vie est une suite de contradictions, raconte-t-elle. Ça devait d'ailleurs être le titre initial." Tout au long de sa prise de parole, la jeune femme de 32 ans ne cesse de se référer à son ouvrage, l'audience devenant manifestement l'occasion d'en faire la promotion. Au sujet de son implication dans la diffusion des vidéos intimes de Benjamin Griveaux, elle défend n'avoir "à aucun moment voulu piéger" l'ancien député, et avoir conservé certaines vidéos "pour (se) protéger". Alexandra de Taddeo assure qu'elle n'était pas au courant du projet de son conjoint.
La jeune femme le reconnaît sans difficulté : avant sa rencontre avec Piotr Pavlenski, "l'art n'était pas quelque chose de très important" dans sa vie. "J'étais venu à sa conférence pour séduire quelqu'un de ma classe", s'amuse-t-elle, avant de se risquer à une explication sociologique : "Je ne viens pas du tout d'un milieu artistique, mais d'un milieu conservateur." Depuis, celle qui a été, un temps, étudiante en science politique et en droit à l'université parisienne d'Assas a abandonné son cursus pour se consacrer à l'histoire de l'art. A ses yeux, Piotr Pavlenski est d'ailleurs "le plus grand artiste contemporain de notre époque".
"Il s'agit d'un procès, pas d'un spectacle"
Installés sur leur banc, les deux prévenus multiplient les sourires complices et les invectives. Interrogée sur son positionnement politique, Alexendra de Taddeo assure être "féministe en évolution". "La première des règles du féminisme, c'est le respect du consentement", lui rétorque Marine Viegas, l'une des avocates de Benjamin Griveaux, lors de sa plaidoirie.
Piotr Pavlenski défend pour sa part la diffusion des vidéos intimes en évoquant une démarche artistique dans le cadre de son œuvre. Tout au long de l'après-midi, des témoins sont appelés par les prévenus pour renforcer cet axe de défense. Le nom de la comédienne Béatrice Dalle figure même dans la liste. Et puis... rien. Au lieu de réponses, les voilà qui récitent les uns après les autres des tirades entières du Tartuffe de Molière. "C'est sans doute, madame, une douceur extrême. Que d'entendre ces mots d'une bouche qu'on aime", déclame l'un des trois comédiens venus témoigner.
Ces récitations fébriles, jalonnées d'applaudissements, provoquent une nouvelle suspension d'audience. La cour s'exaspère. Certains éléments perturbateurs se font sortir de la salle. Le couple, lui, ricane puis applaudit. "Il s'agit d'un procès, pas d'un spectacle", rappelle la présidente, dépassée malgré tous les rappels à l'ordre. "On a même eu le droit à un acteur qui ne connaît pas son texte", glisse dans sa plaidoirie Richard Malka, autre conseil de Benjamin Griveaux, ironisant sur le fait que "l'art mérite un peu mieux que ça".
Après une audience loufoque et décousue, il finit par appeler à "prendre de la hauteur". Selon lui, le couple a essayé lors de cette journée de procès "de délégitimer le pouvoir judiciaire, après avoir voulu délégitimer le pouvoir politique". "Tu es vraiment un gros imbécile", lui répond Piotr Pavlenski, dans une dernière sortie spectacle. La décision du tribunal sur les peines encourues par le couple a été mise en délibéré. Elle sera rendue le 11 octobre.
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