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Enquête Opération "sauver Sarkozy" : les révélations d’un témoin-clé dans l’affaire Mimi Marchand - Ziad Takieddine

La justice enquête pour savoir si Mimi Marchand n’a pas influencé l’intermédiaire Ziad Takieddine, afin qu’il dédouane Nicolas Sarkozy dans l’affaire d’un possible financement libyen de sa campagne de 2007. Pour la première fois, un des protagonistes de l’affaire s’exprime.

Article rédigé par franceinfo - Élodie Guéguen - Cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 21 min
Mise en examen dans l’affaire libyenne pour “subornation de témoin”, Michèle Marchand est proche des couples Bruni-Sarkozy et Macron. Ici, à l’enterrement de Charles Aznavour en 2018. (AURELIEN MORISSARD-IP3-MAXPPP)

On l’a cherché pendant des semaines. Il se présente devant nous, allure décontractée et sourire aux lèvres. Lui, c’est Noël Dubus, 54 ans, personnage insaisissable aux confins de nombreuses affaires rocambolesques. Un homme de l’ombre qui accepte de témoigner pour la première fois auprès de la cellule investigation de Radio France, après sa mise en examen pour subornation de témoin et association de malfaiteurs dans “l’enquête Mimi Marchand”, comme l'appellent les magistrats du parquet national financier. Elle a pour point de départ les pseudo-rétractations de l’intermédiaire Ziad Takieddine visant à “blanchir” l’ancien président Nicolas Sarkozy dans le dossier des possibles financements libyens de sa campagne victorieuse de 2007.

Noël Dubus, c’est l’homme-orchestre de cette opération. Cet ancien employé des postes a entraîné avec lui une bande hétéroclite à Beyrouth pour des projets qui, sur le papier, peuvent sembler invraisemblables. Dans cette affaire nébuleuse où, à ce stade des investigations, il y a presque autant de versions des faits que de protagonistes, huit personnes sont mises en examen, certaines étant passées par la case prison.

Un homme et une femme de l’ombre

Octobre 2020. Pour la première fois, nous assure-t-il, Noël Dubus croise le chemin de Michèle Marchand, dite “Mimi”, la reine de la presse people qui depuis de nombreuses années veille en coulisses sur l’image des couples présidentiels Bruni-Sarkozy et Macron. La rencontre se fait en marge de la libération de Sophie Pétronin, cette travailleuse humanitaire retenue par des jihadistes au Mali pendant près de quatre ans. Noël Dubus gravite dans l’entourage de la famille, alors que Michèle Marchand souhaite obtenir pour Paris Match une interview exclusive de l’ex-otage. Quelques jours plus tard, selon le récit de Noël Dubus, Michèle Marchand l’appelle et lui demande de passer dans les locaux de sa société, Bestimage, à Levallois-Perret. “Elle veut savoir si je suis toujours en contact avec Ziad Takieddine”, raconte-t-il. L’homme d’affaires franco-libanais est alors en cavale à Beyrouth, au Liban. Il a fui la justice française après sa condamnation pour cinq ans de prison dans le volet financier de l’affaire Karachi. Dubus et lui sont en contact. Michèle Marchand veut décrocher une interview. C’est tout à fait envisageable.

"On aurait dit la vérité, ça faisait ‘plouf !"'

Le 22 octobre, la patronne de Bestimage, un photographe, un journaliste de Paris Match, ainsi que Noël Dubus et sa collaboratrice décollent pour Beyrouth. Un voyage en groupe que certains tenteront de cacher lorsqu’ils se retrouveront en garde à vue. “Être sur le même vol que Mimi ? Une pure coïncidence !”, jure d’abord Dubus, avant d’être placé face à ses contradictions par les policiers de l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Aujourd’hui, il dit avoir menti “à la demande de Mimi”, qui avait “peur de Mediapart et de la manière dont le site d’information pourrait interpréter la présence de cette proche des époux Sarkozy auprès de Ziad Takieddine.“Ce dossier a pris des proportions gigantesques. On n’a rien fait d’illégal, c'était juste un scoop. On aurait dû dire la vérité dès le début. Et Mediapart, ça aurait fait plouf ! Et la police, ça aurait fait plouf !”, lâche-t-il. Selon lui, la patronne de Bestimage ne voulait pas que son nom soit associé à celui de l’intermédiaire qui a, pendant des années, affirmé avoir remis de l’argent du régime de Kadhafi à Claude Guéant et à Nicolas Sarkozy. Des déclarations qui ont souvent varié et que les juges de l’affaire sur les financements libyens ont toujours accueilli avec prudence. Reste que dans le camp de l’ancien président français, on estime que ce témoignage constitue la pièce centrale du dossier judiciaire. Et que si cette pièce se casse, le dossier s’écroule de facto.

Direction Beyrouth

En cette fin octobre 2020, quand la bande se retrouve à Beyrouth, le versatile Ziad Takieddine semble plus combatif que jamais. L’assistante de Noël Dubus raconte en garde à vue avoir entendu “Ziad et Noël” évoquer l’interview au cours d’un dîner. “Takieddine disait qu’il allait mettre la France à feu et à sang et qu’il allait retrouver sa gloire d'antan.” L’ancien millionnaire, dont les avoirs et les biens ont été gelés par la justice française, avait encore beaucoup de rêves, selon Lisa H. “Il se voyait en reconstructeur du Liban, il voulait faire construire une îles au large de Beyrouth, y faire venir les plus grosses fortunes mondiales, témoigne la jeune femme. Il l’aurait appelée la ‘Takieddine Island’.” Mais pour l’instant, l’homme n’a plus un sou et demande à Dubus de le dépanner. Ce dernier reconnaît lui avoir viré 8 000 euros par Western Union, pour payer une caution, lorsqu’il a eu des démêlés avec la justice libanaise. Les investigations ont démontré que de plus grosses sommes ont été versées. Mais aussi que des millions d’euros auraient pu être promis à l’intermédiaire déchu.

Noël Dubus, aux côtés de Michèle Marchand et de leurs collaborateurs ont rencontré Ziad Takieddine au Liban. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)

Le jour de l'interview, Ziad Takieddine emmène le petit groupe à une heure de route de Beyrouth, dans sa maison d’enfance. Était-il prévu à l’avance qu’il opère un revirement dans l’affaire libyenne, pour innocenter Nicolas Sarkozy ? “Non, ce n’était pas le but”, nous assure Noël Dubus. Devant les policiers, Michèle Marchand est moins catégorique. Elle raconte avoir eu un entretien avant son départ pour le Liban avec Hervé Gattegno, le directeur de la rédaction de Paris Match et du JDD - écarté depuis. “Il m’a dit qu’il avait déjà eu un entretien en visio avec Takieddine et que malgré tous ses efforts, il n’avait pas dit ce qui était prévu qu’il dise.” La septuagénaire poursuit : “Gattegno m’a dit : si ça ne marche pas, je ne te paierai même pas tes frais."

Avec Takieddine, les entretiens sont souvent tortueux. Et ce jour-là, le personnage est fidèle à sa réputation. “Ziad était plein d’incohérences et se contredisait, indique Lisa H. en audition. Chaque fois qu’il sortait de route, Noël et Mimi essayaient de le recadrer.” Mais l’objectif semble atteint : Takieddine apporte des éléments “nouveaux” en changeant son témoignage sur l’affaire libyenne. Contrairement à ce qu’il avait dit aux juges français, il n’aurait jamais versé d’argent libyen à Nicolas Sarkozy, déclare-t-il ce jour-là. Il soutient en revanche avoir donné plusieurs millions en cash, en 2005, à Claude Guéant (alors directeur de cabinet du ministre Sarkozy), et à lui seul.

Une rétractation sans contrepartie ?

Satisfaite de son “scoop”, Michèle Marchand demande à Takieddine de réitérer ses déclarations, le lendemain, dans une courte vidéo filmée par le paparazzi Sébastien Valiela. Le document sera ensuite vendu à BFM TV. On y voit Ziad Takieddine, assis sur un muret, l’air un peu hagard, affirmer que Nicolas Sarkozy n’a jamais reçu d’argent de Mouammar Kadhafi. Lorsqu’elle découvre son client à la télé, l’avocate Elise Arfi n’en revient pas. Avec le recul, elle dit avoir eu “l’impression qu’on a voulu faire la vidéo parce que l’article pour Paris Match n’était pas suffisamment convaincant.” Pour elle qui côtoie Ziad Takieddine depuis de longues années, cette interview n’était pas spontanée. “Je suis absolument convaincue qu’on a voulu monnayer sa rétractation et qu’on a voulu abuser de sa faiblesse”, avance la pénaliste.

Monnayer sa rétractation ? La justice aussi se pose la question. Elle ouvre une information judiciaire qui conduit au placement en garde à vue de Michèle Marchand, de Noël Dubus et de plusieurs de leurs proches qui auraient pu contribuer à financer l’opération. Les enquêteurs en viennent à se demander si Nicolas Sarkozy aurait joué un rôle dans ces manœuvres qui étaient censées lui être favorables. Était-il au courant que Paris Match allait publier un revirement de l’homme qui jusqu’alors l’accusait ? En garde à vue, Michèle Marchand dit qu’elle le “suppose”.

“Je suppose que Hervé Gattegno a tenu Nicolas Sarkozy au courant du reportage auquel j’ai participé, est-il écrit sur son procès-verbal d’audition. Carla m’a appelée en me demandant si je voulais venir boire le thé, Nicolas Sarkozy était là et il m’a dit : ‘Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Vous vous rendez compte, ce serait formidable pour moi si c’était vrai. Mais ce type-là, il a tellement menti, changé de version, est-ce que c’est fiable ?' Et Michèle Marchand d’ajouter : Je lui ai dit que j’avais fait mon travail de journaliste et que je ne pouvais pas me prononcer sur la manière dont Match allait traiter le sujet.” De son côté, le journaliste Hervé Gattegno dément avoir livré la moindre information à Nicolas Sarkozy en amont de la publication de l’article. “Prétendre que je me serais affranchi de la déontologie de notre métier en divulguant par avance des informations non encore publiées par le journal que je dirigeais serait diffamatoire, nous écrit-il dans un mail. Je mets au défi quiconque d’apporter la moindre preuve pour soutenir une telle assertion.”

“Il va nous péter dans les doigts”

Lorsque le “revirement” de Takieddine sort dans la presse, Nicolas Sarkozy réagit immédiatement. Sur Twitter d’abord. Puis dans une longue interview accordée à BFM TV. “Est-il normal qu’un ancien président de la République soit traîné dans la boue comme je le suis depuis huit ans sur les seules déclarations d’un individu qui dit : ‘j’ai menti’ ? Je suis stupéfait.”, lance-t-il à la journaliste Ruth Elkrief.

Mimi Marchand raconte aux enquêteurs avoir été “remerciée” peu après par l’ancien locataire de l’Élysée, mais la professionnelle des coups médiatiques ne semble finalement pas satisfaite du résultat. Le sujet ne fait pas l’effet d’une bombe. Et la justice ne s’en empare pas. Noël Dubus propose alors de passer à la vitesse supérieure. Ziad Takieddine pourrait rédiger une “sommation interpellative”, un document officiel, déposé chez un notaire, qui sera ensuite envoyé au parquet national financier en France. “Mimi me dit : ‘OK, c’est une très bonne idée !’, nous raconte Noël Dubus. On va travailler ensemble sur les questions.” Celles auxquelles Takieddine devra répondre.

Noël Dubus aurait proposé à Mimi Marchand l’idée de la sommation interpellative. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)

“Madame cent mille volts”, comme l’appelle l’homme de l’ombre, semble trépigner d’impatience. Elle envoie un SMS à un ami de Dubus, Thomas Nlend, qui suit de près l’opération : “On est super pressés par le temps, il va nous péter dans les doigts l’autre…” Qui est “l’autre” ? demandent les enquêteurs au destinataire du message. “Celui qui va nous péter dans les doigts, c’est Takieddine, répond Thomas Nlend. C’est par rapport à la sommation interpellative. Ce qui stresse Mimi, c’est que Takieddine change sa version. Pourquoi elle me dit ça à moi ? Certainement pour que je mette la pression sur Noël Dubus et éviter que Takieddine se rétracte.”

“Zébulon ne va jamais y croire”

La décision est prise de renvoyer Noël Dubus au Liban pour “cadrer” les choses. Mais le 10 décembre, Takieddine n’est toujours pas allé chez le notaire. Michèle Marchand envoie un message de reproche à Dubus. “Ou vous n’avez pas les bons interlocuteurs depuis le début ou c’est que des conneries ! Il fallait dès votre arrivée prendre un autre officier ministériel et un autre notaire ! Je connais des gens importants à Beyrouth, je pouvais demander ! Je ne peux même pas expliquer ça à Zébulon [nom de code donné à Nicolas Sarkozy, ndlr] qui peut facilement faire vérifier tout ça et qui ne va jamais y croire, jamais !”

Dans ce SMS rageur saisi par la justice, c’est la dernière phrase qui interpelle le plus les enquêteurs : “Je renvoie l’argent à David demain matin, je ne veux en aucun cas être mêlée à une minable escroquerie !”, écrit la fondatrice de Bestimage. Comme l’ont révélé nos confrères de Mediapart, Michèle Marchand ferait référence à David Layani, un jeune patron proche de Nicolas Sarkozy. Les deux hommes siègent au conseil d’administration du groupe Barrière. Les policiers suivent donc la piste de l’argent. Ils apprennent qu’en décembre 2020, la société de David Layani, Onepoint, a signé un contrat pour des prestations de communications avec Bestimage. 72 000 euros ont été versés à Michèle Marchand. Mais les enquêteurs découvrent que le contrat n’a jamais été honoré. Une partie de l’argent, selon les dires de Noël Dubus, aurait servi à couvrir les frais liés aux opérations au Liban. Mis en examen, David Layani se dit totalement étranger à cette affaire de possible subornation. Selon nos informations, Michèle Marchand n’a jamais rendu les 72 000 euros à l’entrepreneur. “Mais nous n’excluons pas que le contrat soit un jour honoré par Bestimage”, nous répond une communicante de crise employée par Layani.

"Ziad réclamait encore de l’argent"

De l’argent, il en fallait pour financer ce “deuxième acte” de l’opération Takieddine à Beyrouth. “Ça coûte cher, raconte le prolixe Noël Dubus. Parce qu’il y a la sécurité, parce qu’il y a l’hôtel, parce qu’on ne savait pas combien de temps ça allait prendre.” L’homme de l’ombre précise à la cellule investigation de Radio France : “On pensait aussi qu’il fallait payer l’huissier ou le notaire. On ne l’a pas fait. Par contre, Ziad réclamait encore de l’argent.” Il indique qu’il s’était aussi engagé à prendre en charge les frais d’avocats de Takieddine, en délicatesse avec la justice libanaise. Les enquêteurs ont mis au jour des systèmes de financements avec de fausses factures qui auraient permis de régler la note.

Mais quand Noël Dubus rentre à Paris mi-décembre, il n’a pas la sommation interpellative dans ses bagages. “Mimi a traité Noël d’escroc car ça prenait trop de temps, on était rentrés du Liban sans le document, raconte sur procès-verbal l’assistante de Dubus qui était du voyage. À l’origine, on devait rentrer avec. On devait en faire des copies certifiées là-bas et on devait en donner un exemplaire à Thierry Herzog [avocat et ami de Nicolas Sarkozy] et d’autres qu’on devait déposer au parquet national financier. Ça devait passer avant par les mains de Mimi Marchand. Ça ne s’est pas passé comme prévu et Mimi a pété un plomb”, poursuit la jeune femme devant les enquêteurs.

Finalement, Ziad Takieddine se rend chez un notaire et réitère ses “rétractations” sur un document officiel. Dubus reçoit une photo de la scène et la transmet à Michèle Marchand. “Je lui avais précisé qu’il ne fallait pas la diffuser, que c’était confidentiel, assure-t-il. Elle m’a dit : ‘c’est trop tard’, la photo avait été vendue à Match.” L’hebdomadaire a en effet versé 10 000 euros pour ce cliché de Takieddine chez le notaire. Si pour Michèle Marchand, les choses se sont arrêtées là, les enquêteurs de leur côté pensent qu’elle s’est beaucoup plus investie qu’elle ne le dit dans ce deuxième acte de “l’opération Takieddine”. En garde à vue, un policier l’interroge : “Comment expliquez-vous que lors de la perquisition à votre domicile, le juge ait trouvé dans votre téléphone un document envoyé par Thomas Nlend le 16 novembre 2020 relatif à une liste de questions à soumettre à Ziad Takieddine pour une sommation interpellative ?” La patronne de presse répond qu’elle n’a “pas une vraie explication” à cela.

Des rendez-vous chez Sarkozy

Qui dit vrai dans l’histoire ? Michèle Marchand et Noël Dubus livrent des récits très différents de ces événements. Noël Dubus prétend par exemple qu'entre octobre 2020 et le printemps 2021, Michèle Marchand l’a emmené “trois ou quatre fois” rencontrer l’ancien président de la République à son domicile parisien. C’est faux, rétorque la papesse de la presse people en audition. “Je ne sais pas dans quel monde vit M. Dubus pour laisser croire (...) que je l’ai emmené chez Sarkozy !” Les enquêteurs ont pourtant mis la main sur des dédicaces du dernier livre de Nicolas Sarkozy. Sur l’une, adressée à Noël Dubus, il est écrit “Merci pour tout. Votre ami”. Sur une autre, destinée à la mère de la collaboratrice de l’intermédiaire français, l’ancien président écrit qu’elle peut “être fière de sa fille”. Selon Noël Dubus, ces ouvrages auraient été dédicacés au domicile privé des Bruni-Sarkozy, mi-décembre 2020 [juste après la signature de la sommation interpellative].

Noël Dubus et Mimi Marchand se seraient rendus chez le couple Bruni-Sarkozy au moins trois fois, selon Noël Dubus. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)

Noël Dubus demande qu’on le croie. “Je peux décrire la maison de Nicolas Sarkozy, l’hôtel particulier était en travaux au moment des faits. Des policiers étaient en faction.” Et puis il y a le bornage des téléphones qui, selon lui, pourrait attester de sa présence au domicile de l’ancien président, avec Michèle Marchand. “Il y a même des échanges de SMS avec Mimi qui me dit : ‘Je t’attends, je suis devant chez Nicolas’. Sauf qu’à l’époque elle utilisait des noms de code pour Nicolas, il y a eu Inès [en références aux initiales NS], puis Zébulon. Ces échanges existent. On ne peut pas remettre en question des faits !”, soutient Dubus.

Faire libérer un fils Kadhafi

Ce désaccord entre les deux principaux protagonistes de l’affaire ne saurait, pour les enquêteurs, occulter la suite de l’histoire. Ils ont découvert que Noël Dubus nourrissait aussi le fol espoir de faire sortir de prison l’un des fils Kadhafi, Hannibal, incarcéré au Liban. L’ancien postier qui dit avoir travaillé pour les services secrets français aurait proposé son aide à la famille Kadhafi. Les intérêts à la clé dans cette affaire seraient multiples pour Noël Dubus. D’abord, une belle somme d’argent. Ensuite, un contrat de lobbying et de communication pour le compte d’un autre fils Kadhafi, Saïf al Islam, possible candidat à la présidentielle en Libye. Enfin, des documents exclusifs où il pourrait être question du financement de la campagne de 2007 de Nicolas Sarkozy. “J’y ai été au culot, nous lance Noël Dubus dans un grand sourire, j’ai négocié un disque dur des services secrets libyens qui concerne tout le dossier français. Tout ce qui aurait été donné ou non.” L’intermédiaire prétend aussi avoir passé un marché avec Michèle Marchand : s’il mettait la main dessus, elle l’aurait “en exclusivité pour son agence”. Et s’il n’a jamais eu en sa possession ce prétendu disque dur, il affirme savoir où il se trouve aujourd’hui. “Beaucoup de gens cherchaient ces documents, personne ne les a eus jusqu’à présent.”

“Oui, ça pouvait m'intéresser de récupérer ce fameux disque dur”, reconnaît Michèle Marchand lorsqu’elle est interrogée sur ce point en garde à vue, en juin 2021. Tout en indiquant aux policiers qu’elle n’était pas si naïve : “Le problème de Dubus, c’est qu’il vous raconte une histoire et ensuite en raconte une autre. (...) À ce moment-là je ne comprends pas tout à fait que c’est un escroc. J’ai juste des doutes”.

Valises de cash et soupçons de corruption

Escroc”, “mythomane”, ces qualificatifs font bondir l’intéressé, qui tient à nous prouver ce qu’il avance. Et notamment le fait qu’il soit allé à plusieurs reprises rendre visite à Hannibal Kadhafi en prison. Dubus prétend qu’il devait payer sa caution et des frais d’avocats pour le faire sortir. Il convainc alors plusieurs de ses amis communicants, dont le dirigeant de la société A and Co pour laquelle il travaille, de l’aider à réunir une coquette somme pour ce projet. Il sollicite notamment le concours d’un marchand de biens pour que celui-ci lui trouve rapidement 100 000 euros en espèces. Quelques jours plus tard, l’argent est déposé par un intermédiaire chez une amie de Dubus qui se porte caution.

Où est passé cet argent ? se demandent aujourd’hui les enquêteurs. Noël Dubus raconte qu’il s’est rendu avec son assistante, en voiture, de nuit, à Aix-la-Chapelle, en Allemagne. Là, les espèces auraient été remises au frère d’un “haut gradé du renseignement libanais”, Ali S., qui devait ensuite s’occuper de verser l’argent nécessaire à la possible libération du fils Kadhafi. “Est-il envisageable de penser que M. Ali S. ait corrompu des autorités libanaises dans le cadre de sa mission pour Noël Dubus ?”, demandent les policiers au dirigeant de la société A and Co ? “Il est possible de l’envisager”, admet-il. “Avez-vous parlé à Noël Dubus des risques de corruption dans le cadre de la libération d’Hannibal Kadhafi ?”, poursuivent les enquêteurs. Ce à quoi l’entrepreneur répond : “Oui, c’était une des solutions pour sa libération mais Noël ne m’a pas affirmé que c’était LA solution.” Les juges français ont depuis élargi le périmètre de leur information judiciaire. Ils enquêtent aussi désormais sur des soupçons de corruption d’agents publics étrangers.

Noël Dubus aurait rendu visite à Hannibal Kadhafi pendant qu’il était en détention au Liban. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)

Reste que cet argent semble s’être évanoui. Et lorsque le proche du marchand de biens demande à récupérer la somme déposée chez une proche de Dubus, les choses tournent mal. La femme dit avoir été menacée et frappée. Elle et Noël Dubus déposent plainte. Une enquête distincte pour "extorsion" est alors ouverte. Trois personnes, dont le marchand de biens et l’intermédiaire, sont aujourd’hui mis en examen.

“Tuer Mediapart”

D’autres questions se posent au sujet du “projet Hannibal”. Était-il prévu qu’il dédouane à son tour Nicolas Sarkozy une fois sorti de prison ? C’est une hypothèse pour les enquêteurs. Ils ont trouvé la trace d’un troublant SMS, envoyé par Michèle Marchand à Noël Dubus le 17 mai 2021, montrant qu’elle, et peut-être même Nicolas Sarkozy, suivaient le dossier de très près. “Il a, pour la première fois, été moyen aimable le Z… me faisant entendre que ça marchera pas… qu’ils paieront pas les K… et que c’est trop long, là. Je l’ai vu 30 minutes. Agacé ! Tu comprends ce que je veux dire !!!” Le “Z” ferait référence à l'ancien président français et le “K”, à la famille Kadhafi.

Interrogée sur ce message, Michèle Marchand explique qu’elle bluffait à ce moment-là, ne croyant plus aux histoires que lui raconte Noël Dubus. Pourtant, cinq jours plus tard, alors que Noël Dubus affirme qu’il a un moyen de démontrer que la note publiée par Mediapart attestant d’un financement libyen de la campagne de 2007 était un faux - la justice française n’a jamais donné raison à Nicolas Sarkozy sur ce point - Michèle Marchand ne semble pas douter de ses propos. Le coup de fil qu’elle passe le 22 mai à son ami Marc-Olivier Fogiel (directeur général de BFM TV), alors qu’elle est placée sur écoute, semble en attester : “Ah bah là, Arfi [Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, ndlr], il va avoir mal à la tête. Ça va lui péter à la figure, assure Michèle Marchand. Je continue à travailler. Moi je me suis fixée une mission, je vais au bout. Il y a la preuve que le document comme quoi Sarko a tout pris l’argent (sic), c’est un faux !” “Ça a intérêt à être béton !”, rétorque Marc-Olivier Fogiel. La reine des paparazzis semble sûre de son coup : “(Ce n’est) pas béton, c’est 12 fois béton !”

“Sauver Sarkozy” et “tuer Mediapart”, comme il est dit dans une audition : voilà les objectifs que certains protagonistes de l’affaire s’étaient fixés. Mais leurs aventures libanaises ont tourné au fiasco. Les documents censés “blanchir” l’ancien président français dans l’affaire libyenne n’ont pas été trouvés. Hannibal Kadhafi est toujours derrière les barreaux. Quant à Ziad Takieddine, il a, depuis, à nouveau varié dans ses déclarations en nuançant son propos d’octobre 2020. Lorsque les enquêteurs sont allés le voir au Liban, il leur a affirmé sur procès-verbal n'avoir “jamais dit que M. Sarkozy n’avait jamais reçu d’argent. J’ai dit que M. Sarkozy n’avait pas reçu d’argent de moi personnellement. (...) Les phrases qu’on m’a demandé de dire durant l’interview étaient des phrases ambiguës laissant croire qu’il n’avait rien touché.”

Après sa rétractation devant l’équipe de Mimi Marchand, Ziad Takieddine a à nouveau changé de version auprès des juges. (NICOLAS DEWIT / RADIO FRANCE)

"Coupable ou innocent, j’en n’ai rien à foutre"

Ces opérations rocambolesques se sont-elles faites à l’insu de l’ancien président, avec des personnes qui souhaitaient l’aider à se sortir de ses démêlés judiciaires, par amitié ou par courtisanerie ? Ou se sont-elles faites avec l’aval, voire le concours de Nicolas Sarkozy ? Le couple Macron aurait, depuis, pris ses distances avec Michèle Marchand, qui a fait un passage à la prison de Fresnes l’été dernier pour avoir violé son contrôle judiciaire. L’enquête sur cette possible subornation de témoin, qui porte désormais son nom au parquet national financier, l’aurait aussi éloignée de l’ancien président, à en juger par ce qu’elle a confié aux policiers de l’office anticorruption. “J’ai été emportée là-dedans, a lancé Mimi Marchand aux enquêteurs. Aujourd’hui, si toute cette histoire n’a servi à rien, si Nicolas Sarkozy est coupable ou s’il est innocent, j’en n’ai rien à foutre.”

Jointe au téléphone, Michèle Marchand n’a pas souhaité répondre à nos questions. Son avocate n’a pas donné suite à nos sollicitations. L’avocat de Nicolas Sarkozy nous a dirigé vers le cabinet de l’ancien chef de l’État. Nous n’avons pas obtenu de réponse de sa part. Toutes les personnes mises en examen dans ces trois affaires - celle des présumés financements libyens, celle ouverte pour subornation de témoin, et celle portant sur des soupçons d'extorsion - sont présumées innocentes.

Aller plus loin :

LIRE | Vanity Fair enquête - Mimi les bons tuyaux : ses liens avec les Macron et les Bruni-Sarkozy notamment.

REGARDER | Mimi Marchand, l'influente de la République, Complément d’enquête (disponible gratuitement jusqu’au 1er janvier 2023)

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