Pourquoi les fonctionnaires sont-ils les boucs émissaires des candidats à la primaire à droite ?
Suppression du statut de la fonction publique, baisse massive des effectifs, hausse du temps de travail... Les candidats à la primaire à droite ont tous leur traitement de choc pour la fonction publique.
Des différences de styles et de stratégies, mais une cible commune : la fonction publique. Lors du premier débat de la primaire à droite, jeudi 13 octobre, ce thème semble bien avoir mis d'accord les sept candidats. Suppression du statut de la fonction publique, baisse massive des effectifs, recours aux contrats contractuels... Tous ont rivalisé d'idées pour infliger un traitement de choc à la fonction publique en cas d'alternance à droite.
Entre perspectives économiques et calculs politiques... Franceinfo vous résume en trois points pourquoi les candidats jouent la surenchère.
1Parce que ça permet de faire des économies, quitte à baisser la qualité des services publics
A elle seule, la fonction publique emploie plus de 5,6 millions d'agents, selon le dernier recensement de l'Insee. Hors contrats aidés, les effectifs s’élèvent à 5,43 millions de personnes. Tailler dans leurs effectifs représente donc une source d'économies potentielles importante.
Or, c'est un argument de campagne phare des candidats de la primaire à droite : la France serait championne d'Europe des dépenses publiques. La réalité n'est pas si éloignée. Selon Eurostat, l’agence statistique de la Commission européenne, la France, avec 56,8% de dépenses rapportées à son PIB en 2015, arrive deuxième derrière la Finlande, avec 58,3%.
La France pourrait effectivement prendre la première place alors que François Hollande s'est engagé dans diverses redistributions, à l'image de la revalorisation de la prime pour les enseignants du primaire ou encore du RSA.
A l'opposé, la plupart des candidats à la primaire à droite plaident pour réduire drastiquement ces dépenses. Pour cela, ils comptent sur une baisse massive du nombre de fonctionnaires. Quand l'ancien Premier ministre, François Fillon, propose de supprimer 600 000 postes, l'ancien ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire, lui, vise 100 000 postes par an pendant son quinquennat. Alain Juppé, moins gourmand, se contenterait de 250 000 à 300 000 postes en moins, une proposition assez proche de celle de Nicolas Sarkozy.
Pour Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonction publique, ces discours reflètent, dans l'ensemble, "une forme de populisme".
Les fonctionnaires sont systématiquement vus comme un poids. On occulte en permanence l'apport bénéfique des services publics comme la police ou les hôpitaux dans la sérénité de l'activité économique.
2Parce que c'est plus facile que de s'attaquer à des problèmes économiques complexes
Pour Louis Chauvel, sociologue, professeur à l'université du Luxembourg et spécialiste de l'Etat providence, l'éternel débat sur une baisse des effectifs dans la fonction publique s'analyse d'abord au regard d'un marasme économique plus général auquel gauche et droite ne parviendraient pas à répondre.
"Si le poids de la fonction publique est devenu si grand dans la société, c'est surtout parce que le secteur marchand est en crise", décrypte-t-il. En parallèle, "l'hypertrophie de la fonction publique amène inéluctablement à créer des tensions avec les autres groupes de la société dans un contexte de crise", ajoute-t-il.
D'un côté, la gauche est enfermée dans une posture qui consiste à dire que la solution passe par la fonction publique. De l'autre, la droite campe sur sa position visant à 'dégraisser le mamouth'. Ce qu'il faudrait, c'est un investissement massif pour relancer le secteur privé.
Un constat également partagé par Mylène Jacquot, secrétaire générale de la CFDT Fonction publique. "Montez les gens les uns contre les autres, cela reflète surtout une absence de vision au long terme", souffle-t-elle.
3Parce que cela mobilise son camp contre un corps de plus en plus morcelé
Selon l'Insee, une personne sur cinq dans la population active est fonctionnaire. Une composante à laquelle "il faut ajouter les retraités de la fonction publique pour comprendre son importance dans la société française, indique à franceinfo Jérôme Fourquet, directeur du département opinion et stratégies d’entreprises de l’Ifop. En tout, les agents et retraités de la fonction publique forment 20% du corps électoral."
Si le vote à gauche reste dominant dans la fonction publique, assure Jérôme Fourquet, il est en revanche de plus en plus contesté au sein même des différentes administrations. "Au sein de la police et des militaires, le vote à gauche est loin d'être majoritaire", rappelle-t-il. Une enquête du Cevipof, le centre de recherche politique de Sciences Po, réalisée à l'automne 2015, montre d'ailleurs une forte progression du FN chez les fonctionnaires, dont les intentions de vote se sont rapprochées de la moyenne nationale en vue du premier tour des élections régionales (24,6% contre 27,3%). Une évolution encore plus nette chez les policiers et militaires, où ils étaient 51% à vouloir voter Front national. Une progression de 21,5% par rapport à 2012. Un tournant historique, selon Jérôme Fourquet.
Au sein de la fonction publique, il y a une perte de domination historique de la gauche.
Un morcellement du corps électoral qui offre une fenêtre de tir rêvée à l'opposition pour fédérer son camp. "C'est du grand classique, les questions d'inégalités entre le privé et le public sont des ressorts puissants pour mobiliser l'électorat de droite". Mais également une manière de faire l'inventaire sur le passé, selon Jérôme Fourquet, qui concède aussi qu'"il y a une certaine surenchère entre les candidats pour se démarquer".
Mais beaucoup d'électeurs de droite leur reprochent de ne pas avoir été assez loin quand ils étaient au pouvoir. Pour eux, c'est une occasion à ne pas manquer.
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