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"Ils se trouvent souvent dans une forme de toute-puissance" : une psychologue décrypte le comportement des harceleurs

La parole des victimes de harcèlement sexuel se libère ces derniers jours dans la société française. L'occasion de s'apercevoir de l'ampleur du phénomène. Franceinfo a interrogé une psychologue, pour tenter de comprendre ce qui se passe dans la tête d'un harceleur.

Article rédigé par Clément Parrot - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Depuis le 13 octobre 2017, de nombreuses personnes dénoncent sur les réseaux sociaux le harcèlement sexuel dont elles ont été victimes. (GETTY IMAGES)

A la suite de l'affaire Harvey Weinstein, de nombreuses femmes prennent la parole ces derniers jours, pour dénoncer le harcèlement sexuel dont elles ont été victimes. Le 13 octobre, une journaliste a lancé sur Twitter le hashtag #balancetonporc et de nombreux témoignages sont venus alerter sur l'ampleur du phénomène. Franceinfo s'est entretenu avec Anne Quélennec, psychologue et spécialiste du harcèlement au travail, pour comprendre notamment le comportement des harceleurs.

Franceinfo : Que se passe-t-il dans la tête d'un harceleur ?

Anne Quélennec : Il peut y avoir deux cas de figure. D'un côté, on trouve les personnes avec des comportements pathologiques ou déviants. De l'autre, des personnes peuvent avoir une attitude déplacée avec des regards, des mots, des gestes... sans parfois se rendre compte qu'il s'agit de harcèlement. On reste dans une culture latine et ces personnes peuvent penser qu'elles agissent dans un contexte de drague. Il y a souvent une forme de grande naïveté liée à la culture française.

Pour les autres, on est souvent dans des comportements déviants, qui peuvent relever d'une certaine perversité. Il s'agit de personnes qui vont dénier l'autre en tant qu'individu et ne pas tenir compte de sa souffrance, voire jouir de cette souffrance et de l'humiliation provoquée. Elles se trouvent souvent dans une forme de toute-puissance. Elles peuvent aussi montrer un caractère antisocial, en considérant que l'assouvissement de leurs désirs prime sur les règles.

Parmi les harceleurs, quelle est la proportion de ces deux types de personnes ?

Il est très difficile de le savoir, car ce ne sont généralement pas les harceleurs qui consultent les psychologues. Personnellement, il m'est arrivé de voir des hommes de la première catégorie, c'est-à-dire les "harceleurs qui s'ignorent" à qui il faut expliquer que leur comportement relève du harcèlement. Généralement, quand ils comprennent ce qu'ils risquent (de la prison ferme, des fortes amendes, des dommages et intérêts et également la possibilité d'un licenciement sans indemnité), ils se calment. Si ce n'est pas le cas, c'est qu'il s'agit de comportements pathologiques ou déviants et cela nécessite une autre prise en charge.

Comment faire comprendre aux hommes de la "première catégorie" qu'ils ont passé les limites du domaine de la séduction ?

Il suffit de s'appuyer sur la jurisprudence pour leur donner des exemples. De nombreuses blagues en dessous de la ceinture alors que la personne en face fait comprendre que cela lui déplaît, des gestes déplacés comme le fait de frôler la poitrine ou les fesses, des propos ou des questions grossières du type "qu'est-ce que tu portes en dessous ?"... tout cela est considéré comme du harcèlement.

>> A ce sujet, regardez le documentaire Le harcèlement sexuel au travail, l’affaire de tous

La société française favorise-t-elle certains comportements ?

Evidemment, il y a toute une tradition historique de patriarcat, où le droit des femmes est négligé. Les femmes sont considérées comme des trophées de chasse et certains hommes restent dans un rapport de domination dans lequel le "droit de cuissage" n'est pas très loin. Ensuite, il faut aussi relativiser. Un certain nombre d'hommes se comportent mal, mais ce n'est pas la majorité, heureusement.

Pourquoi avons-nous le sentiment que cette réalité est encore mal prise en compte ?

Ces phénomènes ont une certaine ampleur, mais beaucoup de femmes ont du mal à en parler, car elles ressentent de la honte ou de la peur. Pour elles, il est souvent difficile de savoir quand commence le harcèlement. Quand une parole se libère, à l'image de ce qui se produit ces derniers jours, cela permet aux victimes d'oser s'exprimer. Le fait de se retrouver dans certains témoignages permet aux victimes de mieux comprendre l'origine de leurs souffrances et de réaliser que cela n'est pas normal. On avait déjà eu une certaine libération de la parole au moment de l'affaire Denis Baupin.

Je rencontre des femmes qui ont du mal à savoir si elles sont victimes de harcèlement ou non. Bien souvent, il s'agit bien de harcèlement et le fait de venir me voir permet de nommer les choses. Je leur explique la loi, le cadre juridique. Je leur indique les relais sur lesquels s'appuyer (service des ressources humaines, avocats, syndicats...). Il faut souvent leur faire comprendre qu'un harceleur qui a mis son système en place s'arrête rarement et que les choses vont souvent en empirant. 

Comment expliquer que le harcèlement sexuel se déroule souvent sur le lieu de travail ?

Dans le monde du travail, il peut y avoir un lien de subordination. Et pour certaines victimes, le travail est un enjeu, avec la crainte de perdre son emploi. Des études montrent d'ailleurs que les mères célibataires sont les plus touchées, car souvent les plus vulnérables, les plus dépendantes de leur emploi pour nourrir leur foyer.

Pour ces publics fragiles, il y a un véritable enjeu dans le fait de dire non, de s'opposer. C'est sans doute aussi valable dans l'affaire Weinstein. Les actrices en vue peuvent se permettre de dire non. Les comédiennes inconnues, qui ont du mal à obtenir des cachets, ont beaucoup plus de mal à s'opposer.

Que faire pour améliorer la situation ?

Il est vraiment important d'informer, d'expliquer, de faire de la pédagogie, pour permettre aux victimes de se reconnaître en tant que victimes, pour rappeler la loi et ne pas banaliser ce genre de comportements. Pourquoi ne pas imaginer aussi des interventions dans les établissements scolaires, soit dans le cadre des risques psychosociaux, soit dans le cadre de la violence faite aux femmes.

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